Pouvez-vous nous résumer la situation actuelle ?
Ce lundi matin, Claude de Saint-Vincent, le directeur général adjoint du groupe Média-Participations, nous a signifié, à Alain Flamion [1] et moi-même, que nous étions réintégrés sans condition parmi le personnel des éditions Dupuis. Nous lui avons rétorqué que celle-ci dépendrait de la suite des événements et en particulier de l’ouverture de négociation quant à l’autonomie de Dupuis. On ne peut quand même pas virer des employés comme des malpropres le vendredi et les réembaucher le lundi matin en leur disant : « Désolé. Nous nous sommes trompés, vous n’avez pas commis de fautes graves ». Ce manque de crédibilité n’est pas acceptable. Alain et moi-même, nous ne sommes pas des pions que l’on bouge sur un échiquier. Nous sommes des êtres humains ! Nous reviendrons au sein de Dupuis lorsque des négociations sérieuses s’ouvriront et qui porteront sur les problèmes posés par les managers à propos de l’autonomie éditoriale, commerciale, marketing et de gestion des droits dérivés de Dupuis. Cette discussion doit se faire sans aucun tabou et doit être tenue en présence de Dimitri Kennes, l’ancien directeur général de la maison d’édition. On devra également y aborder la problématique de l’actionnariat de Dupuis.
Claude de Saint-Vincent certifie pourtant un communiqué envoyé ce lundi aux journalistes que Dupuis conservera son autonomie éditoriale et managériale ...
Ce ne sont que des paroles ! Il a tenu ces mêmes mots devant le personnel et la soixantaine d’auteurs qui étaient présents chez Dupuis. Nous attendons du concret. Les auteurs lui envoient une lettre où ils disent soutenir la politique menée par Dimitri Kennes et moi-même. Ils y confient également leur souhait de continuer à travailler avec eux. Claude de Saint-Vincent répond à ce message en me licenciant. Cette attitude est un mépris total pour les auteurs. Comment peut-on lui faire confiance après cela ?
Une rumeur porte sur le fait que les managers dissidents de Dupuis -tous sauf un- sont des gens manipulés ...
Manipulé par qui ? Dimitri Kennes ?
On le suppose.
C’est affligeant, diffamatoire et méprisant de penser cela. La moitié de ces managers travaille depuis des décennies dans le monde de l’édition ou depuis de nombreuses années chez Dupuis. Franchement, nous avons acquis suffisamment de compétence et de bouteille pour que l’on prenne conscience d’une éventuelle manipulation. Je peux vous assurer que cela n’est pas le cas. Si les personnes de Média-Participations continuent à tenir ce genre de propos au lieu de parler d’idées, nous allons nous défendre devant les tribunaux.
Claude de Saint-Vincent pense que cette crise est artificielle et créée par un discours uniquement émotionnel et est en contradiction totale avec les faits...
Pour démontrer cela, il lui suffit d’ouvrir des négociations sereines. Il faut prendre le temps de réfléchir les uns et les autres pour résoudre la crise et surtout de laisser au placard les querelles personnelles. Passons aux actes. Tout ce que dit Claude de Saint-Vincent n’est pour l’instant que du vent !
Votre discours a évolué. Vous souhaitez ne racheter qu’une partie des actions, et non plus l’ensemble des parts de Dupuis à Média-Participations...
Il ne peut pas y avoir de perdant ou de gagnant dans cette affaire. Tout le monde doit y gagner quelque chose, et ce pour le bien de Dupuis. Nous sommes persuadés qu’il ne peut pas y avoir d’autonomie véritable sans changement d’actionnariat de Dupuis. Média-Participations peut évidement rester actionnaire. Cela nous permettra de trouver les synergies nécessaires entre les maisons d’édition pour mener à bien notre métier d’éditeur de bandes dessinées.
La nomination d’Huguette Marien, l’épouse de Jean Van Hamme, au poste de directeur général de Dupuis est-elle une bonne nouvelle ?
