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Lelouch & Swysen : "Le film ’Toute Une Vie’ et son adaptation BD sont complémentaires"

Par Nicolas Anspach le 15 octobre 2005                      Lien  
Le deuxième et dernier album de {Toute Une Vie} est paru aux éditions Soleil ! Le réalisateur du film éponyme, {{Claude Lelouch}}, s'est investi dans l'aventure passionnante que lui proposait le dessinateur {{Bernard Swysen}}. La bande dessinée est fidèle au film et nous raconte les vies de deux personnes, Sarah et Simon, dans toute leur complexité humaine. Claude Lelouch et Bernard Swysen nous parlent de la naissance de ce projet.

Bernard Swysen, votre parcours est pour le moins atypique : un auteur de bande dessinée qui contacte un cinéaste, c’est du jamais vu !

BS : J’ai toujours été particulièrement impressionné par les films de Claude Lelouch. J’ai ressenti un véritable choc le jour où j’ai vu, pour la première fois, l’un d’eux. Il s’agissait des Uns et des Autres. J’adorais cette fresque qu’il bâtissait autour de ses personnages, et j’accrochais encore plus à sa manière de raconter des histoires. Il a un style qui lui est propre !
À lecture de sa biographie, j’ai ressenti un besoin de le rencontrer. J’avais l’impression de me reconnaître en lui. Bien sûr, je n’ai pas vécu les mêmes choses que lui, mais je me retrouvais dans sa manière de réagir aux aléas et aux bonheurs de la vie. Je sentais que j’avais beaucoup de points communs avec lui. J’ai donc souhaité le rencontrer, et surtout travailler avec lui.

Cela n’a pas dû être une mince affaire de le contacter ?

BS : Je lui ai simplement écrit une lettre de deux pages. Je lui ai expliqué pourquoi je pensais que, techniquement, sa façon de raconter une histoire collerait très bien à une BD. Trois jours après, j’ai reçu un appel téléphonique de son assistant. Claude avait apprécié ma lettre et désirait que l’on se voie. J’étais aux anges !
Je me suis donc rendu à Paris et il m’a accueilli dans son bureau de manière très conviviale. J’étais intimidé de me retrouver face à lui. J’avais l’impression de vivre le même stress que celui que j’ai ressenti à l’époque où tout jeune, j’allais montrer mes premières planches à Bob De Moor... L’ambiance s’est vite détendue. Et je lui ai donc expliqué de vive voix le contenu de ma lettre. Il m’a confié avoir très envie de travailler avec moi. Il s’était renseigné sur mon travail et appréciait mon style.

Lelouch & Swysen : "Le film 'Toute Une Vie' et son adaptation BD sont complémentaires"
Claude Lelouch & Bernard Swysen (2005)
Photo : Nicolas Anspach

Vous vouliez déjà adapter l’un de ses films en bande dessinée ?

BS : Pas du tout ! Claude en avait envie. Il m’a demandé d’emblée quel film je voulais adapter. À vrai dire, je ne voyais pas l’intérêt de réaliser une adaptation de l’un d’eux en bande dessinée. Un personnage de papier peut-il remplacer un acteur de la trempe de Lino Ventura ?
Mais il n’avait pas le temps de m’écrire une histoire originale, fort pris par ses projets de film. Au cours de notre conversation, il a eu une idée géniale : travailler sur la base de l’un de ses scénarios de film ! Il les écrit de manière fort détaillée. Le scénario idéal pour une bande dessinée.

Lorsque le personnage de ‘Toute Une Vie’ réalise son film retraçant sa vie

Le scénario n’est finalement pas très différent du résultat filmé, non ?

BS : Au contraire ! Claude improvise beaucoup sur ses tournages. Il change le scénario jusqu’au dernier moment, si bien que lorsque les acteurs rentrent sur le plateau, ils ne savent pas ce qu’ils vont dire ... Sur le tournage de la première partie du Genre Humain (Les Parisiens), Christina Reali me confirmait que Claude leur souffle le texte quelques minutes avant de tourner.
En lisant le scénario de Toute Une Vie, j’ai découvert de nombreux éléments qui diffèrent du film. Toutes ces petites choses qu’il n’a pas pu faire pour différentes raisons : manque de temps, ou une autre idée qu’il a eu envie d’exploiter à ce moment-là.

