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Pierre Cattan : « Nous avons voulu montrer une politique faite de longues phrases, pas de petites phrases »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 octobre 2006                      Lien  
Avec « Un Autre Monde est Possible » (Éditions Hachette), Pierre Cattan et François Olislaeger réalisent un reportage dessiné d'une rare pertinence au cœur du sommet altermondialiste de Caracas qui faisait suite à celui de Porto Alegre. Ils donnent à lire, en termes clairs et ludiques, les arcanes et les enjeux de la mondialisation. Enfin un livre politique amusant!
Pierre Cattan : « Nous avons voulu montrer une politique faite de longues phrases, pas de petites phrases »
"Un autre monde est possible" par P. Cattan et F. Olislaeger
Editions Hachette Littérature

Issu d‘une rencontre entre Pierre Cattan, 28 ans, co-fondateur et actuellement rédacteur en chef du magazine T.O.C., ancien membre du bureau national de l’UNEF et le dessinateur de presse François Olislaeger (Le Monde, Libé, Les Inrocks...), 28 ans lui aussi, et auteur (avec Pauline Fondevilla) du très remarqué Little P in Echoes Land chez Denoël Graphic, cet album, qui reprend le titre d’un célèbre article d’Ignacio Ramonet publié dans Le Monde Diplomatique devenu le mot d’ordre Attac et du Forum Mondial de Porto Alegre, raconte leur voyage à Caracas, à l’occasion du sommet des altermondialistes qui a eu lieu dans la capitale vénézuélienne. Un rencontre internationale qui réunissait la plupart des têtes pensantes de ce mouvement qui réfléchit à une alternative aux actuels clivages politiques qui régissent la planète, tant du point de vue économique, que celui du développement durable, ou encore celui de la culture. Une aventure singulière au milieu de figures de l’ultra-gauche et de l’utopie politique. On les retrouve logées dans un Hilton trois étoiles et protégées par les soldats du président Hugo Chavez, un local de l’étape reçu en guest-star.

Ce livre a été quoi pour vous, une expérience, une initiation ?

Pierre Cattan : Déjà, je suis impliqué. Il y a une très belle phrase de Desproges qui explique la différence entre « être impliqué » et « être concerné » : « Dans l’œuf au bacon, la poule est concernée et le porc est impliqué » . Moi, je me sens comme le bacon, je suis impliqué. J’avais une grande curiosité pour ce sommet parce que depuis Seattle [1], on sait que nous sommes devenus incapables de digérer le présent. On a toujours tendance à digérer ce qui a été conçu il y a trente ans. Cela a été le cas pour les débats de 1968 qui ont produit cette génération complètement égocentrée et qui pense qu’il ne s’est rien passé depuis. Or, depuis Seattle en 1999, j’ai pris conscience qu’il y a un mouvement de contestation citoyenne, très fort, très transversal, et qui fait preuve d’un internationalisme que l’on avait pas vu depuis super-longtemps et qui n’a même pratiquement jamais existé auparavant, un mouvement connexe à la mondialisation. Ce mouvement-là, je le suis, parce qu’il me fascine et que je veux en être depuis le début. Je sais que, pour l’histoire, c’est ça qui compte et que 1968 est un prélude de tout ça, composé quant à lui de bourgeois qui allaient à l’université, alors que les trois-quarts des gens de leur âge allaient à l’usine. L’altermondialisme, en revanche, est un mouvement dans lequel beaucoup de gens n’ont rien à voir les uns avec les autres : ce sont des paysans, des universitaires, des étudiants, des gens du nord, des gens du sud, des pauvres, des riches, des intellectuels, des analphabètes... Ça, je le sais depuis Seattle. Je me disais : "Putain, il y a quelque chose qui se passe là !" On n’est pas capable de l’assimiler aujourd’hui mais dans trente ans, ces idées auront triomphé. Nous, cela fait deux ans que, dans T.O.C., on fait ce travail génial de traduire ce mouvement au travers de reportages dessinés, où l’on croise nos regards.

Olivier Besancenot au bord de la piscine à Carracas dans "Un autre monde est possible" par Pierre Cattan et François Olislaeger
Editions Hachette Littérature

L’altermondialisation nous apparaît souvent comme un ensemble de discours prêts à penser qui dérapent parfois, comme à Durban...

