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Angoulême 2006 : La Vallée des Images

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 février 2006                      Lien  
D'Angoulême, on ne connaît d'ordinaire que le Festival. Reine de quatre jours, l'association du FIBD accroche toutes les lumières, au point de laisser dans l'ombre l'une des plus grandes réussites régionales impulsées par le Festival : la « Vallée des Images ».

Lorsqu’en 1973, quelques amateurs de bandes dessinées du coin allèrent chercher Claude Moliterni, président de la SOCERLID [1] et grand propagandiste de la BD, alors puissant éditeur chez Dargaud, pour implanter en terre charentaise un festival de BD sur le modèle de celui qui venait de se créer à Lucca, ils n’auraient jamais cru que, trente-quatre ans plus tard, celui-ci deviendrait l’un des plus importants et des plus réputés au monde. Les débuts du Festival furent modestes : ils ressemblaient à ces fêtes de la BD comme on en trouvait alors partout en France, organisées autour d’une MJC [2]avec, au programme, quelques accrochages (souvent des planches de BD punaisées sur des panneaux de bois). Les premières séances de dédicaces permettaient à un public étonné et enthousiaste de découvrir avec un peu de proximité ces auteurs de BD dont ils ignoraient naguère jusqu’à l’existence. Ceux-ci, vissés toute l’année à leur table de travail, en profitaient pour décompresser grâce à un agréable week-end de ribaude.

Angoulême 2006 : La Vallée des Images
des Présidents et une... Présidente à Angoulême 2006
De gauche à droite ; Jean Mardikian, Président du CNBDI, Dominique Bréchoteau, président du FIBD, Michel Boutant, président du Conseil Général de la Charente, Georges Wolinski, Président 2006 de l’Académie des Grands Prix et Ségolène Royal, présidente du Conseil régional (Poitou-Charentes). Photo : D. Pasamonik.

La réussite du Festival d’Angoulême est due à une multitude de facteurs, mais il en est un qui a peut-être été décisif : la sympathie immédiate des stars (alors incontestables) de l’époque, les ténors de la BD belge, pour ce petit coin accueillant de la terre de France, où le cognac se montrait aussi chaleureux que les habitants. Il est possible que l’amitié de Maurice Tillieux, auteur de Gil Jourdan et figure emblématique du Journal de Spirou, pour l’auteur local Jean-Louis Pesch ait été un premier ancrage qui convainquit les Franquin, Jijé, Morris, Peyo, Roba et autres de se retrouver une fois l’an sur un terrain neutre où ils pouvaient rencontrer les « collègues » des autres maisons d’édition : Le Lombard, Casterman, Dargaud, Fleurus Presse, Pif, Glénat... et y parler « métier », alors même que les tentatives de syndicalisation animées par Goscinny et Charlier dans les années soixante avaient fait long feu.

Par ailleurs, la BD, dans ces années-là, commençait à recevoir un début de consécration. Mettons le doigt sur l’une des premières fonctions du Festival, parfois oubliée dans les discours des différents intervenants : sa dimension interprofessionnelle.

LA LEGENDE D’ANGOULEME

Cet aspect original du Festival n’échappa pas à ses fondateurs. Moliterni le premier sut y attirer ses amis internationaux rencontrés lors d’équipées à Lucca, Sao Paulo ou New-York. La cité angoumoisine pouvait certes s’enorgueillir, dès les premières années, de la présence des Saint-Ogan, Hergé et Franquin qui lui apportèrent crédit et reconnaissance au niveau national et ce, dès les premières heures de son existence ; mais ce sont des signatures comme Burne Hogarth, Will Eisner, Harvey Kurtzman, David Pascal, Hugo Pratt ou Guido Buzzelli, sans compter les figures de la scène underground qu’étaient Vaughn Bodé (inventeur avant la lettre de ces « concerts de dessins » si populaires aujourd’hui), Crumb ou Gilbert Shelton qui lui assurèrent son rayonnement international.

Exposition Guido Buzelli
au CNBDI en janvier 2006. Angoulême est un festival vraiment international. Photo : D. Pasamonik.

