De sa haute stature, Jean-Luc Fromental domine la foule venue ce soir-là au Gibus, lieu séculaire des soirées parisiennes. Le dernier rédacteur en chef de Métal Hurlant, aujourd’hui éditeur de Denoël Graphic, responsable de ce livre-hommage, a labouré le carnet d’adresse de toutes les personnes qu’il a rencontrées pendant l’aventure de Métal. Il est content : à quelques exceptions près, ils sont tous là, ceux qui ont fait de Métal une légende. « C’est marrant, lui dit un de ses amis, tu as invité tous mes copains ». « C’est parce que ce sont aussi les miens », lui répond l’éditeur. Pour que la soirée ne passe pas pour une réunion d’anciens combattants (on y croise aussi bien Paul Gillon qui va sur ses 80 ans, que les fondateurs des Humanoïdes Associés : Moebius, Druillet et Jean-Pierre Dionnet), Fromental et son attachée de presse Sylvie Chabroux ont fait venir quelques-uns des jeunes Turcs de la nouvelle génération, dessinateurs à la notoriété naissante, illustrateurs à la valeur montante. Un melting pot qui rappelle la mixité culturelle de Métal Hurlant. Ils sont venus célébrer la parution d’un livre réellement exceptionnel, résultat d’années de travail, compilation d’entretiens avec les principaux acteurs d’une aventure unique qui a marqué le paysage mondial de la bande dessinée à la fin des années soixante-dix et au début des années 80 : Métal Hurlant - La Machine à Rêver .
Dès 21 heures, Chantal Montellier attend à l’entrée. Elle y est rejointe par Moebius, puis par Edmond Baudoin, Willem puis Anne Delobel, brièvement secrétaire de rédaction de Métal. « Je ne me fais pas d’illusions, dit-elle, ils m’avaient engagé car j’étais la compagne de Tardi ! ». L’auteur d’Adèle Blanc-Sec n’est pas venu. Il est fâché avec la bande à Métal depuis vingt ans. Toute la soirée est émaillée de ces petites révélations, un peu comme si chacun voulait prolonger la recherche de Marmonnier et Poussin, mais aussi confirmer l’importance du bouillon de culture qu’a été ce journal, le point de rencontre d’une génération de créateurs, attirés en ces lieux par l’éclectisme, la culture inouïe et l’intelligence de Jean-Pierre Dionnet, par le sens fougueux de la provoc et la rock attitude de Philippe Manœuvre, par la pose de gourou de Moebius, par le geste lyrique et généreux de Druillet, par l’ironie mordante d’Yves Chaland, par l’engagement militant de Chantal Montellier...
Petit à petit, les invités arrivent. À l’entrée, un service d’ordre de rock star. À l’intérieur, une musique « rétro » d’enfer : Sex Pistols, Blondie, The Clashs, Deep Purple... Les fondateurs du journal se font discrets. Manœuvre reste cinq minutes puis se barre, ayant sans doute mieux à faire. Philippe Druillet se demande ce qu’il fait là et hurle au bar : « Un whisky ! ». Il dit qu’il a donné sa dem à l’académie des Grands Prix d’Angoulême : il ne lit plus guère les BD, les mangas et tout cela, il n’y comprend plus rien. Moebius a l’air content de revoir ses amis, Paul Gillon et Jean-Claude Mézières en tête. Jean-Pierre Dionnet tapote frénétiquement sur son PDA : il y inscrit les adresses des auteurs qu’il rencontre et qu’il n’a plus vus depuis longtemps. Il s’interrompt un moment pour expliquer à Christian Marmonnier comment il aurait publié le livre s’il en avait été l’éditeur. Marmo, enfant sage, écoute poliment.
Charles Berbérian et Serge Clerc feuillettent l’ouvrage de concert. Ils tombent sur une photo de leur ami Yves Chaland disparu en 1990. Chienne de vie. Stan Barets, le propriétaire de la librairie Temps Futurs (actuellement Album, 8 rue Dante) qui accueillit le lancement du premier numéro du journal devise avec Florence Cestac dont les premiers gros nez ont paru dans Métal. On croise Philippe Vuillemin, Ted Benoit, Lorenzo Mattotti, Didier Petit-Roulet, Romain Slocombe, Marcelino Truong, Loustal, O’Groj, Dodo et Ben Radis et tant d’autres...
Le grand illustrateur Jean-Michel Nicollet, avec son éternelle pipe au bec, est en grande conversation avec le graphiste Etienne Robial, fondateur de Futuropolis, qui avait créé le logo et la maquette du journal de la rue Yves Toudic et qui, depuis, fait l’habillage de chaînes de télé : Canal Plus, M6... Marc Voline, aujourd’hui éditeur chez Albin Michel, rit à gorge déployée avec Denis Sire, la casquette vissée sur le crâne, qui avait introduit dans Métal d’inoubliables pin-ups procédant à des effeuillages sophistiqués. Moebius tombe dans les bras de Paul Gillon, le dessinateur des Naufragés du Temps (il dessine en ce moment la suite de L’Ordre de Cicéron après nous avoir livré un éblouissant Quintett)... L’émotion est présente, c’est évident, les retrouvailles heureuses, même si l’on a du mal parfois à reconnaître les visages.
Un peu avant trois heures du matin, la salle se vide. On ferme boutique. C’est à cela que l’on voit qu’on n’a plus vingt ans et que la plupart des invités travaillent le lendemain.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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L’ouvrage paraît le 17 novembre 2005 aux Éditions Denoël Graphic.
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