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Albert Uderzo (Astérix) : « Je n’ai rien contre les mangas »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 21 mars 2007               Astérix) : « Je n’ai rien contre les mangas »" data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
Lors de sa récente remise de médaille à l’Ambassade de Hollande, nous avons eu l’occasion de rencontrer Albert Uderzo. Il nous parle de son dernier album et nous évoque la possibilité d’un 34ème épisode des aventures d’Astérix.

Après la carrière comme la vôtre, vous avez encore envie de faire ce métier ?

Au début, c’était un métier très mal payé mais nous le faisions surtout pour nous amuser. Par après, c’est devenu plus payant, c’est très agréable, mais ce n’était pas ce qui était prévu au départ. On m’aurait expliqué que je serais aujourd’hui à l’ambassade des Pays-Bas pour recevoir une distinction, j’aurais dit : « c’est impossible. C’est un rêve, c’est idiot, cela ne peut pas exister. »

Cette décoration n’est pas la première cependant.

Albert Uderzo (<i>Astérix</i>) : « Je n'ai rien contre les mangas »
Uderzo décoré
Photo : Laurent Melikian

J’ai eu des distinctions en France. Certains gouvernants ont bien voulu nous honorer, aussi bien Goscinny que moi-même, d’une petite récompense, et même de très grandes récompenses. Mais c’est la première fois que Goscinny et moi la recevons hors de France. C’est d’autant plus touchant, et je vous assure que je vis un moment extraordinaire.

Votre dernier album a été très sévèrement critiqué par la presse.

Vous savez, les critiques font leur métier, sinon ils ne seraient pas critiques. Il se trouve qu’effectivement, c’est un album qui a été plus mal reçu que les autres. Je crois savoir qu’il a été mal compris. Il se trouve qu’avec les personnages que j’ai impliqués et qui viennent d’une planète étrangère à la nôtre, j’ai voulu symboliser un peu ce que sont devenus les mangas en France et ce qu’étaient les productions américaines à l’époque. Je n’ai rien contre les mangas, et encore moins contre les productions américaines qui m’ont au contraire encouragé à faire ce métier. Mais je me suis amusé à faire en sorte qu’Astérix les reçoivent plus ou moins bien. Il ne faut pas oublier que les mangas en France –je ne sais pas comment c’est dans les autres pays- prennent actuellement une place très importante. J’ai un jour été interviewé sur une radio française et j’avais en face de moi un monsieur que je ne connaissais pas, qui a pris le micro tout de suite et qui a dit : « Voilà, la bande dessinée franco-belge, c’est fini. Maintenant, c’est le temps des mangas. La bande dessinée franco-belge est obsolète. » Je l’ai évidemment très mal reçu. Et puis, il s’est rendu compte tout de même que j’étais en face de lui et il avait ajouté à sa déclaration : « Sauf Astérix, bien sûr » ; J’ai trouvé cela un peu lâche. J’ai donc, dans le dernier Astérix, un peu exprimé ce que je ressens de ce qui nous arrive. Maintenant, chacun doit avoir la place qu’il mérite. Si les mangas ont ce succès, peut-être le méritent-ils, ce n’est pas à moi de juger. J’ai voulu faire quelque chose dans ce sens-là. Peu de gens, en tout cas en France semble-t-il, ont compris les analogies que j’ai apportées. Les anagrammes de mes personnages, « nagmas » pour « mangas », ou encore le nom de ce personnage composé de l’anagramme de Walt Disney devaient pourtant les y aider.

Est-ce que cette réaction vous a blessé ?

Quand on est auteur, on n’aime pas en principe recevoir de critiques mauvaises, on n’aime que les bonnes. C’est difficile de recevoir tout le temps des bonnes aussi, d’autant plus que lorsque nous avons commencé, Goscinny et moi, les critiques ont été très bonnes. Le problème en France, je ne sais pas comment cela se passe dans les autres pays, quand un succès est trop long, c’est qu’il devient critiquable.

La version néerlandaise d’Astérix
(c) Albert René

Déjà Goscinny relevait déjà que les critiques trouvaient qu’Astérix baissait chaque année…

Oui. Aujourd’hui, et heureusement d’ailleurs, on lui rend justice. On glorifie ce personnage qui mérite de l’être parce que dans le métier que nous faisons, il a apporté énormément de choses. De son vivant, il subissait lui aussi des critiques très difficiles. Ce qui nous rassure, c’est que les lecteurs nous ont toujours suivis. Vous me parler de cet album. Je vais vous donner un chiffre : il a vendu 2,5 millions d’albums jusqu’à présent, uniquement sur le territoire français. Je veux bien que les critiques ne l’apprécient pas, mais à partir du moment où on atteint un chiffre pareil, je préfère que les lecteurs me suivent plutôt que les critiques.