La jeune garde chevelue de la nouvelle BD française qui s’agitait alors autour des journaux Pilote, Charlie Hebdo et Hara Kiri, L’Echo des Savanes, Fluide Glacial, Charlie, À Suivre, Circus... venait à Angoulême faire ses coups d’éclats, gueuler contre la censure, ou balancer leur dernier brûlot d’avant-garde... Ce bouillonnement qui apparaît aujourd’hui comme un âge d’or était accueilli avec bonhomie par une ville dont les infrastructures furent rapidement débordées (elles le sont toujours...) par un succès de plus en plus retentissant. Les festivaliers venus du monde entier avaient du mérite : le TGV n’existait pas encore et il fallait quatre heures pour joindre Angoulême de Paris, dans un train de bidasses, et environ le double pour rallier la "Mecque de la BD" à partir de Bruxelles.

LE TEMPS DES INSTITUTIONS

Le Centre National de la BD
Il abrite le Musée et plusieurs écoles.

Angoulême doit beaucoup au rejeton de son chef de gare. Si le président François Mitterrand n’avait pas eu un père qui remplissait cette fonction dans la cité charentaise, sans doute n’aurait-il pas prêté une oreille aussi attentive à Jack Lang et à son projet de « Musée National de la Bande Dessinée ». Ce fut l’un des « Grands Travaux » du président socialiste. Sans cette institution qui y pérennise son ancrage, le Festival aurait pu disparaître cent fois à l’occasion des mille et un soubresauts de son histoire. Pour l’animer, le musée fit appel au spécialiste d’origine belge Thierry Groensteen. En treize ans, il sut donner corps, avant de le quitter pour fonder les Éditions de l’An 2, à l’un des fleurons essentiels de la cité charentaise.

Mais autour du rendez-vous annuel que constitue le Festival et de cette institution muséale, aujourd’hui hébergée par un véritable Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image, qui offre à la ville un label qu’aucune autre en France ne peut contrebattre, d’autres initiatives prendront le relais, qui vont voir Angoulême offrir à sa région une filière unique pour l’apprentissage des métiers de l’image, au sens le plus large, et surtout, des occasions industrielles qui permettront aux diplômés frais émoulus de ces filières d’apporter une véritable valeur ajoutée à l’économie de cette région.

MAGELIS, LE NAVIRE AMIRAL

Hélène Djilas
Directrice générale de Magelis

De création récente (1997), Magelis a pour but de soutenir les entreprises et les créateurs d’images de la région, qu’elles soient fixes et de papier, comme la bande dessinée, ou animées comme dans les jeux vidéo, l’animation, ou tous dans les autres domaines du multimédia. « Magelis est un pôle dans le sens de ce qu’on appelle aujourd’hui « un pôle de compétitivité », nous dit Hélène Djilas, la nouvelle directrice générale des services de Magelis qui vient d’être nommée à ce poste le 1er janvier dernier. C’est une intervention industrielle sur une filière qui permet de la développer. C’est un dispositif qui doit lui apporter de la valeur ajoutée. La filière image d’Angoulême est née historiquement de la bande dessinée puis ensuite des technologies de l’image qui se sont mises en place dans les années 1980/90. C’était essentiellement porté par le CNBDI [3] qui était une sorte d’équipement fédérateur où l’on faisait de la recherche sur l’image, aussi de la formation, et naturellement de la production avec un événement structurant important qui est le Festival International de la BD à la fin du mois de janvier. Le Festival a été le fil conducteur d’une filière consacrée à l’image avec aujourd’hui un secteur dynamique dans l’animation. »

L’exposition "Peur(s) du Noir"
L’une des plus impressionnantes de cette édition.

SPONSOR DU FESTIVAL

Dans cet ordre d’idée, le syndicat mixte du Pôle image Magelis est sponsor du FIBD. Il a soutenu une multitude d’actions tout au long de l’année mais aussi pendant le festival et notamment :
-  Le film et l’exposition Peur(s) du Noir. Produit par Prima Linea Productions, « Peur(s) du noir » est un film d’animation en noir et blanc d’une qualité exceptionnelle. Elle réunit 11 grands noms du dessin international : Blutch, Charles Burns, Marie Caillou, Romain Slocombe, Richard McGuire, Michel Pirus, Pierre di Sciullio, Dupuy & Berbérian, Lorenzo Mattotti et Jerry Kramski, le tout sous la direction artistique d’Étienne Robial. Ensemble, ils explorent, sur le mode fantastique, terrifiant ou humoristique les innombrables facettes de la peur. Le film devrait sortir à la fin de l’année 2006. [4] L’expo, de belle qualité, a été un des moments forts de cette édition du Festival.

