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Fritz Lang revisité par Jon J. Muth

Par Patrice Gentilhomme le 30 juillet 2009                      Lien  
Dans cette adaptation du célèbre "M le maudit", Jon J. Muth nous propose de revisiter complètement ce film-culte.


Les relations ambigües ou parfois confuses qu’entretiennent bande dessinée et photographie sont susceptibles du meilleur comme du pire. Le graphisme utilisé dans la BD réaliste obéissant souvent à une documentation formelle, la plupart des auteurs ont recours à la photo dans leur création.

Les uns le revendiquent très nettement en l’intégrant à leur style graphique, les seconds, même bien dissimulés, ne peuvent pas tromper le lecteur attentif.

Associer les deux modes d’expression en vue d’une création originale n’est pas si facile et les grandes réussites dans ce domaine restent suffisamment rares pour être remarquées : à côté de l‘incontestable brio du Photographe ou des photo-montages d’un Fred, certaines tentatives cachent mal le contournement de réelles difficultés d’expression graphique et s’apparentent plus à un collage laborieux sans esprit qu’à une véritable démarche créative.

Avec Jon J. Muth, nous assistons à une synthèse réussie et efficace des deux médiums. L’homme est non seulement connu comme illustrateur pour la littérature enfantine, peintre et musicien, mais aussi des amateurs de comics par sa démarche graphique caractéristique des années 1980 dans la mouvance d’un Bill Sienkiewicz ou d’un Dave McKean que sont des œuvres comme Moonshadow avec J. M. DeMatteis. On signalera sa contribution au Sandman de Neil Gaiman ou encore Dracula et The Mystery Play écrits par Grant Morrison.

Popularisée par le film de Fritz Lang, l’histoire qu’il nous livre ici est archi-connue : dans le Berlin des années 1930, ce qu’on appellerait aujourd’hui un « serial killer » sème la terreur dans la ville en assassinant des petites filles. La police, impuissante face à ce meurtrier insaisissable, harcèle la pègre locale pour qu’elle lui livre le coupable. Gênée dans ses activités, celle-ci décide alors de rechercher le criminel. Commence alors une vaste chasse à l’homme dans les bas-fonds de la ville...

Fritz Lang revisité par Jon J. Muth
Une passionante relecture du film de Fitrz Lang
Jon J. Muth. Editions Emmanuel Proust

En choisissant d’adapter le chef-d’œuvre immortel du cinéaste allemand, Muth, n’a pas choisi la facilité. Tout le monde connaît peu ou prou l’histoire et les images célébrissimes du film. Le style graphique du dessinateur, des peintures d’inspiration « photo-réaliste » renvoient si facilement à l’imagerie expressionniste de Lang que l’on serait tenté de se demander ce que peut apporter ce type d’adaptation et rester sceptique sur l’intérêt d’une telle démarche. Et pourtant !

Restant au plus près de l’esprit original (notamment par un travail très maîtrisé des ambiances et les lumières), il réussit malgré tout à nous faire revisiter ce grand classique du thriller. Grâce à un découpage précis et rythmé, une mise en page personnelle et efficace, le lecteur cinéphile (ou non) se retrouve captivé par une histoire qu’il connaît souvent… par cœur. Il faut dire que cette réécriture de M le maudit joue aussi bien sur notre mémoire visuelle du film que sur un toilettage réussi de l’intrigue et des ambiances. Dans une postface passionnante, l’auteur « dévoile » quelques secrets de l’adaptation, décrivant comment chacune de ses photos (matière première de ce graphisme si particulier) a été faite « de douleur, de perte et d’envie », comment « chaque photographie, une fois dupliquée, retravaillée [...] dégageait une émotion intense différente de celle du cliché ». La lecture de cet objet hybride, écartelé ente roman-photo et narration classique d’un comics ordinaire, rend particulièrement concrets et pertinents les propos de l’auteur.

L’objet proposé par les éditions Proust magnifie cette œuvre si singulière : format distinct d’un album classique, reliure soignée et papier de qualité… font de ce roman graphique un objet atypique et remarquable.

À noter la préface et la post-face de l’auteur et d’Adam Kempenaar (éditeur du magazine de cinéma Filmspotting) qui re-précisent avec pertinence le sens de cette démarche artistique rare.

