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Luc Brunschwig : "La collection 32 de Futuropolis a une liberté de ton et d’écriture"

Par Nicolas Anspach le 19 juin 2006                      Lien  
Un lien de confiance et de complicité unit le scénariste {{Luc Brunschwig}} à {{Sébastien Gnaedig}}, qu'il a donc suivi au fil de ses « pérégrinations éditoriales », des Humanoïdes Associés à Futuropolis, en passant par Dupuis. Luc Brunschwig a troqué sa casquette d'auteur contre celle d'éditeur, quelques heures par semaine : Il accompagne les auteurs qui ont signé des projets dans la [collection « 32 »->3403] de Futuropolis. L'auteur n'en oublie pas pour autant ses premières amours, le scénario : {Le Sourire du Clown, Après la Guerre et La Mémoire dans les Poches} sont parus récemment chez cet éditeur.

Pourquoi avoir accepté de devenir le directeur littéraire de la « collection 32 » de Futuropolis ?

Votre question est simple, mais demande une réponse longue et compliquée. J’ai depuis de nombreuses années une relation privilégiée avec Sébastien Gnaedig. Ma présence au sein de différentes maisons d’édition découle du fait que cette même personne en a été responsable éditorial, de Delcourt à Futuropolis, en passant par les Humanoïdes Associés et Dupuis. J’ai toujours eu envie de le fréquenter et surtout qu’il accompagne mon travail.

En Septembre 2004, il quittait Dupuis pour assumer la direction éditoriale de Futuropolis.

Cette vieille et honorable maison d’édition a été rachetée par Média-Participations, propriétaire entre autre de Dargaud et Lombard.
Ce rachat a été un coup de tonnerre pour nous deux. Voire pire : un coup de semonce qui annonçait une irrémédiable dérive. Alors que Dupuis avait réussi à préserver un travail et une relation de proximité avec ses auteurs, voilà que cet éditeur devenait un satellite d’une structure qui ressemblait fort à une concentration accrue de la production. Média-Participations est le plus grand groupe voué à la bande dessinée et est, en quelque sorte, « un monstre industriel » fait pour produire des albums.
Cette vision peut paraître un tantinet alarmiste, mais il était évident que la BD que nous aimions, Sébastien et moi, aurait de moins en moins de place dans un système de production où le temps, le travail artistique, la compréhension des originalités ne sont pas des priorités.
Nous commencions donc à nous demander quel pouvait être notre avenir au milieu de tout cela. Avions-nous envie de continuer à faire de la BD, alors que tout ce que nous avions à dire ne serait plus entendu ?

Luc Brunschwig : "La collection 32 de Futuropolis a une liberté de ton et d'écriture"
Morvan et Sylvain Ricard se mettent en scène dans "Guerre Civile"
Une série édité dans la collection 32

Gallimard et Soleil ont donc décidé de créer un nouveau label, Futuropolis.

Oui. J’étais même prêt à casser ma tirelire pour monter la maison d’édition dont nous avions envie, lorsque ce duo d’éditeurs a contacté Sébastien Gnaedig.
Il m’a expliqué que ces deux éditeurs étaient prêts à investir de l’argent pour mettre en avant une bande dessinée d’auteurs. Sébastien me parlait d’une maison d’édition où l’auteur serait bien encadré, lui laissant le temps du travail bien fait. Une structure où le travail commercial serait pertinent, pour chaque univers, et en direction d’un lectorat peu habitué à la BD.
Les paroles de Sébastien ont été un véritable soulagement, car cela rejoignait ma vision de la bande dessinée.

Ce n’est pas le cas des autres éditeurs ?

Non. Je reproche à beaucoup d’éditeurs de réaliser parfois des albums un peu plus courageux, mais dans un but purement d’images. Peu d’investissement vient appuyer de telles créations. Même les planches sont sous-payées à l’auteur. On compte sur la BD commerciale pour faire rentrer l’argent et sur ces albums-là pour s’assurer quelques prix et quelques critiques flatteuses !

Vous aviez pourtant trois projets signés chez Dupuis au moment de ce « transfert ».

Effectivement. J’étais prêt à suivre Sébastien en tant qu’auteur. J’ai aussitôt récupéré ces projets pour les transférer à Futuropolis. Je tiens d’ailleurs à remercier Claude Gendrot, l’ancien directeur éditorial, pour sa subtile et parfaite compréhension de ma démarche.

