Coups de cœur et sautes d’humeur

La BD belge aux affres de l’état-radin

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 31 octobre 2003                      Lien  
2003 aurait pu être, pour la BD belge, une sorte d'apothéose. Le Festival International de la BD à Angoulême venait d'honorer l'un de nos meilleurs auteurs, le dessinateur François Schuiten, nommé président du trentième festival. Anobli l'année précédente, le baron-président invita les princes royaux à inaugurer une rue Hergé au cœur même d'Angoulême. Un succès média garanti.

En juin, un nouveau musée de la BD s’ouvrait à Bruxelles, le Musée Jijé, entièrement financé par un mécène, François Deneyer, soucieux de donner une visibilité à ce que les historiens appellent « L’Ecole de Marcinelle », en référence avec la patrie d’origine du Journal de Spirou.

Le Centre Belge de la Bande dessinée proposait, comme chaque année, plusieurs événements de qualité, dont notamment en fin d’année une exposition sur Hugo Pratt et une autre sur Guido Buzelli, dans le cadre d’Europalia Italie.

D’autres initiatives eurent lieu en Belgique : une rétrospective « Munoz-Breccia, l’Argentine en noir et blanc » au Palais des Beaux-Arts de Charleroi et une autre en novembre à Liège proposant une magnifique hommage à Giraud/Moebius.

Enfin, Paris accueille deux expositions de prestige honorant la création belge : l’une au Musée de l’Homme consacrée à Blake & Mortimer et à Jacobs (dont on fête le centenaire en 2004) et l’autre, sous la forme d’un happening s’étendant sur plus de 1000 m2 consacrant les vingt ans du Chat de Geluck. Inutile de dire que ces initiatives donnent à la BD belge un rayonnement sans égal.

Si les villes de Charleroi et de Liège s’honorent d’efforts ponctuels, Bruxelles quant à elle, se distingue par un soutien extrêmement lâche à un art qui lui donne pourtant une bonne part de son image. Sa politique semble cantonnée à un arsenal de demi-mesures et de promesses sans lendemain.

Nous ne souvenons que trop des pas de clerc de la Ville au moment du projet d’implantation du Musée Hergé à Bruxelles, rodomontades politiques dont il a été facile de faire porter le chapeau à l’intransigeance (entre nous soi-dit légitime) des ayant-droits d’Hergé. Sait-on que le Centre Belge de la BD survit avec moins de 10% de fonds publics et qu’il ne doit son maintien que grâce à une politique volontariste de ses dirigeants avec l’aide d’une poignée de sponsors ? Or, en ces temps difficiles, l’argent se fait rare et cela se traduit directement par une exposition permanente qui se dégrade à vue d’œil, des vitrines mal entretenues, des panneaux qui ne renouvèlent guère lorsqu’ils ont été abîmés par le public.

Savez-vous que les archives de Greg, l’auteur d’Achille Talon, de Bernard Prince, de Bruno Brazil, de Luc Orient et rédacteur en chef historique du Journal de Tintin décédé en octobre 1999 ont fini à la poubelle parce qu’aucune institution belge n’a été capable de les recueillir ?

Savez-vous que le fonds de la Fondation Jacobs, fait de centaines de planches et de documents du maître de l’Ecole de Bruxelles, est en train de prendre la poussière parce qu’aucune autorité n’a pris sur elle d’en proposer la jouissance au public ? Quelle est la politique des institutions belges vis-à-vis de la BD ? La question se pose.

Le dépit devient fureur quand nous apprenons que le Musée Jijé risque de fermer ses portes faute du moindre soutien public. L’initiative méritait pourtant d’être saluée : Bruxelles devenait, devant Angoulême, la première ville à disposer de deux institutions non concurrentes consacrées à la BD. Une primauté tout à fait légitime quand on connaît la place historique qu’a pris cette industrie dans l’histoire de la BD mondiale. D’autant plus légitime que la Ville de Bruxelles a signé à Angoulême une « charte des villes BD » où la capitale belge figure aux côtés de Charleroi et des villes de Lucca (Italie), Kochi (Japon) et Amadora (Portugal)dans l’engagement de la défense du 9ème Art.

Je ne veux pas entrer dans les détails de la polémique sur le Musée Jijé. Il semble que c’est la concurrence entre les autorités qui est à l’origine de cette paralysie. Je constate simplement que la Ville, la Région et le Gouvernement belge se montrent particulièrement avaricieux quand il s’agit de soutenir un art qui a pourtant donné à la Belgique un rayonnement international, sans compter un apport économique substantiel, depuis de longues années, au commerce extérieur du pays.

Les représentants de cet état-radin n’ont pourtant pas hésité à se servir en temps utile quand il s’agissait d’encaisser les impôts provenant des royalties perçues par nos stars de la BD, au point de faire fuir quelques-uns de nos plus grands noms à l’étranger.

C’est pourquoi je supplie les autorités de créer au plus tôt une instance gouvernementale d’aide à la bande dessinée dont les compétences seraient liées à la valorisation de cet art en Belgique et à sa promotion dans les autres pays. Elle pourrait aussi bien veiller à défendre les intérêts des auteurs belges qu’à préserver un patrimoine qui me semble constituer une part appréciable de notre identité, au moment où la plupart des éditeurs belges sont contrôlés par des intérêts étrangers.

Pour le Musée Jijé, il faudrait dégager dans l’immédiat une ligne de crédit qui lui permette de subsister le temps de trouver des solutions à sa survie à long terme.
J’appelle à la générosité et au patriotisme des hommes politiques, qu’ils soient francophones ou flamands, pour lesquels la bande dessinée représente une réalité culturelle concrète. Je crois rejoindre en cela l’opinion de beaucoup de Belges.

Didier Pasamonik [1]

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Cet article a été publié dans la rubrique "Carte Blanche" du quotidien belge "Le Soir" en octobre 2003.

[1Journaliste, éditeur et historien de la BD, créateur des Editions Magic-Strip et Bethy, ancien directeur général des Humanoïdes Associés, Didier Pasamonik habite aujourd’hui à Paris.

 
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2 Messages :
  • > La BD belge aux affres de l’état-radin
    3 novembre 2003 15:27, par Jean

    C’est vraiment une honte ! Il faut soutenir toutes les actions comme le musée Jijé. Il s’agit avant tout de notre patrimoine culturel. Les archives de Greg à la poubelle !!! N’existe-t-il pas l’équivalent de nos Archives Départementaux ou des Sociétés Savantes comme en France qui réalise un travail de sauvegarde formidable en Belgique ? Si oui, que font-il ?

    Répondre à ce message

    • Répondu le 5 novembre 2003 à  10:24 :

      ... A vrai dire, il me semble que le CBBDI d’Angoulême a également une responsabilité dans l’affaire des archivres GREG. Cet auteur était belge de naissance, mais français d’adoption !

      Répondre à ce message

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