Elles deviennent rares les occasions pour les Tintinophiles, les Bruxellois comme les autres, de se réunir sous l’égide du reporter à la houppe. L’événement a de quoi étonner. Ces dernières années, on était plutôt abonnés aux mauvaises nouvelles lorsqu’un projet festif devait s’articuler autour de la création d’Hergé. Bien des bonnes volontés s’étaient cassées le nez devant un refus strict de la Fondation Hergé et de son animateur Nick Rodwell. Encore récemment, les 175 ans de la naissance de la Belgique avaient été entachés par une dispute entre la Fondation Hergé et les organisateurs de cet événement. Quant aux relations entre la même et la Ville de Bruxelles, elles s’étaient soldées il y a quelques années par un échec quand il a fallu choisir le terrain d’un futur musée Tintin. Il devrait être construit (mais quand ?) à Louvain-La-Neuve dans le Brabant Wallon. Un livre de Hugues Dayez, Tintin et les héritiers, décrivait d’une façon grinçante et guoguenarde les occasions manquées des héritiers d’Hergé. Les admirateurs du maître alternaient entre la joie de voir la société Moulinsart, les éditions du même nom et la Fondation Hergé multiplier les beaux ouvrages ou les expositions de prestige autour du grand homme, et une profonde irritation devant l’impression que donnait la Fondation de vouloir régenter de façon autoritaire un héritage qui semblait pourtant pour beaucoup un patrimoine commun. Le premier Festival Tintin semble vouloir inverser la tendance...
Un festival biennal ?
« Nous sommes ravis d’accueillir ce festival, annonçait d’emblée Freddy Thielemans, Bourgmestre de la Ville de Bruxelles, accompagné d’un policier habillé comme l’agent 15, dans un discours ponctué de mots bruxellois. Nous voulions nous réapproprier le caractère bruxellois du personnage d’Hergé. ». Son échevin au tourisme Philippe Decloux qui a créé récemment une association « Bruxelles BD » destinée à accueillir les manifestations dédiées à la BD dans la capitale de l’Europe et qui constate que le Centre belge de la BD accueille pas loin de 250.000 visiteurs par an, se réjouit qu’enfin un rendez-vous régulier s’organise autour de celui qu’il considère comme « le premier enfant de la ville ». [1] Il souligna combien Nick Rodwell et la Fondation Hergé ont été enthousiasmés par ce projet. « Tintin est un excellent symbole pour Bruxelles » conclut-il. En réponse, Nick Rodwell ne manqua pas de signaler le décalage notable entre ce type d’événement et l’image déplorable que les médias donnent de la Fondation Hergé et de lui-même. Il ajouta : « Je remercie avant tout Hergé, car on oublie souvent l’auteur, de nous permettre de faire ce que nous faisons aujourd’hui » .
Charles Dierick (voir notre entretien) nous expliqua que c’est suite à une demande de la Ville que la Fondation s’était mobilisée à partir d’un projet très rapidement esquissé. L’ancien directeur artistique du Centre Belge de la BD semble avoir été l’élément fédérateur de cet événement construit à la hâte, en près de trois mois. Il imagine que le rendez-vous pourrait devenir biennal et s’étonne déjà de l’enthousiasme que ce projet emporte en l’état. Les discours terminés (on passe sur celui d’une ministre juste contente d’être là), Freddy Thielemans invita l’assemblée à boire le pot de l’amitié. « Une fois n’est pas coutume, dit-il un peu vachard, c’est la Fondation Hergé et Moulinsart qui vous invitent. Je ne vous dirai pas en revanche ce que la Ville a investi dans cette affaire... »
Toute la Belgique tintinophile.
La cour d’honneur de l’Hôtel de Ville était pleine. Le tout-Bruxelles de la Tintinophilie entourait Fanny et Nick Rodwell, les héros du jour : les huiles de chez Casterman, notamment Etienne Pollet, le petit-fils de Louis-Robert Casterman, celles de la Fondation Hergé et des éditions Moulinsart : Sophie Tchang, Didier Platteau, Philippe Goddin, Bernard Tordeur... Des correspondants de la presse japonaise, une poignée d’ « Amis d’Hergé », sauf Stéphane Steeman, sans doute en villégiature à Roquebrune. Guy Decissy, le fondateur du Centre belge de la BD et ancien assistant d’Hergé, la fille de Jacques Laudy... Jean-Pierre Talbot, le « Tintin » des Oranges bleues (sans mèche, et avec quelques années de plus) demandait à Fanny Rodwell : « - Et alors, ce film avec Spielberg ? » « Oh, il faut demander cela à Nick », répondait-elle, se refusant à tout commentaire.
Tout ce petit monde se mit en branle aux accents sonores de la « Philharmonie de Moulinsart » pour se rendre dans la rue de l’étuve toute proche. Là, sous les fenêtres de Denis Bajram et de Valérie Mangin, une foule compacte entendit les derniers discours avant que la Philharmonie entonne la Brabançonne, l’hymne national belge, en prévision de la Fête nationale qui a lieu le lendemain. Belle inauguration en fanfare !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon, le mur Tintin, rue de l’étuve à Bruxelles. Photos : Didier Pasamonik & Nicolas Anpach.
[1] « Avec le Manneken Pis... » corrigea aussitôt le Bourgmestre.
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