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Dimitri Kennes : « Ce MBO a pour objectif de préserver l’autonomie de Dupuis ».

Par Nicolas Anspach le 16 mars 2006                      Lien  
Moins d'une semaine après sa démission du poste de directeur général Dupuis, {{Dimitri Kennes}} a proposé, avec derrière lui avec l'ensemble du management de Dupuis - sauf une personne - de racheter la maison d'édition. Une initiative qui semble soutenue par de nombreux auteurs, certains même prêts à investir de l'argent dans cette aventure. Cette équipe espère ainsi préserver l'autonomie de Dupuis et son ancrage régional.

Il y a quelques semaines encore chez Dupuis, tout était calme, vous vous félicitiez des bons résultats de l’exercice 2005 et de la relance du journal de Spirou. Et puis là ?...

J’ai pris conscience de manière progressive que nous avions, le groupe Média-Participations et moi-même, une perception différente de l’autonomie des éditions Dupuis. J’ai eu plusieurs discussions avec les actionnaires de cette holding à ce sujet. En fait, je pensais sincèrement que nous pouvions arriver globalement à un résultat qui soit dans l’intérêt des éditions Dupuis et qui applanissent les choses qui posaient problème...
Je voulais également démontrer que nous étions capables d’offrir à nos actionnaires un résultat satisfaisant en ne publiant uniquement que de la bande dessinée européenne. D’autant plus que nous récoltions beaucoup de critiques sur l’état de notre catalogue. Il fallait également démontrer qu’il n’y avait pas un refus systématique des managers, du personnel et des auteurs de Dupuis de travailler avec le groupe Média-Participations. J’ai d’ailleurs toujours soutenu qu’une synergie entre les différentes maisons d’édition du groupe était profitable à tous. Les métiers industriels, tels la logistique par exemple, ont pour vocation d’être beaucoup plus rentables s’ils traitent des volumes importants. Pourquoi s’en priver ?
Mais j’ai vu progressivement des petites gouttes tomber. A chaque fois, je me demandais, si ce n’était pas celle-là qui ferait déborder le vase. Comme par exemple, lorsque j’ai été confronté au départ d’une personne du marketing. J’ai du négocier longuement avec Média-Participations pour pouvoir la remplacer : on me rétorquait : « Il vaut mieux embaucher une personne pour ce poste à Paris, pas à Marcinelle ».

Finalement qu’elle est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ?

L’équipe commerciale a été progressivement fusionnée. Nous sommes passés d’équipes défendant séparément les catalogues de Dupuis ou du groupe Dargaud/Lombard/Kana à des délégués qui devaient représenter l’ensemble des catalogues BD de Média-Participations.

On ne m’a pas demandé mon avis sur la question. J’ai donc eu l’impression que je n’avais plus rien à dire. Je ne critique pas la façon dont Média-Participations a réalisé ces restructurations. Il est possible que j’aurais agi de la même manière. Mais en tant que Directeur Général des éditions Dupuis, il me semblait logique de faire partie des personnes qui donneraient un avis sur la structure de l’équipe commerciale. N’oubliez pas que cela un impact sur la manière dont les livres seront présentés dans les points de vente...

Ces derniers mois, vous avez accordé des interviews aux principaux quotidiens belges en mentionnant que "tout était rose pour Dupuis". Pourquoi avoir entretenu cette idée, dès lors ?

Que "tout était rose chez Dupuis" ? Nuance ! Cette maison d’édition intéresse beaucoup la presse belge. On le voit d’ailleurs dans les différents articles qui sont consacrés à ma démission et à l’envie du management de racheter la société. C’est un des fleurons nationaux. Cette société est culturellement ancrée dans sa région, la Wallonie, et particulièrement à Charleroi. Les journalistes étaient intéressés par les résultats de Dupuis. L’année 2005 fut le premier exercice complet de Dupuis au sein du groupe Média-Participations. J’étais heureux de leur dire que l’on avait réalisé d’excellents résultats, sans mettre en œuvre les grosses synergies. Surtout dans le poste qui suscitera le plus d’économie d’échelle : la distribution.

Dimitri Kennes : « Ce MBO a pour objectif de préserver l'autonomie de Dupuis ».
Dimitri Kennes
(c) Nicolas Anspach

Pourquoi avoir mis en place cette tentative de « Management Buy Out » (MBO) [1] avec l’ensemble des managers, sauf un ?

