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Nicolas Pothier : "Mon but était de jouer avec les codes et les clichés du polar".

Par Erik Kempinaire le 29 juin 2006                      Lien  
Le scénariste lyonnais Nicolas Pothier vient de publier une perle noire, un polar aux références multiples, un album de nouvelles qui se révèle être un des meilleurs livres de cet été 2006. Pour mieux connaître ce jeune et talentueux auteur, nous l'avons soumis à un passage à tabac amical.

Comment êtes-vous arrivé dans le milieu de la bande dessinée, quel est votre cursus ?

Après le Bac, j’ai fait des études de documentaliste et de communication d’entreprise. J’ai passé un an de coopération en Afrique et, à mon retour, le hasard m’a dirigé vers le jeu vidéo. Je suis resté dix ans salarié chez Infogrames/Atari en évoluant d’infographiste à Directeur artistique. Sans un subit plan social, j’y serais encore ! Mon licenciement m’a poussé à faire ce que j’avais envie de faire depuis très longtemps : de la BD. Mais je suis véritablement rentré dans ce milieu en travaillant pour le mensuel BoDoï dès le premier numéro en 1997...

Est-ce votre occupation principale ?

Aujourd’hui, l’écriture est ma principale activité. Mais je ne fais pas que de la bande dessinée, je travaille encore pour le jeu vidéo pour lequel j’écris scénarios et dialogues. Il m’arrive même de vendre mes services pour pondre des accroches publicitaires !

Nicolas Pothier : "Mon but était de jouer avec les codes et les clichés du polar".
Extrait de Ratafia

Qu’aimez-vous dans le polar et quels sont vos auteurs favoris ?

Chez les auteurs français, j’aime beaucoup Jean-Bernard Pouy, le créateur du Poulpe. Je partage avec lui le plaisir du jeu de mot et aussi le fait que son nom de famille commence comme le mien. Sinon, j’ai bien entendu lu des gens comme Ellroy, Westlake, Chesbro ou Manchette. Même si leurs noms ne commencent pas comme le mien.

Quelles sont vos influences en musique, littérature et cinéma ?

J’écoute beaucoup de jazz et d’une certaine manière, ça influence ma manière d’écrire : quand la musique va vite, j’écris vite et quand la musique est lente, je m’endors ! (Rires) En littérature, j’aime des gens comme Echenoz, Philip Roth, Albert Cohen et je garde un souvenir ému d’Enid Blyton. Sinon, ça fait longtemps que je ne vais plus au cinéma, pour preuve les quelques références cinématographiques de Voies Off : Nous avons gagné ce soir de Robert Wise, Sept ans de réflexion de Billy Wilder et Le baiser du tueur de Stanley Kubrick. Trois films réalisés avant 1956 ! Ok, j’avoue : à l’époque, je n’allais pas beaucoup au cinéma non plus.

Comment avez-vous rencontré Yannick Corboz ? Quelles sont ses qualités qui ont fait que vous décidiez de collaborer ?

On s’est rencontrés chez Infogrames. Il travaillait dans le studio de développement interne. Un jour, je lui ai proposé le scénario de Robert, une des histoires courtes de Voies Off que nous avons placée dans un hors série de BoDoï . On a enchaîné avec Marcel, une autre histoire courte qui a été publiée dans feu Métal Hurlant. A partir de là, c’était parti ! On a tout de suite enchaîné avec notre premier album : Woody Allen chez Nocturne... Outre ses indéniables qualités techniques, Yannick a de l’instinct pour une mise en scène efficace et c’est un redoutable coloriste. Je crois qu’il va vraiment percer dans les années à venir.

Est-ce une influence des comics américains qui vous a fait opter pour un tel format ou est-ce une contrainte voulue par l’éditeur ?

Les deux, mon capitaine ! Le format « comics » se prête bien aux histoires courtes, je crois. Le sujet aussi. Et puis 13Etrange a une collection d’albums petits formats qui pouvait accueillir ce projet.

Pourquoi vous faire éditer chez 13étrange, n’avez-vous pas envie de publier dans une plus grande maison ?

Les grandes maisons d’éditions à qui j’avais parlé de ce projet m’ont toutes répondu : « Les histoires courtes, ça ne marche pas ! » Je n’avais plus qu’à chercher chez un plus petit éditeur. Entre temps, il y a eu Ratafia et le bon accueil de la série. Ça devenait naturel que Voies Off se retrouve chez 13étrange.