Oui, ou comme à Londres. A Durban, parce que c’était une conférence sur l’environnement et que les mecs ont commencé à mettre à l’ordre du jour des trucs sur Israël. Il y a eu des alliances un peu bizarres entre des écologistes, des trotskystes et des islamistes sur la ligne : « Nous avons un ennemi commun qui est le capitalisme ». Ce genre de discours dont Garaudy était un peu le précurseur, aboutit à une sorte d’alliance rouge-brune qui a resurgi de ses cendres à la faveur de ces événements. De même, au Forum Social Européen de Londres, il n’y avait aucune raison de parler des lois sur le foulard. Or, c’est ce qui a été fait, sous la pression des islamistes. Avant de faire ce reportage, on s’est dit que ce type de discours était une nouvelle forme de « politiquement correct » qui méritait d’être passée à la moulinette de la critique satirique et qui s’en retrouverait grandi. Il fallait que l’on aille au coeur de ces gens dont c’est la vie de militer, de palabrer et de croire, ces professionnels de l’altermondialisme qui font cinq sommets par an. On avait envie d’être parmi eux, de se foutre de leurs gueules et, en même temps, de restituer leurs discours parce qu’il est vrai qu’il passe vraiment à la trappe dans les grands médias.

Attac est en pleine crise en ce moment. C’est un constat d’échec à propos d’une certaine manière de concevoir et de faire de la politique ?

Pour bien comprendre la crise que vit Attac, il faut lire notre BD, vraiment, c’est au cœur de notre propos... Non, je rigole. Je pense que l’étape qu’est en train de vivre l’altermondialisme aujourd’hui se répercute au sein même d’Attac. Il réalise qu’il doit passer de l’état de plateforme qui regroupe le plus grand nombre, à la nécessité de se positionner par rapport aux uns et aux autres. Cette BD a beau être un reportage, elle est avant toute chose un récit « fictionné ». On n’a pas voulu expliquer l’altermondialisme mais bien rencontrer les gens qui font ce mouvement et essayer de voir ce qu’ils avaient à nous dire. Il se trouve qu’ils ont plein de choses à dire. On n’allait pas leur demander de faire les clowns alors qu’ils avaient des choses sérieuses à raconter. Nous, on s’est chargé de faire les clowns à leur place !

S’il y a quelque chose que le livre réhabilite, c’est le militantisme.

Ouais. C’est l’enthousiasme dans l’action.

Pierre Cattan et François Olislaeger
Une complicité amusée. Photo : D. Pasamonik

Donc, votre livre, ce n’est pas « L’altermondialisme pour les nuls » ?

C’est une façon de montrer la politique sans faire du marketing, de vivre la politique à travers de longues phrases, et pas des petites phrases, et où le sens l’emporte un peu. Après, on décrit le défaut de cela, c’est qu’il y a des réunions soporifiques, so-po-rifiques ! Un film en noir et blanc sous-titré en moldave qui dure quatre heures et demi est moins chiant que cinq minutes de ce genre de réunion-là !
Par ailleurs, c’est quelque chose d’inédit dans l’histoire, on y trouve aussi des analphabètes qui parlent une langue autochtone non reconnue par leur état et qui se retrouvent autour d’une même table avec le directeur du Monde diplomatique. Ils discutent des mêmes sujets, et cela, on peut en dire ce que l’on veut, Mai 1968 ne l’a jamais fait , ni même auparavant, aucun autre mouvement citoyen !
C’est incroyablement galvanisant : on est tous contemporains de ce mouvement. Des Indiens astèques, des Inuits, des Intouchables indiens,... discutent avec José Bové de Via Campesina [2]. Les gens qui traitent l’information aujourd’hui le font mal car ce mouvement n’est pas représenté dans les médias. Et quand il l’est, c’est soit de façon folklorique, soit technique, or il n’est ni l’un, ni l’autre. C’est juste quelque chose d’assez enthousiasmant qui se passe aujourd’hui. C’est-ce que nous voulions transcrire dans notre reportage.
Il y a en tout cas une remise en cause des choses, telles qu’elles se présentent, ce qui est intéressant et utile. Je ne crois pas que ce soit réservé aux gens qui ont une opinion super arrêtée, une idéologie ou une énorme culture générale. C’est ça aussi l’idée de cette BD : On peut montrer que les réflexions que mènent les altermondialistes dans leurs réunions concernent tout le monde. C’est un débat qui doit être public, comme l’est celui sur le réchauffement climatique. Il n’y a aucune raison que ce soit un truc confiné à un certain milieu puisque, de fait, cela ne l’est pas ! La bande dessinée, à ce propos, est quelque chose de formidable parce que l’on peut mélanger le beau et le sensé, sans être pour autant casse-couilles.

Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 9 septembre 2006.

"Un autre monde est possible" par Pierre Cattan et François Olislaeger
Editions Hachette Littérature

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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François Olislaeger et Pierre Cattan - Photo D. Pasamonik.

[1Le 30 novembre 1999, entre 50.000 et 100.000 personnes se sont réunies à Seattle, au moment où avait lieu une importante réunion de l‘Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C). Cette manifestation organisée via l’Internet a surpris tout le monde par son ampleur et son retentissement. C‘était le premier mouvement social d‘importance dirigé contre la mondialisation en marche.

[2La structure internationale de la Confédération paysanne.

 
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