C’est avant tout un risque important et une prise de position forte ! Les personnes concernées devaient être parfaitement convaincues du bien-fondé de l’opération et avoir le courage de la réaliser. D’autant plus, lorsque l’on est confronté aux méthodes d’intimidation de Média-Participations pour essayer de faire craquer ces personnes et une partie du personnel de Dupuis. Je salue le courage de tous ces collaborateurs qui prennent position de manière franche.

Lorsque j’ai indiqué à Média-Participations mon désaccord par rapport à leur stratégie, je leur ai présenté trois options : La première était que je continuais à mener ma mission de directeur général des éditions Dupuis, mais en la gérant de manière autonome, en respectant les budgets et en rendant des comptes aux actionnaires.
La deuxième consistait en ma démission.
Enfin, j’ai souhaité signifier ma confiance en l’entreprise en proposant une solution d’achat par un « Management Buy Out ».
Vincent Montagne [2] m’a signifié une fin de non recevoir concernant la proposition de MBO ou d’exercer ma fonction de directeur général de Dupuis de façon autonome. J’ai donc démissionné...

Les managers de Dupuis proposent alors leur candidat pour vous succéder...

Effectivement. Le comité de direction a proposé une solution afin d’éviter que mon départ ne provoque trop de catastrophes à l’intérieur de la maison d’édition. Ils avaient choisi un candidat parmi eux qui reprenne pour leur compte les remarques que j’avais formulées, tout les adoucissant et en les nuançant.

Claude de Saint-Vincent intervient alors et rejette cette proposition du personnel de Dupuis. Suite à cela, les managers me contactent : ils se disent déçus. Ils ont le sentiment de ne pas avoir de réponse à leurs questions. Ils retirent donc la candidature du manager sélectionné et me demandent, dans la foulée, de leur parler de ma proposition de MBO.

J’avais déjà étudié cette procédure d’achat lorsque j’étais directeur financier de Dupuis. Mon prédécesseur, Jean Deneumostier, avait envisagé cette opération en 2003. Mais la CNP d’Albert Frère, l’ancien propriétaire, avait refusé cette proposition. J’en connaissais donc déjà les procédés et les rouages. Je leur ai confirmé être capable -à priori- de réunir, en six mois, les fonds nécessaires et surtout d’organiser une structure pour y arriver. Des contacts avec des investisseurs potentiels faits ensuite me rassurent et confirment que ce n’est pas une solution utopique. Je préviens donc les managers des conséquences d’une telle opération, tant par rapport à leur relation avec Média-Participations, que par rapport aux risques financiers personnels importants qui découlent d’un MBO. Tous, sauf un, acceptent de se mettre en danger. J’ai été très flatté qu’ils pensent à moi pour conduire cette opération...

La seule option est-elle la séparation ...

Oui. Un changement d’actionnaire, mais nous ne sommes pas contre le fait de continuer à développer certaines synergies avec Média-Participations. Sur le plan industriel, notamment.

Vous parlez de la distribution ?

Effectivement. Parlez aux personnes qui me connaissent, ils vous diront que je suis un homme ouvert au dialogue. J’ai essayé d’appeler Vincent Montagne ce mercredi. Il ne me répond pas et semble avoir une attitude fermée à mon égard. Cela corrobore le fait que nous ne nous comprenons pas ! Il serait plus sain pour toutes les parties que l’on puisse se parler. Or, d’après ce que j’entends, les cadres de Marcinelle perçoivent plus une attitude d’intimidation et de menace de la part de Média-Participations qu’une politique d’ouverture et de projets.

Pour ma part, je peux expliquer concrètement nos objectifs aux partenaires sociaux, au personnel et aux auteurs : Un projet d’entreprise basée sur l’autonomie.

Les actionnaires de Dupuis, eux, nous critiquent, nous menacent et nous dénigrent. On nous rétorque que la stratégie de Média-Participations n’est pas de se séparer de Dupuis. C’est bien beau de dire cela, mais quelle est la stratégie de Dupuis ? Cela confirme l’absence totale de stratégie pour la maison d’édition de Marcinelle.

Qu’est ce qui pousserait Média-Participations à céder Dupuis ?

L’objectif avoué de la holding lors du rachat de Dupuis à son précédent propriétaire, était de réaliser une intégration sereine et réussie de l’éditeur au sein du groupe. La question aujourd’hui n’est plus de savoir comment cela va se faire, mais de prendre conscience que cette intégration est un échec ! L’ensemble des fonctions dirigeantes, y compris la direction générale, exprime que la stratégie de Média-Participations n’est pas le bon schéma pour la pérennité de Dupuis. Tous ces managers sont loin d’être des imbéciles et exercent, pour beaucoup, leur fonction et leur responsabilité depuis des années au sein de la même maison. Il me semble que l’on peut donc considérer cela comme la preuve d’un échec ! Quand on en vit un, il est inutile d’en connaître directement les causes ou d’en dégager même les responsabilités : il vaut mieux trouver la meilleure manière de se dégager de l’impasse...