-  L’exposition La Manufacture des Images à la Maison des Auteurs offrait à voir pour la quatrième année consécutive les travaux d’artistes de talent parmi lesquels on trouve des élèves de l’École Supérieure de l’Image d’Angoulême notamment Fabrice Neaud, Xavier Mussat, ou Olivier Bramanti, Nicolas de Crécy, diplômé des Beaux-Arts d’Angoulême en section bande dessinée, Marie Caillou, la réalisatrice du court-métrage d’animation « Marika et le loup », également collaboratrice sur « Peur(s) du Noir », tout comme Richard McGuire, l’un et l’autre étant résidents à la « Maison des Auteurs », pour n’en citer que quelques-uns.

Coconino World
Un site angoumoisin

-  L’exposition Coconino World. Le formidable site internet Coconino World.com, créé en 1999, publie sur le Net des BD et des dessins contemporains, mais aussi classiques, représentant aujourd’hui quelque 25.000 pages de contenu et 120 auteurs. Magelis a financé partiellement une exposition de ses archives sur papier lors du récent festival.

-  Le stand « Magelis Pôle d’édition ». Ce stand regroupe les éditeurs et les collectifs d’auteurs que Magelis a pris sous son aile. Issus pour la plupart d’Angoulême, on y trouve Ego Comme X,Les Editions de l’An 2, Cafe Creed et les Éditions du Singe de l’Association Leportillon.

UNE STRATEGIE POUR L’IMAGE

Ce travail est considérable et, selon la nouvelle directrice Hélène Djilas, ancienne chargée de projet à l’INA de Seine Saint Denis, ingénieure d’affaires en images numériques pour le pôle Digiport à Lille Métropole en 2002-2003 et récemment chef de projet du Pôle Cinéma Audiovisuel et image numérique, l’urgence est de trouver une stratégie pour le développement de la BD afin de fertiliser ce terreau créatif : « Pour la relation entre la BD et l’animation, je crois qu’il y a un gros travail à faire, qui n’a pas été fait mais qu’on connaît empiriquement. Par exemple, dans l’animation 3D des jeux vidéo, l’influence de la bande dessinée est évidente, notamment dans le domaine de l’Héroïc Fantasy. La société de production de dessin animé Prima Linea utilise également un bon nombre d’auteurs de bande dessinée. Il y a des ponts qui se font entre les deux métiers : les directeurs artistiques, les storyboardeurs, les scénaristes... passent de plus en plus facilement d’un univers à l’autre. Maintenant, il faut voir le chemin parcouru, ce sont des parcours d’individus. Ce qui est sûr, c’est qu’Angoulême est la passerelle entre les images fixes et les images animées et ce, depuis les années 1980. Cela a été établi autour de la filière, que ce soit en formation, dans l’implantation des entreprises qui ont été mises en place. Cela n’a pas été toujours conscient, mais les choses se sont faites malgré tout. »

"Peur(s) du Noir" lors de la présentation à Angoulême
Ce film ambitieux a été produit par Prima Linea, maison de production sise à Angoulême.

Lorsque qu’elle travaillait à Paris dans le domaine des images de synthèse, la Directrice Générale de Magelis avait déjà Angoulême en ligne de mire. Selon elle, il y a eu une stratégie "consciente et inconsciente", pour la mise en place d’écoles comme l’École Supérieure de l’Image, qui travaillaient, dès le début, sur l’image fixe et l’image animée, parce qu’il y avait déjà des initiatives dans le domaine du numérique. Dans ce contexte, le SMPI intervient comme un organe d’animation, d’accompagnement des entreprises, et aussi de communication autour de ces différents éléments, pour que la filière progresse et que ce secteur qui est relativement spécialisé dans l’animation, l’image 3D et bien sûr la BD (l’Île de France par exemple est plus positionnée sur la prestation audiovisuelle et la production) reste toujours en pointe.

« Nous sommes attentifs à faire en sorte que cette activité reste pérenne, nous dit Hélène Djilas. Pour l’animation, c’est surtout une activité de studio avec un plan de charge qui soit suffisamment important pour que l’activité perdure en accompagnant, par exemple, le développement de logiciels d’images de synthèse qui sont de plus en plus complexes, ou en veillant à ce que le tissu des prestataires sur place soit suffisamment étoffé. On accompagne aussi l’image numérique industrielle car les graphistes ne sont pas seulement spécialisés dans le dessin animé : ils peuvent aussi intervenir sur des processus très divers. La culture d’un graphiste est assez transversale.  »

Ce travail touche à peu près 80 structures de production et une vingtaine d’entreprises de communication dans la région. Le pôle de formation concerne l’ESI [5], l’EMCA [6], l’EMCI [7], l’ENJMIN (École de Jeux vidéo) [8], l’ICOMTEC [9], le CEPE [10], le LISA [11], sans compter les filières classiques (lycée technique ou formation professionnelle). Une pépinière à laquelle on peut attribuer partiellement des succès comme les films Les Triplettes de Belleville ou encore Kirikou.