Et donc, concrètement, comment est née la collection « 32 » ?

L’un de ces projets, Après La Guerre, était une série prévue sur plus de cinq cents pages. Or, Futuropolis n’avait pas la vocation, à l’origine, de publier des séries. De plus, Sébastien Gnaedig, n’avait pas envie de retrouver l’éternel carcan de quarante-six planches dans le catalogue !
Puisque nous étions un laboratoire, censé faire avancer la BD tant sur le fond que sur la forme, nous nous sommes mis à imaginer comment nous aimerions éditer des séries : sans carcan, avec plus de liberté de ton et d’écriture, et aussi répondre au besoin économique des lecteurs. Ceux-ci n’ont pas forcément envie de dépenser 12,5 € par album...
Nous avons donc mis au point un concept de publication en chapitre de 32 pages, au format souple, qui reviendrait deux ou trois fois par an en librairie. Ces volumes de 32 pages sont vendus à 4,90, ce qui en fait les albums de création les moins chers en vente en ce moment en librairie.

Extrait du T1 d’Après la Guerre

Vous avez alors décidé de vous y impliquer ?

Oui. Sébastien Gnaedig a compris, à travers nos discussions, que j’étais prêt à m’impliquer dans une structure. Il m’a proposé de relever ce défi et d’assumer la direction éditoriale de la collection.

Votre « carrière » de scénariste en a-t-elle souffert ?

Non. Au contraire, je dirais. On ne m’a jamais autant lu qu’en ce moment. Cela m’a juste obligé à une gestion différente de mes journées et à structurer mon emploi du temps. J’ai ainsi conservé, en permanence, une énergie, une immersion, qui me permet d’être plus efficace et concentré.

Mais vous arrêtez une série et avez mis un terme à votre projet de série parallèle à Makabi...

J’ai effectivement confié Angus Powderhill à Kris. C’est un accident indépendant de Futuropolis. J’ai eu une espèce de panne d’envie vis-à-vis de ce personnage et de cet univers. Cela ne m’était jamais arrivé. C’est assez terrifiant, surtout pour le co-auteur qui attend les planches et ne voit plus rien arriver.
Quant à la spin-off de Makabi, elle ne correspondait plus vraiment à ma façon de voir et d’écrire cette série. J’ai donc préféré l’abandonner.

Extrait du T1 d’Après la Guerre

Sur quels critères vous basez-vous pour inclure un projet dans cette collection, plutôt que dans une autre ?

Ce sont des critères assez flous. Mais quand un projet est destiné pour la collection, je le sens immédiatement. L’histoire doit aborder des thèmes forts, rarement exploités en bande dessinée, avec des personnages aux psychologies réellement travaillées. Les héros ne doivent pas être des personnages classiques. Ils doivent être surprenants, différents et apporter un vrai regard sur leurs parcours. Leurs rapports avec le monde, dans lequel ils évoluent, sont importants.
Nous pouvons retrouver ces ingrédients dans une BD de genre : anticipation, polar et même héroïc-fantasy. Mais il faut que le genre serve à donner corps à une vraie vision d’auteur.

La pagination de trente-deux pages n’est-elle pas légère pour qu’une intrigue puisse captiver le lecteur ? Ce format ne permet-il pas juste de mettre en place un univers ?

Pour les premiers tomes, oui ! Mais combien d’albums de 46 planches ne sont, aujourd’hui, que des mises en place de choses dont il faudra attendre un an, ou plus, pour voir prendre corps ? Par contre, le format de trente-deux planches permet à la suite des histoires d’être beaucoup plus rapidement publié ! Le lecteur ne doit donc pas attendre indéfiniment que le récit commence enfin ! La collection « 32 » a une vraie logique de feuilleton !
Les lecteurs des deuxièmes tomes de l’Idole dans la bombe ou de Guerres civiles ont déjà pu s’en rendre compte...
Ce format permet aussi de créer de vrais chapitres, et donc de repenser le rythme et la dynamique de chaque épisode. Le scénariste peut donc donner du souffle plus rapidement à son histoire, plutôt que de la laisser s’essouffler sur une trop longue pagination.

Dans votre nouvelle série, « Après la Guerre », vous avez créé un monde futuriste fort pessimiste. Les pauvres représentent la majeure partie de la population occidentale. Est-ce votre vision de l’avenir ? Ou est-ce une métaphore des dérives sociétales et politiques de notre monde ?

