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Lettre ouverte de Joann Sfar à Luc Brunschwig et certains usagers des forums de BD

26 mars 2006 5 Commentaires
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Excédé par les propos qui se sont tenus sur certains forums à la suite des événements qui secouent depuis plusieurs jours les éditions Dupuis, Joann Sfar nous a demandé de publier la lettre ouverte ci-dessous.

Il répond en particulier au scénariste Luc Brunschwig qui avait eu des mots assez durs à l’endroit de Dargaud et de son éditeur Guy Vidal, ou encore vis-à-vis des éditions Delcourt. Il appelle le scénariste à "plus de réserve et d’élégance".

Par ailleurs, il donne un éclairage sur les relations qu’ont entretenues les éditions Dupuis et certains auteurs de la "Nouvelle Bande Dessinée" ces dernières années.

DP

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LA LETTRE OUVERTE DE JOANN SFAR

Cher Luc Brunschwig, chers usagers des forums de bandes dessinées,

Je ne veux pas intervenir dans la cacophonie relative au litige opposant l’équipe éditoriale de Dupuis et son actionnaire. Bien qu’étant présent depuis près de quinze ans au catalogue de Dargaud et de Dupuis, je persiste à penser qu’il n’est pas de mon devoir de rajouter au cirque ambiant.

En revanche, sous couvert d’apporter un regard « éclairé » à cette affaire, certains ne se privent pas de régler des comptes et de verser dans l’invective. On sait depuis longtemps que les forums de bandes dessinées peuvent tolérer certains dérapages, mais lorsque Luc Brunschwig décide de s’en prendre avec si peu d’élégance à l’éditorial de Dargaud et à la mémoire de Guy Vidal, j’estime que ça va beaucoup trop loin.

Cher Luc, tu ne te prives pas de donner des leçons à la terre entière et d’insulter la mémoire et le travail de gens qui me sont chers et qui ont fait la preuve de leur compétence et de leur réel attachement au métier d’éditeur . Il faut que tu nous dises une fois pour toutes si tu te considères comme un professionnel dont la parole doit avoir un certain poids ou comme un type qui déblatère à la terrasse d’un bistro.

J’ai pour ton travail de scénariste le plus grand respect et je te considère depuis longtemps comme un type bien. Cependant il me semble qu’internet t’amène à écrire des choses indignes de toi. Utiliser la récente affaire Dupuis pour accabler l’éditorial Dargaud comme tu le fais est proprement inexcusable. Comme si c’était l’équipe éditoriale de Dargaud qui avait racheté Dupuis !

Tu te permets d’écrire noir sur blanc que Dargaud récupère des auteurs qui ont eu du succès ailleurs pour bâtir leur catalogue, en parlant vraisemblablement de Poisson Pilote. Il me paraît important de te rappeler que Lewis Trondheim, David B et moi-même avons signé chez Dargaud en 1994, c’est à dire avant même d’avoir publié à l’Association nos livres les plus connus. Que tu ne travailles que marginalement pour cette éditeur ne t’autorise pas à salir ainsi son image. Les liens que plusieurs générations d’auteurs ont tissé avec Dargaud vont bien au delà du rapport professionnel et je suis plus pudique que toi ce qui m interdit de les évoquer dans une lettre ouverte.

Malheureusement, tu t’autorises à aller plus loin dans tes interventions, tu vas jusqu’à minimiser le travail extraordinaire de Guy Vidal (et je fais dans l’euphémisme). Sache que c’est Guy Vidal qui a ouvert à tous les auteurs de ma génération la porte de chez Dargaud. Sache que cet homme nous envoyait une lettre pour commenter tous nos livres, même ceux qu on publiait ailleurs que chez lui. Sache qu’il s’occupait de nous mieux qu un père et que pour chacun d’entre nous il est irremplaçable. Philippe Vandooren a laissé semblable souvenir chez Dupuis et je te souhaite un jour de laisser autant de regrets derrière toi. Pour mémoire, l’éditorial Dupuis n a pas toujours été le décideur avisé que tu évoques. A titre personnel, Dupuis reste l’éditeur qui a refusé successivement : Donjon, le Professeur Bell, Petit Vampire, Le Chat du Rabbin, Merlin et Socrate le demi-chien . C’est l’éditeur qui a dit non à Isaac le Pirate et qui remplit aujourd’hui sa collection Expresso avec des clones de Christophe Blain ou de Nicolas De Crécy. Dupuis a eu dans son catalogue rien moins que Larcenet, Zep, Blain et moi. Ils nous ont tous laissés partir ailleurs sans jamais rien faire pour nous retenir. Dupuis reste pour moi la maison qui a fermé la porte à ma génération et qui essaie de se rattraper en prenant ceux qui s’en inspirent. Lewis Trondheim leur a proposé, il y a quatre ans, de dessiner et d’écrire un Spirou, ils ont refusé, ils ont trouvé ça choquant et Lewis a du transformer son Spirou en Lapinot et il l’a publié chez...Dargaud. Et aujourd’hui, s’apercevant bien tard que l’idée de Lewis était la bonne, on nous propose des Spirous revisités par des tas d’auteurs, un peu le principe de Donjon adapté à Spirou en quelque sorte. Malgré tout cela je reste très attaché à Dupuis et je pense qu’il s’agit d’une maison d’édition formidable. Je persiste à penser que Claude Gendrot est un éditeur éclairé, intelligent et capable de beaucoup pour défendre ses idées. Cher Luc, je ne m’autoriserai jamais à écrire publiquement les insultes et les sentences méprisantes que tu vomis à longueur de mails. Tu te gargarises de ton récent statut de directeur de collection. Il me semble que cette nouvelle position devrait t’imposer plus de réserve et d’élégance. Je t’ai entendu sur un autre forum cracher sur l’éditorial de Delcourt, maison qui t’a nourri pendant une dizaine d’années et qui a contribué à ton succès. Je te souhaite, sous ta casquette d’éditeur, de ne jamais croiser d’auteur aussi ingrat.

Si tel est ton plaisir, continue de grimper sur les barricades pour défendre l’édition alternative contre le grand capital, heu, non, c’est autre chose mais peu importe. Continue tes bagarres, si c’est une occupation qui te fait plaisir, mais évite dorénavant d’insulter des maisons où tu n’as manifestement pas su trouver ta place. Je crois utile de te redire que je ne suis pas le seul a avoir gardé de Guy Vidal ce souvenir merveilleux. Guy Vidal n’était pas un sous-fifre et les portes qu’il a ouvertes pour nous n’étaient pas faciles. Tu trouveras sans doute en Larcenet, Blain, Sattouf, Trondheim, Fred, F’Murr, Giraud, Druillet, Brétécher, Gotlib, Christin et des centaines d’autres des avocats encore plus acharnés que moi. Je crois que le minimum que tu nous doives, à nous et à sa famille, c’est des excuses publiques.

Joann Sfar

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