Extrait de "Voies Off"

Pour "Voies off", vous maniez une langue à chemin entre l’efficacité des récits hard boiled [1] américain et une sensibilité très "audiardienne", que pensez-vous de cette analyse et était-ce votre but ?

Mon but était de jouer avec les codes et les clichés du polar. Je voulais également jouer avec le fameux procédé de la voix off. Sur du récit court, l’efficacité n’est pas une option, c’est une obligation. Il faut que ça « pête » dés la première image, que ça surprenne à la dernière et qu’on s’ennuie pas au milieu. Ça peut être facile sur une histoire, ça devient un challenge de se renouveler sur dix nouvelles ! Concernant « la musique » du texte, je voulais être ironique pour accentuer l’humour noir des situations.

Vous publiez aussi, avec Salsedo, les aventures de Ratafia, pouvez-vous nous présenter la série ?


Que se passerait-il si une entreprise - entité vouée au profit - se trouvait soudain dirigée par un président philanthropique ? C’est le point de départ de Ratafia. Sauf que l’entreprise, c’est un bateau de pirates... Sinon, c’est une série humoristique, avec des situations absurdes et des dialogues à double sens. Y’a aussi un perroquet repeint en vert dedans et une femme qui fait semblant d’être muette.

Quelles sont les origines du projet ?

L’origine de Ratafia vient du jeu vidéo. Au départ, je voulais monter un projet avec un copain dessinateur avec qui je travaillais chez Infogrames. Il avait dans ses cartons un projet de jeu vidéo... avec des pirates ! Je parcours son dossier et je tombe sur un pirate en tutu sur un tonneau. C’est ce dessin qui a tout déclenché. J’ai essayé d’imaginer comment un pirate pouvait se retrouver en tutu sur un tonneau

Ex Libris pour Ratafia.

Est-ce une série pour enfants ou pour adultes - le dessin étant très joyeux et clair tandis que le texte regorge de jeux de mots difficilement appréciables par un trop jeune public ?

Ratafia est vraiment une série tout public. Les enfants peuvent lire une histoire de pirates idiots et s’amuser de l’absurdité des situations. Les parents, eux, apprécieront les jeux de mots et les références. Le décalage entre le texte et le dessin a effectivement été un handicap au départ. Beaucoup de lecteurs sont passés à côté en pensant que Ratafia était une série jeunesse. D’ailleurs une grosse maison d’édition a refusé le projet parce qu’elle ne savait pas dans quelle collection le mettre ! Ce cloisonnement purement marketing est crétin. La preuve - nous le voyons bien aujourd’hui en dédicace - nous avons un public vraiment large en terme d’âge.

Si je vous présentais, pour Ratafia, comme le scénariste fruit des amours impossibles entre Goscinny et Raymond Devos, qu’en penseriez-vous ?

Qui ? (Rires) ...Je ne sais pas trop quoi vous répondre. Votre comparaison est très flatteuse mais elle est aussi très disproportionnée. Je ne cache pas l’influence d’Astérix et surtout d’Iznogoud dans Ratafia. Disons que René Goscinny est un phare pour moi : inaccessible certes, mais qui montre la direction. Goscinny avait un vrai respect du lecteur et il pariait sur son intelligence, sans démagogie. Je garde toujours ça en tête.

On vous connaît aussi comme le responsable de la rubrique du pinailleur dans Bodoï, mais y a-t-il des pinailles dans vos propres séries ?

Je tiens à le dire solennellement : je suis le plus mauvais pinailleur de la terre ! Je ne vois jamais rien quand je lis une BD ! Mon boulot, c’est surtout de trier dans le courrier des lecteurs psychopathes de BoDoï qui comptent les marches d’escalier et les perles aux colliers des filles...(Rires) Sinon, je vous le confirme : Ratafia est truffé d’erreurs !!! Fred Salsedo en a même mis quelques unes exprès pour être publié dans BoDoï . Mais je refuse d’utiliser la place privilégiée qui est la mienne pour promouvoir notre album. Oui bon, d’accord, c’est le rédacteur en chef qui refuse...

Quels sont vos prochaines sorties et projets ?

Ratafia 3 sortira début novembre, en même temps qu’un BDMusic (dessiné par Pat Masioni) sur Israel Vibration, le groupe de reggae. En attendant je travaille sur un projet de western et sur plusieurs autres BDJazz. Et bien entendu, je vais attaquer le scénario du tome 4 de Ratafia avant la fin de l’année...

(par Erik Kempinaire)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

[1Ce terme qui signifie littéralement "dur à cuire", désigne un genre de polar noir violent et réaliste dont Dasshiel Hammet est le chef de file.NDLR.

 
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