Quelle a été votre manière de travailler ?

BS : Nous nous voyons tous les mois, et peu à peu, il s’est pris au jeu. Claude a rajouté certaines scènes, comme par exemple la fin du premier album. Elle ne correspond pas aux scènes du film. En fait, Claude s’est impliqué plus que ce que je ne l’avais prévu. À mon plus grand plaisir.

Claude Lelouch intervenait-il dans le dessin ?

BS : J’ai eu la chance de ne travailler qu’avec des scénaristes avec lesquels j’étais sur la même longueur d’onde : André-Paul Duchâteau et Claude Lelouch. Nous sommes toujours du même avis. Lorsque j’arrivais à Paris pour montrer mes planches à Claude, il était toujours ravi. Il m’a cependant fait modifier un dessin à la fin du premier album, car il trouvait que l’avion de la dernière case était trop petit. Mais bon, c’était un détail.

La case modifiée par Claude Lelouch

Claude Lelouch [1], pourquoi avoir accepté le projet que vous présentait Bernard Swysen ?

CL : Tout ce qui ressemble à une surprise, à l’inattendu et à une aventure, m’attire. Je ne savais pas si c’était une bonne ou une mauvaise idée. Je ne connaissais pas Bernard. Mais son enthousiasme et son amour pour mon univers cinématographique m’ont séduit. Et puis, il faut respecter les passions car elles cachent généralement des vérités. Il y a toujours quelque chose de fort qui se cache derrière une passion.
J’ai eu envie de tenter l’expérience car l’idée était très originale. À vrai dire, je n’avais rien à perdre en acceptant ce projet.
Aujourd’hui, je suis heureux que ces deux albums existent car c’est une façon inattendue de visiter un vieux film. En fait, je serais triste s’ils n’avaient pas été publiés.

Vous lisez des bandes dessinées ?

CL : J’en lisais beaucoup lorsque j’étais adolescent, puis je m’en suis éloigné. Je me suis consacré à mes films. Mais la bande dessinée est en quelque sorte le parent du cinéma ! Ce sont deux arts différents, complémentaires, qui possèdent beaucoup de points communs. Le cinéma est déjà un art de synthèse, mais la BD l’est encore plus ! Une case de bande dessinée contient beaucoup d’éléments et « raconte » beaucoup de choses.

Comment définiriez-vous Bernard Swysen ?

CL : C’est un dessinateur formidable. Un homme patient, doté de beaucoup de bonté et de générosité. Il a envie de faire plaisir aux autres. Et chez lui, ce n’est pas du tout démagogique. En fait, son dessin lui ressemble. Il dessine comme il est.

Vous avez tourné quelques films qui n’ont finalement pas été terminés, ou pas diffusés... Les adapter en BD, ne serait-ce pas une manière de leur redonner vie ?

CL : Ce serait plutôt une roue de secours. Mais j’ai toujours envie de me battre pour réaliser les histoire qui n’ont pas encore été tournées. Mais bon, il ne faut jurer de rien...

Simon & Sarah

Bernard Swysen, vous aviez directement pensé à faire éditer votre projet par Soleil ?

BS : J’étais assez content de leur publication des albums de Rouletabille. Je ne voyais donc pas l’intérêt de changer d’éditeur. Et puis, pour ce projet atypique, il fallait avoir la confiance d’un éditeur plus agressif ! Soleil nous a laissé beaucoup de liberté et a accueilli Toute Une Vie avec enthousiasme.

Votre dessin est à présent plus réaliste. Pourquoi ?

BS : Je désirais raconter des histoires plus réalistes, et mon style ne convenait pas à ce genre d’ambiance. Et puis, cela commençait à m’ennuyer de dessiner avec ce trait plus « rond », plus humoristique. Aujourd’hui, je suis heureux avec ce nouveau style, plus réaliste. Je m’y sens à l’aise. Je vais probablement dessiner le prochain Rouletabille de la sorte. Quant à la nouvelle histoire avec Lelouch, on l’a déjà commencée. Toujours chez Soleil.