(par Patrice Gentilhomme)

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M - Par Jon J. Muth d’après Fritz Lang - Editions Emmanuel Proust

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© Jon J Muth- Editions Emmanuel Proust

 
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5 Messages :
  • Fritz Lang revisité par Jon J. Muth
    30 juillet 2009 10:56, par Sergio Salma

    Est-ce que l’on considère que le film de Lang est dans le domaine public ? Il me semble étonnant que l’on puisse reprendre exactement les mêmes plans d’une oeuvre cinématographique sans avoir à se soucier des mêmes lois qui protègent les photos.

    L’auteur et l’éditeur y ont certainement pensé mais ça me laisse malgré tout perplexe. Le découpage a forcément été refait de A à Z, mais nous avons là des centaines d’emprunts et de retranscriptions très fidèles .

    Si la loi le permet, sûr qu’on aura bientôt droit à Nosferatu ou à toute une série de films-culte de ces années-là...Et pourquoi pas plus anciens encore.

    Le livre risque de susciter un intérêt. Pour ma part, se tourner vers une oeuvre remarquable pour créer du neuf me paraît étrange .Il y a sans doute un vrai travail narratif mais ça nous ramène à des expériences frustrantes. On est presque dans une démarche pop art, dans un collage.
    Etre si près de cette oeuvre originelle va induire un manque. Celui d’avoir le film perpétuellement en mémoire (sauf pour ceux qui ne l’ont pas vu bien sûr) et la beauté des images ne sera chaque fois imputable qu’aux auteurs et au cadreur d’origine. Excepté la bulle qu’on viendra y plaquer.

    J’imagine sans peine pourquoi des dessinateurs sont ainsi impressionnés par cette beauté plastique. On a retrouvé chez beaucoup d’auteurs cette admiration revendiquée( Munoz et l’expressionnisme
    allemand déjà par exemple) mais cette référence était en filigrane. Le cinéma est une source d’inspiration pour beaucoup ; il me semble plus intéressant de laisser se transformer cette admiration sans rester dans la plate reproduction. Même si le graphisme qui en découle est magnifique.

    Est-on avec ce livre dans une adaptation classique et donc dans le registre du" tout en bd, des recettes de Jean-Pierre Coffe aux chefs-d’oeuvre immortels" ? Ou bien peut-on le classer dans une autre catégorie ? On peut trouver ces concomitances séduisantes, on filme comme on dessine, on dessine comme on filme dont l’ exemple parfait est Sin City) . Pour ma part , en tant que simple lecteur j’ai besoin de ressentir que l’auteur a une vision du monde au travers de son média sans qu’il aie besoin d’être à ce point dépendant de la vision d’ un AUTRE artiste pour exister.

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    • Répondu le 30 juillet 2009 à  17:19 :

      cette adaptation date d’il y a plus de quinze ans. Comme c’est un livre pour le marché américain (et que le droit us et plus dur que nous sur le droit de succesion des oeuvres), et que le film n’est pas encore tombé dans le domaine public, l’éditeur us a forcément payé quelques chose aux ayants droits.
      Pour ma part, je trouve cet album anecdotique. Il ne se comprend que dans la démarche de l’auteur pour rendre hommage à un réalisateur qui l’a profondément marqué. D’ailleurs, je trouve bien dommage que ce grand dessinateur qu’est Jon J. Muth soit connu des français par ce livre alors qu’il a fait deux chef-d’oeuvres que sont Moonshadow et Mistery-Play.

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    • Répondu par F BIANCARELLI le 30 juillet 2009 à  19:11 :

      Ce ne sont absolument pas les mêmes plans ni les mêmes images ni les mêmes acteurs...
      C’ est une réécriture pas si ininteressante que ça

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      • Répondu le 28 août 2012 à  19:26 :

        Je ne suis pas d’accord. Peintes à l’aquarelle plutôt qu’au fusain, les scènes finales sont pleines de tension. L’identification du lecteur avec l’assassin fonctionne très bien dans la BD ! À lire.

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  • Fritz Lang revisité par Jon J. Muth
    30 juillet 2009 22:02, par The Joke

    Ce M le maudit m’a l’air d’être tout pompé sur La marque Jaune !!!

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