Ce chiffre est supérieur au précédent ?

Le précédent a fait 200.000 de plus.

La traduction d’Astérix en Hollande en 1964 a été votre première traduction. C’est un moment important dans votre carrière.

C’est effectivement une des premières. Le premier album d’Astérix avait été publié en France en 1961.

Sur cette traduction, Goscinny et vous étiez intervenus ?

Non, on avait laissé le travail au traducteur. Mais on fait toujours vérifier s’il y a une véritable adaptation, si les jeux de mots qui sont en français sont transposés en quelque chose de drôle dans la traduction. L’adaptateur doit aussi apporter son talent.

Vos albums sont énormément vendus partout dans le monde. On suppose donc que vos traductions sont bien faites. Vous êtes même une exception dans la bande dessinée française si l’on compte le nombre de langues dans lesquelles vous êtres traduit. A quoi cela est-il du, à une certaine universalité du personnage ?

Vous me demandez là une recette de potion magique que je n’ai pas. Quand on fait quelque chose, on espère que cela aura un petit succès, mais on ne se doute pas d’un succès aussi phénoménal. Quand cela vous arrive, vous êtes bienheureux de l’accepter. Goscinny l’avait déjà fait remarquer : la raison pour laquelle Astérix s’est détaché du lot des autres personnages, on ne peut pas l’expliquer. Il y a bien une supposition, mais qui est un peu mince cependant, c’est que nous avons créé une minorité qui subit les forces extraordinaires d’une majorité. Astérix est peut-être pour le lecteur un exutoire. Cela le venge de ce qu’il subit lui-même et qu’il ne peut pas éviter. Il me semble que c’est un des ressorts de la série. Cela dit, il y a des études très sérieuses qui ont été faites sur Astérix.

Vous les lisez ?

Non.

Albert Uderzo et son excellence l’ambassadeur de Hollande, M. Hugo Siblesz
Photo : Laurent Melikian.

La minorité présente dans Astérix est une minorité gauloise. Or, vous êtes d’origine italienne. Vous y pensez quand vous dessinez les Romains ?

Oui, mais les Italiens d’aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir avec ceux-là. Bien sûr, les Romains occupent la capitale de l’Italie. Mais le vrai pouvoir économique est à Milan. Pour les Milanais, leur ville est la vraie capitale du pays. Comme mon éditeur italien est à Milan, il prête aux Romains leur langage d’aujourd’hui. Ils font parler mes personnages comme si un provincial les faisait parler avec l’accent parisien. Une chose extraordinaire, c’est que pour le fameux S.P.Q.R. des banderoles romaines qui veut dire Senatus Populus Que Romanus (le sénat et le peuple romain), les Italiens ont trouvé comme équivalent : Sono Pazzi Questo Romani, ce qui signifie « Ils sont fous ces Romains ! ». D’un point de vue historique, le fait est que les Romains ont tenté de s’étendre sur la plupart des territoires de l’Europe, cela a donné une nation extraordinaire. Mais ils ont fini par se relâcher jusqu’à tomber en décadence. Ils ont quand même réussi à imposer une paix romaine pendant quatre siècles sur le continent, ce qui ne s’est jamais reproduit au cours de notre histoire. Il faut reconnaître que c’était un peuple grandiloquent –il l’est toujours, d’ailleurs, mais avec des idées pas trop mauvaises. Ainsi, les Gaulois qui étaient envahis par les Romains, pouvaient prendre la nationalité romaine. Il y a même eu un empereur qui était de souche gauloise !

Il n’y a jamais eu un Astérix chez les Bataves. Cela se pourrait-il ?

Oui, pourquoi pas ? Vous me donnez peut-être là une idée pour le prochain album.

Justement, il est prévu pour quand ?

Je ne sais pas. Comme vous le savez, j’ai un âge certain. Ce n’est pas que l’envie me quitte, mais il faut trouver de nouvelles idées et cela devient de plus en plus difficile. René Goscinny, au bout du 10ème album, disait à qui voulait l’entendre : « Je n’ai plus d’idée ! ». Il en a fait quatorze encore et moi neuf derrière. On en est au 33ème. Il y en aura donc peut-être un 34ème.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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