Le parquet est l’expression du « Ministère public », c’est-à-dire, dans un procès, le magistrat chargé de représenter et de défendre les intérêts de la collectivité nationale lesquels constituent « l’ordre public ». Son rôle est particulièrement important dans cette affaire qui oppose Charlie Hebdo et certaines organisations musulmanes, dont la Mosquée de Paris, puisqu’elle met en cause un des fondements de la République : la liberté d’expression.
Le soutien des politiques
C’est dire si son intervention est un tournant de ce procès qui, en deux jours, avait vu défiler bon nombre de personnalités politiques venues soutenir Charlie Hebdo, parmi lesquelles le Premier Secrétaire du Parti Socialiste, François Hollande et le « troisième homme » de la campagne électorale, le Président de l’UDF, François Bayrou. Hier, à l’audience, l’avocat de Charlie Hebdo, maître Georges Kiejman, avait lu une lettre de soutien de Nicolas Sarkozy qui a créé pas mal de remous au sein des institutions musulmanes. Mais faisant fi de ces témoins de moralité, Madame la Substitut Anne de Fontenette va directement au cœur de l’affaire : « Ce qui est en évidence dans ces caricatures, dit-elle, ce n’est pas l’obscurantisme supposé de la religion musulmane, son prosélytisme ou encore ses défauts, c’est la dénonciation de l’utilisation qu’en font les terroristes qui prétendent agir en son nom. » Dès lors, cette publication est une affaire d’opinion et n’aurait pas lieu, selon le Parquet, de se retrouver devant ce tribunal.
Une issue incertaine
Lorsque nous sommes arrivés devant la 17ème Chambre du Tribunal correctionnel de Paris, le moral, dans le camp de Charlie Hebdo, n’était pas au beau fixe. Ils venaient d’essuyer les plaidoiries de Me Francis Szpiner, par ailleurs l’avocat de Jacques Chirac, et celle de Me Christophe Bigot, l’un des meilleurs spécialistes du droit de la presse de France. Du premier, un spectateur désolé me dit : « Il n’y a pas de doute : les meilleurs avocats de ce procès sont du côté des Islamistes ! ». Du second, l’un des membres de la défense de Charlie Hebdo me dit qu’il avait fait un travail de documentation, pour appuyer sa plaidoirie, « absolument remarquable ». « Oui, mais son intervention était soporifique ! » me glisse un journaliste. Ce n’est pas cela qui est important : un procès n’est pas un spectacle, on est ici pour dire le droit. Un point insécurise la défense de Charlie Hebdo : le président du tribunal est celui du Tribunal de Grande Instance de Paris, Jean-Claude Magendie qui, précisément, était celui qui produisit un arrêt début 2005 condamnant une publicité parodiant la cène [1], au motif qu’elle faisait « gravement injure aux sentiments religieux et à la foi des Catholiques », même si Me Bigot devait bien admettre que ce jugement avait été cassé en novembre de la même année par la Cour de Cassation.
« Un combat pour la laïcité »
Le moral revint avec l’intervention du Parquet recommandant la relaxe. Dès lors, Me Richard Malka commença sa plaidoirie avec un peu plus de réconfort. A l’argument de Me Bigot qui explique qu’en publiant ces dessins plusieurs mois après le journal danois, Charlie Hebdo avait "commis un acte parfaitement et mûrement réfléchi avec la conscience de la blessure" qu’il infligeait au droit d’exercer sa religion, protégé précise-t-il par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, Me Malka répondit que cette notion de blessure était subjective. Que lui aussi avait été blessé quand il avait entendu à la radio Me Szpiner affirmer qu’il allait gagner ce procès mais qu’il n’avait pas l’intention pour autant de le censurer (le président du tribunal ne put réprimer son sourire).
