Ce livre s’inscrivait pleinement dans la thématique d’une vaste campagne contre la violence au sein des couples lancée par Amnesty International Belgique. Cette démarche avait pour objectif de sensibiliser un public qui ne lit pas forcément les communiqués de l’organisme.
Sophie Flamand, responsable éditoriale du projet, avait rassemblé 31 auteurs dans un sommaire ambitieux : Adeline Blondieau & Philippe Xavier, Burton, Dany, Darasse , De Brab, de Froidmont, De Gieter, Didgé, Dillies, Durieux, Geerts, Godi, Grenson, Hermann, Jannin, Janry, Krings, Kroll, Malik, Marco Paulo, Marvano, Maury, Mourier, Oleffe, Rif, Salma, Séraphine, Stuf, Swysen, Turk et Vébé.
Amnesty International Belgique avait signé le bon à tirer de l’ouvrage. Mais l’organisme caritatif s’est rétracté au dernier moment : en deuxième lecture, il exige que soient retirées les deux pages signées par Dany [1], jugées beaucoup trop "sexy" dans le contexte de cet ouvrage. les responsables d’Amnesty et l’auteur s’entendent d’abord pour modifier le texte d’accompagnement, où Dany prenait position par rapport à cette problématique.
« User de la violence est un signe d’impuissance et d’imbécillité, écrit Dany dans cette présentation. Celle faite aux femmes relève en plus d’une répugnante lâcheté. J’aime LA femme, ce n’est un secret pour personne. J’aime la femme libre, émancipée, intelligente... Mais certains esprits chagrins prétendront alors que mes albums coquins sont , d’une certaine façon, méprisants pour les femmes puisque je les représente souvent en "bimbo" très déshabillées et que c’est aussi une forme de violence. Je répondrai à cela que déshabiller une femme n’est pas du mépris, ce serait plutôt de la couvrir d’une burka qui est une vraie insulte à la dignité de la femme. Deuxièmement, ceux qui prennent la peine de lire mes albums se rendent très vite compte que ce sont les mecs qui sont surtout ridiculisés dans mes gags. Et enfin, j’ai la chance d’avoir un public féminin très important qui adore ces albums coquins ce qui prouve que les femmes ont énormément d’humour et comprennent que tout ça n’est finalement que de la caricature et qu’une caricature n’a jamais tué personne. C’est l’obscurantisme et fanatisme qui font des victimes. »
Mais cette prose ne passe pas auprès des responsables d’Amnesty. Ils font savoir à Sophie Flamand que le texte proposé par Dany est « en dessous de tout ». Il consiste, selon eux, en une justification maladroite de son travail.
Pour sortir de la crise, l’ONG proposa alors cette alternative : Soit Dany modifiait à nouveau son texte dans un sens moins justificateur, soit les pages seraient purement et simplement retirées. Une autre possibilité aurait été qu’Amnesty International rédige elle-même le texte incriminé.
Le secteur Lettres refusa ces propositions, considérant ces demandes contraires à la liberté d’expression. Le livre ne se fera donc pas avec Amnesty. Une majorité des auteurs se disent solidaires de Dany et approuvent la position du Secteur Lettres.
Dans un texte publié ce jour sur son site Internet, Amnesty Belgique se défend et réfute catégoriquement toute volonté de censure et se montre très étonné par le communiqué adressé par Sophie Flamand à la presse : « Cette planche nous a semblé ne pas cadrer avec la thématique générale de l’album, du moins sans un texte l’accompagnant et expliquant combien le sexisme est à la base de la violence conjugale et doit être combattu, dit Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty International Belgique. [...] Il est abusif - et insultant- de parler de censure ; chacun comprendra que lorsque l’on veut réaliser un album avec des objectifs pédagogiques, tout ne fasse pas farine au moulin, et que des choix éditoriaux peuvent et doivent être faits ».
Plus loin, Philippe Hensmans ajoute à quel point Amnesty International Belgique se doit d’être cohérent avec sa propre politique et respecter ses milliers de militants. Il conclut en disant qu’il ne saurait y avoir de censure puisque : « la planche de Dany a déjà fait l’objet de publications précédentes et est donc accessible largement à qui veut la lire ».
Il n’empêche qu’Amnesty International a, selon Sophie Flamand, approuvé l’ensemble du projet le samedi 11 février 2006, texte et dessin de Dany compris. Le bon à tirer avait même été signé par un responsable de l’organisation. Ce n’est que ces derniers jours qu’Amnesty International a changé d’avis et à décidé de ne pas associer Dany au projet. « C’est triste, nous confie Sophie Flamand, la demande de collaboration vient d’eux. Même si Le secteur Lettres de Wolu-Culture était l’éditeur de l’ouvrage, nous avons réalisé et financé tout ce travail à leur seul bénéfice. Dès septembre 2005, il a été question d’incorporer au projet Dany et ses petites dames sexy. Il ne s’agit donc pas d’une découverte de dernière minute pour eux ! »
Le directeur d’Amnesty International Belgique, quant à lui, regrette la prise de position publique de Wolu-Culture et cette polémique : « surtout pour les auteurs qui ont travaillé sur le sujet [...] et fourni une contribution que nous apprécions hautement. Nous espérons que ce travail ne sera pas perdu. Pour nous, la porte est toujours ouverte ; mais le cas échéant, si une autre organisation souhaite reprendre le flambeau, nous serions heureux que cela l’aide ».
Difficile de dégager les responsabilités des uns et des autres dans cette déplorable querelle. Il ne reste qu’à espérer que les parties s’entendent une fois que les discours se seront apaisés.
La violence intra-conjugale qui atteint, d’après les statistiques, une femme sur cinq en Belgique s’en trouverait mieux combattue.
(par Nicolas Anspach)
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En médaillon : Dany - Photo (c) Nicolas Anspach
[1] Ndlr : Une planche accompagnées par un texte
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