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Ever Meulen : « J’aime jouer avec la réalité ».

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 26 juillet 2006                      Lien  
Ever Meulen, c'est l'humilité faite homme. Pas seulement parce que le français, qu'il parle couramment, n'est pas sa langue maternelle. Mais parce qu'il n'est pas un volubile, tout simplement, que ce soit dans la conversation ou dans le travail. Son dessin est comme lui, pensé, réfléchi, modeste... Et ô combien précieux !

Art Spiegelman, dans la préface de son livre, Verve, qui vient de paraître aux éditions de L’An 2, enrage de cette placidité alors que lui ne s’est toujours pas remis du 11 Septembre et de l’effondrement des tours jumelles. C’est qu’Ever Meulen applique à la lettre ce proverbe flamand : « Reste à ta place, c’est déjà assez prétentieux comme cela ». C’est avec un grand plaisir que nous le retrouvions à Angoulême.

Pourquoi une si longue absence ?

Parce que je suis un dessinateur qui travaille à la commande. Je préfère dire dessinateur plutôt qu’illustrateur, car mon travail va au-delà de l’illustration puisque j’interviens sur des éléments comme la mise en page ou la typographie... Comme je ne suis pas un dessinateur de bande dessinée, j’ai eu peu l’occasion de publier en France ces dernières années.

Cela dit, dessinateur ou illustrateur, on vous voit peu en France. Vous publiez dans le New-Yorker aux États-Unis, en Belgique mais pas en France...

Oui, dans mon ouvrage, il y a une seule illustration seulement que j’ai faite pour Libération. C’est tout. La France, c’est vrai, m’a oublié.

Ce sont eux qui vous ont oublié ou c’est vous qui vous vous êtes désintéressé de ce pays ?

J’avoue que j’ai freiné un peu mon activité pour les clients français, mais j’ai aussi été peu sollicité. C’est pourquoi l’on y a rien vu de moi ces dernières années.

Ever Meulen : « J'aime jouer avec la réalité ».
La calvaire de l’apprenti (1996)
Illustration pour DS Magazine N°4

Dans les années 1980, il y a eu un grand intérêt pour une tendance inventée par Joost Swarte, baptisée La Ligne Claire. Puis, on a l’impression que c’est passé de mode. C’est peut-être pour cela aussi que l’on ne vous a pas appelé...

C’est bien possible. Depuis, mon style a évolué. Je continue à travailler avec ma propre manière, mais cela change, il y a une évolution. Par exemple, je travaille toujours sur papier au stade du noir et blanc, mais ensuite, j’utilise l’ordinateur. Les couleurs et la préparation à l’impression, la digitalisation des dessins, la mise en page, etc. sont fait numériquement. J’essaie de contrôler toute la chaîne de production.

The Narrative Corpse (1995)
Un cadavre exquis de 69 artistes réalisé pour Raw, la revue d’Art Spiegelman.

Qu’est-ce qui caractérise le style Ever Meulen ?

Je travaille toujours de façon linéaire. J’ai toujours travaillé comme cela. Avant, c’était une ligne bien nette. Mais maintenant, cela a évolue vers une ligne plus sensible, avec plus de raffinement, surtout graphiquement. C’est la même base au nouveau de la construction, mais les thèmes ont changé. Avant, j’étais inspiré par la musique, les ambiances californiennes, les années cinquante, car la musique que j’aimais venait de là. J’avais créé une sorte d’ambiance « Ligne Claire Rock ‘n Roll ». Mais les choses ont maintenant changé. Les thèmes sont plus culturels. J’ai pas mal de dessins qui traitent de la littérature.

Ce qui fonde votre travail, c’est d’abord une esthétique qui découle du Bauhaus, du groupe De Stijl...

Oui, ce sont des périodes de l’histoire de l’art moderne du 20ème Siècle qui ont été pour moi des moments-clé. Cela m’inspire depuis que je suis étudiant.

On retrouve aussi l’influence de Giorgio de Chirico, un goût pour le Surréalisme, pour l’absurde. Comme chez Escher, il y a un travail sur la réalité, un jeu de vraisemblance...

Oui, c’est bien possible. C’est vrai que je ne dessine pas la réalité. J’aime jouer avec elle, et ce faisant, de temps en temps, je trouve des solutions intéressantes, un peu bizarres, loufoques aussi, surréalistes peut-être. Comme je travaille assez longuement sur mes dessins, il y a plein d’idées qui me viennent et qui les nourrissent.

Il y a une caractéristique majeure, c’est l’humour !

Oui, mais je ne suis pas un cartoonist. Disons que je fais des dessins qui ne sont pas trop sérieux. J’ai fait des études académiques, mais je ne me prends pas au sérieux. J’arrive à faire des dessins pour n’importe quel support. S’il fallait faire des caricatures, un dessin réaliste, j’ai les bases pour le faire, j’ai le métier. Mais quand même, depuis longtemps, j’ai réussi à préserver ma propre manière. Dans cet ouvrage publié par les éditions de l’An 2, il y a plus de 50% de dessins qui sont des travaux de commande. Malgré cela, j’ai toujours réussi à produire une œuvre qui m’est propre.

Votre influence internationale est très grande. Des graphistes du monde entier, et pas des moindres, s’inspirent de vos travaux. On pense à Chris Ware, par exemple...

Je dois dire que j’ai toujours eu pas mal de bonnes réactions à mon travail, déjà lorsque je publiais chez Futuropolis à l’époque d’Étienne Robial dans les années 1980, parce que mon approche était avant tout graphique. J’ai inventé des petits trucs dans mon domaine qui intéressent les dessinateurs. Chris Ware, je connais bien sûr. Je l’ai rencontré une dizaine de fois. Il aime bien mon travail. Il ne manque jamais de compliments à mon égard. Chris Ware, il est au top. C’est exactement ce que j’aurais voulu faire si j’avais choisi la bande dessinée pour faire carrière. Si j’avais une autre vie, je voudrais bien être lui. Ce n’est pas seulement du graphisme de grande qualité, ce sont aussi des histoires extraordinaires.

Propos recueillis à Angoulême, le 28 janvier 2006

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 978284856053

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