Il se dit que Média-Particaptions souhaite élaborer des stratégies éditoriales communes et payer les auteurs à l’unisson.

Je ne veux pas rentrer dans ce débat. C’est plutôt la définition de l’autonomie éditoriale de Dupuis qui pose problème. Il n’a jamais été remis en question que Dupuis ne puisse pas publier les livres que les comités éditoriaux veulent accompagner. Mais le rôle de l’éditeur, qui est en relation étroite avec l’auteur, est de défendre son œuvre, de la promouvoir et de négocier l’ensemble des droits (dérivés ou audiovisuels) qui nous ont été confiés. La personne qui a signé un contrat d’édition avec un auteur doit pouvoir être décideur dans chacune de ces étapes. Tout simplement parce qu’une maison d’édition a une philosophie éditoriale et une manière de travailler qui lui est propre.

Je peux expliquer à chacun des auteurs de Dupuis le contexte dans lequel nous travaillerons, la philosophie éditoriale de Dupuis et surtout être garant des personnes avec lesquelles ils vont travailler.

Il serait souhaitable que Média-Partipations dépense de l’énergie à nous expliquer leur projet d’entreprise plutôt qu’à critiquer les « managers dissidents ».

Pour ma part, je préfère centrer le débat sur des projets, des objectifs et une manière de travailler plutôt que sur des personnes. On explique apparemment au personnel de Dupuis que je suis malhonnête, ambitieux, et que je recherche à « piquer la place de quelqu’un d’autre ». Je rétorque évidement aux personnes qui ont subi ce discours que ce n’est pas vrai. Les gens qui me connaissent savent que je suis un homme honnête et sincère.

Mais où est le débat dans tout cela ? La question n’est pas de savoir si Dimitri Kennes est honnête ou ne l’est pas ... Si les managers de Dupuis sont des personnes sincères et de confiance, ou pas ... Ce ne sont pas les personnes qui sont importantes, mais les idées et les projets !
Si cette tentative de MBO devait ne pas aboutir, je préférerais que l’on perde parce que de meilleurs arguments ont été formulés par la partie adverse.... Mais pas à cause de pression ou de représailles qui ont pour objectif de désolidariser un groupe de personne qui portent des idéaux.

Vous semblez souhaiter une intervention du politique pour servir de médiateur...

Les citoyens confient aux élus des responsabilités pour défendre des matières économiques et culturelles. Il me semble donc naturel qu’ils donnent leur point de vue. D’autant plus que l’ancrage wallon de Dupuis est en danger. L’un des fleurons économiques de Charleroi est en train de perdre son identité au profit d’un groupe étranger.
Oui. J’interpelle ces personnes. D’autant plus que nous offrons des garanties du maintien de l’outil industriel à Fleurus (qui génère une cinquantaine d’emploi). Quand j’étais directeur général de Dupuis, je n’ai jamais réussi à obtenir de Claude de Saint-Vincent cette même garantie. Les fonctions les plus représentatives de Dupuis doivent rester à Marcinelle ! C’est important que les stratégies de l’entreprise tiennent compte des préoccupations régionales.

Certaines personnes disent que Claude Gendrot serait sur le départ, d’autres pas ...

Il y a une véritable culture d’entreprise chez Dupuis. Notre manière de travailler nous permet de créer des liens d’amitié, tout en ayant des rapports très professionnels et parfois conflictuels. Je m’implique énormément dans mon travail. Je ne me vois pas passer autant de temps au bureau sans avoir des relations sincères avec les personnes avec lesquelles je travaille. Cette manière d’être correspond d’ailleurs au monde de l’édition : on ne peut pas traiter un auteur comme un client ou un fournisseur ! Les auteurs nous confient leurs œuvres, leur patrimoine. Cela implique une relation différente basée sur la sensibilité et la sincérité.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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La rédaction d’Actuabd publiera dans les heures qui viennent une interview de Claude de Saint-Vincent, laissant ainsi à toutes les parties la possibilité de s’exprimer dans nos pages.

Les propos de Dimitri Kennes ont été recueillis ce mercredi 15 mars 2006.

[1achat d’une société par ses cadres et éventuellement son personnel.

[2PDG de Média-Participations

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