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Face à la déferlante des mangas, Moebius réclame une « exception culturelle de la BD ».

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 19 février 2006                      Lien  
Moebius, qui vient de publier chez Kana un album en collaboration avec Jiro Taniguchi (« Icare »), apporte au quotidien belge « Le Soir » sa réflexion sur le phénomène des mangas et réclame une « exception culturelle de la BD ».

Il faut parfois faire le détour par Bruxelles pour entendre une voix qui était restée inaudible dans le barnum de la BD d’Angoulême : celle de Jean Giraud, alias Moebius, un géant de la bande dessinée mondiale et l’une des consciences du métier. De passage à la Foire du Livre de Bruxelles, il a rencontré nos confrères du quotidien « Le Soir », Daniel Couvreur et Ricardo Gutiérrez, pour leur donner son point de vue sur la déferlante des mangas dans un marché francophone de la BD qui est en pleine mutation. [1]

L’homme qui a rencontré Tezuka

Lorsqu’en 1982, le « Dieu des Mangas » Osamu Tezuka était venu à Angoulême, personne n’avait reconnu le fondateur de l’industrie des mangas et du dessin animé japonais. Personne, sauf Moebius, que Tezuka venait inviter à Tôkyô pour le lancement au Japon du dessiné animé que l’auteur de L’Incal venait de réaliser avec René Laloux, Les Maîtres du Temps. Tezuka l’avait reçu chez lui, comme un monarque recevant l’un de ses pairs. Moebius en était revenu impressionné par la créativité et la vitalité de la production japonaise. « Il faut lire des mangas », disait-il alors à qui voulait l’entendre. Vingt-quatre ans plus tard, il sourit en nous disant : « Il faudrait peut-être maintenant que l’on se remette à lire les BD franco-belges ! ».

Il va falloir se battre !

Interrogé par Le Soir sur le succès fulgurant des mangas dans nos contrées, il l’explique par les qualités intrinsèques de la BD nipponne : « ... les ressorts subtils de leurs récits expriment d’autres manières de concevoir les rapports humains. Les Japonais posent un regard idéalisé sur l’Occident à travers les mangas. » Interrogé sur la peur que suscite le succès de mangas qui constituent désormais 40% de l’offre francophone en bande dessinée, Moebius est radical : « Il va falloir se battre, allumer des contre-feux, faire sentir que nous avons nous aussi le droit d’exister. Autrement, on va se retrouver dans une logique proche de celle du modèle cinématographique hollywoodien : celle du profit à court terme. Au bout de cette forme de guerre totale, il y aurait sans doute l’espoir d’un nouveau monde de fraternité planétaire. Mais entre-temps, nous aurons été laminés comme les Romains. Pas physiquement, mais culturellement. » Il appelle à réfléchir sur les spécificités de la bande dessinée franco-belge, sur sa difficulté de s’exporter vers le Japon, mais aussi vers des marchés culturellement plus « proches » comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne... Cela fait, dit-il, « Il faudrait étudier les mécanismes de protection, une sorte d’exception culturelle en faveur de la BD. »

Pourquoi Chirac oublie-t-il la BD ?

Il pointe du doigt sur une des aberrations de notre politique économique : « Nous sommes très ouverts aux autres, le succès des mangas en atteste. Quelque part, c’est une force et une preuve de notre capacité à assimiler toutes les formes de culture. Mais c’est aussi une faiblesse si nous faisons tout rentrer sans plus rien faire sortir. Quand Chirac part en mission économique en Inde ou en Chine, il n’emmène aucun éditeur de BD. La BD n’est pas intégrée dans la pensée commerciale et culturelle, c’est un trou noir. Les Japonais, tout au contraire, ont développé à fond la logique industrielle de l’édition. Les auteurs doivent être au service de cette conquête économique...  »

On ne saurait mieux dire.

Face à la déferlante des mangas, Moebius réclame une « exception culturelle de la BD ».
La dernière oeuvre de Moebius : "Icare", un manga
réalisé en collaboration avec Jirô Taniguchi. (Editions Kana).

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

En médaillon : Moebius. Photo : Thomas Berthelon.

[1Moebius griffe les mangas. Le Soir, samedi 16 et Dimanche 17 février 2006, supplément Culture, p.39.

 
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