Plus sérieusement, il avance que « la liberté d’expression ne peut pas être indolore, se réduire à ce qui est consensuel ». Il ajoute aussitôt, argumentant sur la liberté de raconter l’actualité : « Alors quoi, le monde entier parlerait de ces caricatures, provoquant l’incendie d’ambassades et même des morts, et le peuple n’aurait pas le droit de les voir ? »
« Tout cela est de la rhétorique, martèle-t-il en rappelant les nombreuses affaires gagnées par Charlie Hebdo contre les intégristes catholiques et aussi la tradition anticléricale de la France, et tout cela a un sens : le combat pour la laïcité. La demande des plaignants est la plus formidable interdiction demandée à un tribunal ! » Il conjure le tribunal de ne pas céder, citant cette lettre qui lui a été adressée par un intellectuel tunisien, « parmi mille autres de Musulmans reçues chaque mois » : « Vous ne devez pas renoncer à la libre critique ! Si vous cédez, c’est fini ! »
« Cabu me dessine avec des pantalons de golf ridicules »
Les plaidoiries de Me Georges Kiejman terminaient la journée. L’ancien avocat de François Mitterand considérant Me Richard Malka comme son « fils spirituel », « plus spirituel que fils, d’ailleurs, comme vous avez pu le constater » ne manqua pas de complimenter la plaidoirie de son jeune confrère. Il annonça qu’il sera « plus ennuyeux » que lui, se bornant seulement à rappeler des « jurisprudences filandreuses », mais « moins filandreuses que celles de Me Bigot » ajouta-t-il, toujours vachard.
L’homme est de haute stature et porte beau, ce qui surprend un peu car Cabu le représente d’ordinaire comme un nabot. « Je n’aime pas Cabu, dit-il à l’audience en détaillant la couverture de ce dessinateur attaquée par ses adversaires, car il me représente toujours avec des pantalons de golf ridicules traînant un caddie ». Cela ne l’empêche pas de défendre son dessin. Il est, selon lui, « un hommage à Mahomet. Car lui, il sait qui sont les cons parmi les Musulmans : ce sont les intégristes –. « Les littéralistes » ne manque-t-il pas de préciser.
« L’objet de sa désolation, continue-t-il, c’est que les intégristes se recommandent de lui. » Il rappelle au passage que la défense récuse la représentativité des plaignants au nom de tous les Musulmans de France : déjà ils ne représentent pas les laïcs, dit-il, et encore moins une majorité de croyants qui sont pour la liberté d’expression dans ce pays. Il regrette qu’un personnage aussi modéré que M. Dalil Boubaker se soit joint aux plaintes d’intégristes.
Faisant la liste des cas de jurisprudence qui ont construit une liberté d’expression « forgée pendant des années dans cette 17ème chambre », il revient sur le dessin de Mahomet coiffé d’une bombe publiée par les Danois et repris par Charlie Hebdo, « à la taille d’un timbre-poste ! ». On reproche à Charlie-Hebdo, en le publiant, d’y associer Islam et violence. « Mais ce n’est pas l’Islam qui est en cause ici : c’est l’Islam justifiant la violence. C’est ça, la bombe dans le turban, dans un raccourci propre à la caricature ! » Il s’agit donc bien, dit-il, de « la contribution à un débat… Car s’il n’y a pas de débat, on fait quoi ? On meurt côte à côte de manière œcuménique ! »
Un reportage de Joann Sfar
Venu conclure, Philippe Val remercia les témoins qui ont mis la qualité du débat à un niveau serein. Il ajoute ces derniers arguments à l’intention de la cour : « Si les religions séparent les hommes, dit-il, alors l’humanité doit être placée au-dessus des religions ». Et encore : « Ce ne sont pas seulement les intérêts de Charlie Hebdo qui sont en cause, mais ceux de centaines de dessinateurs, d’écrivains, d’artistes, d’intellectuels… Et pas seulement en France : il y a ceux qui vivent dans d’autres pays où leur liberté est quotidiennement bafouée. Notre liberté est leur raison de vivre et leur horizon » conclut-il sous les applaudissements. La décision du tribunal tombera le 15 mars 2007.
A la sortie, Joann Sfar présent tout au long des débats me dit les avoir retranscrits intégralement en bande dessinée. « J’ai le poignet brisé » se plaint-il. Cela fera l’objet d’un carnet de dessins chez Delcourt. « Plus tard, quand tout sera apaisé », me dit-il. Pour mémoire.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Une pub pour Marithé et François Girbaud où le Christ se retrouvait entouré de femmes très déshabillées.
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