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Frédéric Boilet, l’apprenti japonais

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 janvier 2006                      Lien  
Boilet fait décidément l'actualité. Le Tokyoïte français ne se contente pas de traduire Taniguchi pour Casterman, il vient de publier coup sur coup deux ouvrages qui jettent sur le Japon un regard pénétrant et particulier.
Frédéric Boilet, l'apprenti japonais
Love Hôtel
Ego Comme X

Depuis quand s’était-on reparlé vraiment ? Je ne me souviens plus. Sans doute depuis le début des années 90. Boilet, je l’avais rencontré à Bruxelles en 1986. Comment avait-t-il trouvé le chemin de Magic-Strip avec un projet, Le Rayon vert, qui a priori était très éloigné de son catalogue ? Je ne m’en souviens plus. Ce qui dont je me souviens avec certitude, c’est que j’avais été immédiatement séduit par la qualité de son enthousiasme. Il voulait faire œuvre d’auteur et s’en donner les moyens. Magic-Strip lui a donné cette possibilité juste avant que je ne quitte cette société pour Paris et les Humanoïdes Associés [1], où il m’a suivi en y publiant 3615 Alexia. Ensuite, je l’ai perdu de vue. Il était parti pour le Japon, et moi pour d’autres aventures. Je le revoyais de loin en loin, dans les salons. Nous échangions un bonjour et à peine trois mots de conversation.

Love Hôtel de Frédéric Boilet
(c) Ego comme X

Retrouvailles

Sa rencontre avec Benoît Peeters avec qui il entretient depuis une véritable complicité créative était contemporaine. Elle était topologiquement opportune, car Benoît venait de publier chez Magic-Strip un de ses premiers essais marquants : Les Bijoux ravis, une lecture moderne de Tintin (1984) [2].

L’apprenti japonais
Les impressions nouvelles

Je me souviens de nos premières vraies retrouvailles, à Tôkyô cette fois, l’été dernier. On avait pris le temps (surtout le sien, car il était en train de boucler Japon, le collectif commandé par l’Institut franco-japonais de Tôkyô) pour dîner ensemble dans un de ces restaurants de Shibuya où il a ses habitudes. J’en avais profité pour faire son interview. Son enthousiasme était intact, sa volonté entière, sans doute même plus radicale qu’avant. Il a pris de l’assurance. Il a sur l’Europe et ses coutumes le regard distancié d’un homme qui s’est éloigné du « nombril du monde » et qui s’est rapproché de la plus grande industrie de bande dessinée de la planète. Il connaît très bien les forces et les faiblesses des deux cultures respectives. Il admire sincèrement le professionnalisme et le talent des créateurs japonais, mais il trouve dans le même temps qu’il y a dans la créativité européenne des personnalités qui ont leur carte à jouer au Japon. Ce rôle de passeur, en même temps que de créateur, l’occupe beaucoup aujourd’hui.

« Au diable la différence ! »

J’ai ces souvenirs en tête quand je feuillette les deux ouvrages qu’il publie conjointement ces jours-ci : la réédition, chez Ego Comme X, de son album Love Hotel et un livre-journal, L’Apprenti Japonais qui paraît aux Impressions Nouvelles, une maison où il retrouve Benoît Peeters quasi vingt ans après sa première rencontre avec le scénariste des Cités obscures.
Dans Love Hotel, je retrouve le trait du Rayon Vert. Rugueux, traduisant la photo avec détachement, avec ses surfaces blanches constellées d’aplats noirs. Je ne me souvenais plus combien étaient belles les pages enneigées de la séquence où David, son héros-reflet, retrouve Junko, l’écolière dont il est amoureux. Et puis cet amour impossible, comme l’a écrit très justement Jean-Paul Jennequin, « parce que celui qui le cherche ne souhaite peut-être pas vraiment le trouver, mais seulement le rêver...  »

L’apprenti japonais
de Frédéric Boilet. (c) Impressions nouvelles

Dans L’Apprenti Japonais, une œuvre récente où il prolonge son travail d’après la photo mais avec une approche proprement warholienne, je retrouve absolument les sensations de mon voyage à Tôkyô et à Osaka. Et j’entends sa voix quand il écrit : « Le Japon que j’essaie de connaître est un Japon de détail, au jour le jour, il est donc difficilement racontable, sinon au moyen d’une narration ou d’un reportage. Je passe mes journées à sillonner Tôkyô - car c’est finalement Tôkyô l’objet de mes recherches, plus que le Japon - à pied, en métro, en scooter, et je remplis mon carnet de note de ces événements, souvent des riens qui émaillent chacune de mes journées...  » Il se dit méfiant des gens, ces « Français de France » qui ont une opinion péremptoire sur le Japon et surtout des « Français du Japon » « ces derniers justement parce qu’ils sont au Japon, s’autorisant un discours autorisé... »

Ce livre, extrêmement bien écrit, nous en apprend plus sur Tôkyô que tous les guides sur le sujet (du Petit Fûté au Gallimard, ils sont tous nuls) car il ne fait pas la culture de la différence. Boilet écrit : « Au diable la différence - de fond - qui existerait entre le peuple japonais et le reste du monde. La particularité de l’essence japonaise est une escroquerie, un mensonge qui alimente les chroniques spectaculaires des médias occidentaux ou sert d’alibi aux zozos de l’extrême droite nippone. Les Japonais sont en tout point pareils à nous, c’est leur façon d’être identique qui change... » On ne saurait mieux dire.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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[1C’était en 1987. La société fut rachetée par les éditions Loempia, avant de disparaître quelques temps plus tard.

[2Un livre qui n’est pas reparu depuis à cause d’un oukase rodwellien et qui le mériterait pourtant.

 
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