C’est davantage un sentiment vis-à-vis du présent qu’une certitude par rapport à l’avenir. L’économie mondialisée ne fait qu’accroître la pauvreté des pays européens et la pauvreté est en train de s’y installer... avec son propre système économique : supermarché discount, marques « premier prix », familles toujours de plus en plus surendettées.
Les gens sont de plus en plus pauvres, mais les marges bénéficiaires des industriels n’ont pas diminué, bien au contraire.
Les entreprises sont obligées de se délocaliser vers des pays où les salaires sont microscopiques. Cette délocalisation permet de produire à moindre coût et donc de vendre moins cher à des européens, qui sont de plus en plus pauvres. Et ce, sans que les marges bénéficiaires ne baissent. Tant qu’il y a des gens plus pauvres que nous dans le monde, il y aura moyen, en Occident, de se faire de l’argent sur le dos de gens plus démunis.

Le graphisme de la série se révèle être très sombre. Etait-ce le meilleur parti-pris graphique pour cette série ?

Je n’en voyais pas d’autre, d’autant que la série a été conçue pour Freddy Martin, dont c’est naturellement le style. Et puis, grâce à son graphisme j’ai pu faire sentir le poids de toute cette misère, sans m’apesantir sur des centaines d’anecdotes qu’un dessin plus lisse aurait rendu nécessaire. Avec Freddy, la pauvreté est là et elle ronge littéralement les images.

Pouvez-vous lever le voile sur Holmes, votre prochain grand projet ?

L’histoire débute le 4 mai 1891, avec la mort de Sherlock Holmes aux chutes de Reichenbach. Holmes s’est sacrifié pour entraîner ave lui celui qu’il considère comme le génie absolu du crime : le professeur Moriarty.
Watson est bien sûr effondré, ainsi qu’une partie du peuple londonien qui s’était attaché à ce personnage au travers des récits du docteur.
Watson ne se doute pas alors qu’il va se lancer dans une grande enquête qui va tout lui révéler de Sherlock Holmes et de sa famille.
Le dessin est réalisé par Cécil, le dessinateur du Réseau Bombyce. Son travail est sublime... tout simplement. L’histoire sera composée de 12 chapitres à paraître dans la collection 32.

Pouvez-vous nous parler de la Mémoire dans les Poches ?

Cet album est paru le 8 juin dernier et a été créé avec Etienne Le Roux. C’est une première pour nous deux : c’est sans doute mon récit le plus intime, le plus personnel, alors qu’Etienne a abandonné son style réaliste pour un semi-réalisme en pleine couleurs, magnifique de chaleur, d’expressivité et une simplicité narrative parfaitement maîtrisée.
L’histoire paraît chez Futuropolis. Elle comprend 86 pages.
Un second tome verra le jour, mais il racontera une histoire qui se déroulera trois ans plus tard, avec les mêmes personnages... je n’en dis pas plus.

Extrait de la Mémoire dans les poches

Pourquoi est-ce votre bande dessinée la plus personnelle ?

J’y aborde le thème de la famille et des rapports entre parents et enfants (vieux parents et enfant adulte) sans passer par un filtre. Dans Makabi, je parlais de la famille au travers celle, atypique de Lloyd Singer, mais dans un contexte de série polar.
Dans La Mémoire dans les poches, je me base entièrement sur des choses vécues et ressenties, en les déformant ou en les poussant à leur paroxysme. Les bases de ceux-ci sont vraiment fondées sur des moments personnels et des émotions qui m’ont touché tout au long de ma vie. Et puis, La Mémoire dans les poches aborde le thème de la relation père-fils, qui est d’autant plus importante pour moi, que j’ai perdu mon papa, voici très exactement sept ans ! Le jour de la sortie de l’album correspondait à l’anniversaire de sa mort. Un signe du destin assez troublant...

Extrait de Makabi T4.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Photo en médaillon (c) Olivier Neuray
Les illustrations de "La Mémoire dans les Poches" sont (c) Le Roux, Brunschwig & Futuropolis.
Les illustrations de "Après La Guerre" sont (c) F. Martin, Brunschwig & Futuropolis.
Les illustrations de "Guerres Civiles" sont (c) Gaultier, Ricard & Morvan & Futuropolis.
Les illustrations de "Makabi" sont (c) Neuray, Brunschwig & Dupuis.

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