Des charges anticléricales sous la Révolution, aux images d’Epinal sous l’Empire, jusqu’aux dessins antisémites de l’Affaire Dreyfus sous la Troisième République, il n’est pas un moment de l’histoire contemporaine qui ne soit jalonné de dessins au contenu fortement politisé. Les historiens ont démontré comment ces productions, quand elles étaient dans le registre du combat politique, ont forgé des concepts parfois à l’avant-garde de la société. A d’autres moments, quand elles se déclinaient dans le registre de l’exclusion et du racisme, elles ont été un facteur de destruction des valeurs. L’Affaire des caricatures danoises dont Charlie Hebdo est la victime consentante montre bien que le contrôle de la production graphique est devenu un enjeu d’une extrême férocité pour les obédiences, qu’elles soient politiques ou religieuses.
La face Kärchée : 200.000 exemplaires vendus
Mais ceci ne concerne que le dessin de presse nous direz-vous ? Voire. Depuis ces dernières années, la bande dessinée aborde de plus en plus des histoires mettant en scène des personnages politiques. Publiée ces dernières semaines, la plus militante est certainement La Face kärchée de Sarkozy dont les auteurs sont rompus au combat politique : le journaliste Philippe Cohen, polémiste reconnu, le dessinateur de Charlie Hebdo, Riss, et le sémillant avocat Richard Malka qui défendit l’hebdomadaire satirique lors du fameux procès des caricatures danoises. A ce sujet, il y eut à l’audience un échange savoureux entre Me Malka et Me Szpiner, avocat des parties civiles et par ailleurs le conseiller juridique de Jacques Chirac. Me Malka partit un moment dans une démonstration qui consistait à prouver que les plaignants étaient des « Monsieur Jourdain du blasphème » cherchant à rétablir le délit de blasphème sans même le savoir. Pour ce faire, il cite à l’audience un discours de Chirac qui montrait à quel point le chef de l’état français, quand il évoquait ce sujet, ne s’encombrait pas des précautions oratoires qui étaient celles des parties civiles.
« C’est un marrant, ce Chirac, commenta Me Malka. J’en ferais bien un personnage pour une de mes bandes dessinées ! » « Ca se vendra sûrement bien ! Vous allez encore vous faire de l’argent ! » rugit Me Szpiner faisant allusion aux 500.000 exemplaires vendus du fameux numéro de Charlie sur les caricatures mais aussi, sans doute, aux 200.000 exemplaires vendus de la Face kärchée…
« À tout prendre, je préfère l’excès de caricature à l’excès de censure. » (Nicolas Sarkozy, 2 février 2006)
Toujours est-il que les éditeurs ont senti le filon : Jungle, coutumier des albums utilisant l’image des pipoles (Caméra Café, Mimie Mathy, Pierre Palmade…), publie un P’tit Chirac, aussitôt suivi d’un P’tit Sarko et d’une P’tite Ségo.
Peu engagées (chacun écope son lot de gags ridicules), ces BD plutôt plaisantes entérinent cependant une idée pernicieuse : celle que la politique ne serait qu’une chamaillerie de jardin d’enfants. Les Tout sur Ségo et Tout sur Sarko publiés par Soleil procèdent de la même logique : la biographie des deux ténors politiques est le prétexte de gags plus ou moins incisifs. Mais ils sont renvoyés l’un et l’autre dos à dos, sans critique de leurs programmes, tandis que bon nombre de courants politiques sont simplement oubliés. Une distorsion qui ne va pas vraiment dans le sens d’un discours citoyen.
Les caricaturistes de Charlie Hebdo et du Canard enchaîné ne sont pas en reste : Cabu moque le ministre-candidat Sarkozy dans un Sarko Circus (Le Cherche-Midi) ravageur. René Pétillon, quant à lui, propose un Ségolène ? (Albin Michel) dont le titre en forme de questionnement reflète sans aucun doute celui des électeurs de gauche face à la candidate socialiste. Quant à Brito, Cabu, Cardon, Delambre, Kerleroux, Kiro, Pétillon et Wozniak, collaborateurs du Canard, ils taillent un costard hardcore au candidat de l’UMP, dans Sarko, mon amour (Archipel). Des ouvrages davantage militants qui tranchent avec la tiédeur des productions commerciales de Jungle et de Soleil. A ce titre, le collectif Vive la politique ! aux éditions Dargaud a au moins l’avantage d’exhorter à l’engagement citoyen.
Terminons notre panorama avec une tendance nouvelle : l’enquête. C’était déjà l’originalité de la Face Kärchée ou encore du reportage altermondialiste de Cattan et Olislaeger, Un autre monde est possible. C’est la volonté affichée d’une nouvelle collection Politics parue au Seuil. Soigne ta gauche de Jean-Yves Duhoo retrace la lutte interne au Parti Socialiste du congrès du Mans jusqu’à l’investiture de Ségolène pour les présidentielles de 2007, tandis qu’Objectif Elysée de Samuel Roberts et Guy Birenbaum mêle reportage et fiction dans un récit qui se laisse lire. Même si l’exercice, ainsi que nous l’écrivions dans ces colonnes, se révèle décevant, à la mesure de l’attente suscitée, il a cependant l’avantage de décrire la politique d’une manière articulée et complexe dans une vision en tout cas moins superficielle que celle à l’humour potache des productions commerciales.
Finalement, les BD qui ont le plus de chance de satisfaire les passionnés de la Chose publique ne sont peut-être pas celles qui usent et abusent de ces têtes d’affiche. Un Homme est mort par Etienne Davodeau et Kris (Futuropolis), Les mauvaises gens du même Davodeau (Delcourt), Soupe froide de Charles Masson (Casterman) ou encore Un monde de différence d’Howard Cruse (Vertige Graphic) sont de celles-là.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : René Pétillon. (c) Albin Michel
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