"Les Triplettes de Belleville" de Sylvain Chomet
Ce film nominé aux Oscars a été partiellement produit à Angoulême par un auteur qui sort de l’une de ses écoles. (C) Les Armateurs.

Au niveau de l’international, Magelis est en train de créer un pont avec les Allemands et envisage de se développer dans les pays de l’Est dans le cadre d’un dispositif, Pygmalion, qui est un réseau de formation qui accompagne l’écriture et le développement de projets audiovisuels au niveau européen. Magelis initie aussi d’autres manifestations au cours de l’année, notamment le FITA qui fait le focus sur les nouveaux longs métrages d’animation français. On le voit, le travail est considérable.

LA VALLEE DES IMAGES

Évidemment, tous ces efforts ne sont pas faits gratuitement. Ils ont coûté beaucoup d’argent à l’état, à la ville, au département et à la région. De 2002 à 2005, ces collectivités ont soutenu une dizaine de longs-métrages d’animation et ont versé 1.562.000 € d’aides à la production sur cette période (74% pour le Conseil Général et 26% pour le Conseil Régional). Sans parler des subsides qui ont alimenté le FIBD pendant toutes ces années.

Mais le retour sur investissement est au rendez-vous. L’exemple de Kirikou, le dessin animé de Michel Ocelot produit par Les Armateurs et Gebeka, est, à ce titre, parlant : le premier volet, Kirikou et la sorcière (1998) a totalisé 1.500.000 entrées, 800.000 DHS et DVD vendus, 200.000 exemplaires du jeu vidéo (2001) développé par la société angoumoisine Ouat, sur PC, PlayStation 1 et Game Boy Color, 580.000 livres pour enfants et coloriages vendus, 22.000 unités d’un DVD-Interactif et un film distribué dans 50 pays ! Le second film de cet auteur a bénéficié en conséquence d’une aide de 300.000 € de la part de ces collectivités (sur un budget total de 4.8 millions d’euros).

Dans un autre registre, les retombées bénéfiques du Festival sur l’industrie de la BD elle-même, ne fut-ce qu’en terme d’image, sont incalculables.

Kirikou et les Animaux sauvages.
Le film de Michel Ocelot est l’un des plus grands succès de la filière régionale. (c) Gebeka

En outre, la région dans son ensemble bénéficie des retombées de ces développements. Ainsi, lors de la conférence de presse donnée par la présidente du Conseil régional, madame Ségolène Royal le 28 janvier dernier, il a été fait état de la création nette de 58 emplois par an depuis 1997 dans cette région, pour une activité totalisant 809 emplois dont 646 dans 86 établissements de production et 163 emplois dans l’environnement institutionnel et associatif, uniquement en le département de la Charente. Si l’on étend cette statistique à l’ensemble de la région, on parle de 1.669 entreprises qui touchent à l’image (impression, packaging, communication, audiovisuel, édition, multimédia, Internet...) et 13.597 emplois.

Comme on le voit, le « petit festival » créé en 1973 ressemble aujourd’hui, à bien des égards, à une véritable industrie.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Photos : D. Pasamonik sauf Choco Creed : Thomas Berthelon.

En médaillon : Ségolène Royal. Photo : D. Pasamonik

[1Société Civile d’Etude et de Recherche des Littératures Dessinées.

[2Maison des Jeunes et de la Culture.

[3Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image. Nous reparlerons plus longuement, dans un autre article, du CNBDI et du Musée de la Bande Dessinée.

[4On peut visionner des bandes-annonces sur le site des producteurs.

[5École Supérieure de l’Image.

[6École des Métiers du Cinéma d’Animation

[7École des Métiers de Création Infographique.

[8l’École Nationale des Jeux et Medias Interactifs Numériques .

[9Institut de Communication et des Nouvelles Technologies

[10Centre Européen des Produits de l’Enfant.

[11Le Lycée de l’Image et du Son d’Angoulême.

 
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