Qu’en est-il exactement ? Vous a-t-il écrit une histoire inédite ?

BS : Claude travaille actuellement sur deux projets de film Bzz... [2] et God Willing, qu’il tournera aux États-Unis. On adaptera ensemble ce dernier scénario en bande dessinée. Ce sera la première fois que Claude verra les images de l’un de ses films avant de l’avoir tourné !

Vous avez changé votre technique de travail pour ce diptyque.

BS : En effet. Je travaille à présent au pinceau, ce qui donne plus de souplesse à mon dessin. J’ai fait mes gammes avec Albert Lombaire, une série humoristique parue chez Casterman. Puis j’ai utilisé cette même technique sur Toute Une Vie. J’en ai profité pour dessiner de manière plus réaliste. Hermann me fut d’une aide précieuse. Je lui montrais mes planches, et il les critiquait. Il ne laissait rien passer. Il m’a fait le plaisir de passer énormément de temps à me conseiller et c’est pour cela que je l’ai remercié au début des deux albums de Toute Une Vie [3].

Regardiez-vous le film Toute Une Vie pour vous inspirer ?

BS : Jamais ! Je ne l’avais vu qu’une fois, bien avant de réaliser le premier album. Il était exclu que je le regarde à nouveau tant que je n’avais pas terminé le diptyque. Je voulais oublier le film, pour retranscrire le scénario de manière inédite, avec une vision différente du film.

Qu’avez-vous ressenti en voyant à nouveau le film que vous avez dessiné, lors de sa projection à Louvain-La-Neuve ?

Beaucoup d’excitation. J’ai revu des scènes que j’avais dessinées et des dialogues qui étaient magnifiquement dits par les acteurs. Je me suis également rendu compte à quel point la bande dessinée était différente du film, tout en étant fort proche. L’un et l’autre sont complémentaires.

Parlons d’un autre homme qui a beaucoup compté dans votre vie professionnelle, André-Paul Duchâteau.

BS : Cela fait deux ans que nous ne travaillons plus ensemble, mais on continue à se téléphoner très souvent. Je l’apprécie beaucoup. Nous souhaitons reprendre Rouletabille. Le nouvel album devrait paraître début 2007, si tout va bien. Les deux premiers albums, Le Mystère de la Chambre Jaune et le Fantôme de l’Opéra, ont très bien marché [4]. Je dessinerai probablement le prochain avec le même style graphique que Toute Une Vie.

Vos noms apparaissent sur le générique du film de Bruno Podalydès Le Mystère de la chambre jaune.

BS : Nous étions invités à la première du film à Bruxelles. J’ai discuté avec lui. Il m’a alors confié qu’il nous avait remerciés. En fait, Bruno Podalydès a rencontré beaucoup de difficulté pour réaliser la séquence dans le château. Nous aussi, d’ailleurs. Le roman recèle de détails illogiques quant à la construction du château et la manière dont les personnages s’y déplacent... Nous avons donc dû prendre quelques libertés, et rajouter, par exemple, une corniche ou rapprocher un arbre du château. Le réalisateur s’est inspiré de notre travail pour cette séquence. C’était plutôt flatteur.

Claude Lelouch jouant le jeu de la signature

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Liens vers le site de Bernard Swysen, et vers celui de Claude Lelouch.

Illustrations (c) Swysen, Lelouch & Soleil
Photos (c) Nicolas Anspach

[1Signalons que nos confrères Yves Alion et Jean-Ollé-Laprune publient un livre consacré au cinéaste aux éditions Calmann Levy (Claude Lelouch - Mode d’Emploi). Bernard Swysen a réalisé pour l’occasion un dessin représentant Claude Lelouch. Disponible dans toutes les bonnes librairies, depuis ce 12 octobre.

[2Bzz... sera l’adaptation du roman éponyme de Guillaume Cochin. Cette comédie raconte l’histoire d’un journaliste branché qui meurt subitement et se voit réincarné en mouche.

[3Bernard Swysen a également dessiné l’auteur de Jeremiah dans le deuxième album de Toute Une Vie

[4Les ventes cumulées avoisineraient les 35.000 exemplaires pour chacun de ces 2 titres.

 
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