J’ai beaucoup d’affection pour Huguette. C’est une femme agréable, cultivée et intelligente. Si elle souhaite m’entendre, je serais présent avec les autres membres du comité de direction pour partager avec elle mon opinion...
Plus de cent vingt auteurs ont écrit à Média-Participations pour témoigner de leur attachement à Dimitri Kennes et à vous-même. Près de la moitié de ceux-ci a débarqué à Marcinelle ce lundi matin pour soutenir le personnel dans son action...
Ces marques d’affection me touchent énormément. Je suis ému à chacun de leur message ou appel téléphonique. Ils me donnent la force de continuer. L’essentiel de mon métier -et la chose la plus importante- se résume à ma relation avec eux. Dupuis n’existerait pas sans les auteurs ! Les auteurs doivent continuer à s’intéresser à cette problématique car c’est leur avenir qui est en jeu. C’est également une certaine idée de l’édition qui est en cause aujourd’hui, et que nous défendons ensemble...
Défendre une philosophie éditoriale humaine ...
Dans une lettre que j’ai écrite aux auteurs, je leur ai confié qu’il fallait avoir pour une maison d’édition, et Dupuis en particulier, des yeux de Chimène et pas ceux d’Harpagon. Tout simplement parce qu’il y a des personnes de chair et de sang qui créent, accompagnent la création, ou promeuvent ces bandes dessinées. Une maison d’édition est basée sur les relations humaines. Média-Participations ne parle que de chiffres, de capital, de résultats. Où sont les livres et la création dans tout cela ?
Il faut bien entendu avoir un résultat bénéficiaire pour se donner de meilleurs moyens de développer la maison d’édition. Grâce à cela ou pourra se permettre d’accompagner des œuvres plus audacieuses où de permettre à des nouveaux auteurs d’émerger et de s’épanouir, notamment grâce au journal de Spirou. Or, je n’ai jamais entendu les personnes de Média-Participations tenir ces propos ...
Nous souhaitons développer Dupuis de la même manière que ces vingt derniers mois. Et ce, bien sûr, sous l’impulsion de Dimitri Kennes. Nous voulons continuer ce projet avec les auteurs. Alors où est le problème ?
Il est simple : Média-Participations démantèle peu à peu l’intégrité historique et culturelle de Dupuis, ainsi que son autonomie éditorial et commerciale. Un peu comme ils l’ont fait pour le Lombard. Que représente cette dernière maison d’édition aujourd’hui ? Sans doute des éditeurs possédant une liberté éditoriale. Mais le restant de la vie du livre se décide à Paris ! Nous ne voulons pas de la « Lombardisation » de Dupuis !
Pourquoi les droits dérivés et audiovisuels devraient-ils rester de la seule compétence de Dupuis ?
Lorsque nous signons un contrat avec les auteurs, ceux-ci nous cèdent leurs droits de manière globale. Nous leur sommes redevables d’exploiter leurs droits comme nous l’entendons. Ils est impensable qu’ils cèdent leurs droits à Dupuis et que ceux-ci soient exploités par un « vaste agglomérat » au sein de Média-Participations. Une entité dans laquelle la direction générale de la maison d’édition concernée n’aurait aucun rôle. Vis-à-vis des auteurs, c’est impensable. C’est par loyauté envers les auteurs que Dimitri Kennes et l’ensemble des managers de Dupuis - sauf une personne - osent dire cela. Ceci dit : il est normal qu’il y ait des synergies entre les maisons d’édition de Média-Participations concernant ces matières. Mais les employés de ces entités mixtes devraient obligatoirement rendre des comptes à la l’éditeur de la licence. Le contraire n’est pas acceptable.
Les auteurs cèdent leurs droits à Dupuis, pas à Média-Participations. La nuance est importante !
(par Nicolas Anspach)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Propos recueillis le 20 mars 2006
Le communiqué de Claude de Saint-Vincent
Photos (c) DR.
[1] le responsable logistique, distribution et informatique de chez Dupuis
Participez à la discussion