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Procès des caricatures : Charlie Hebdo gagne son procès

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 22 mars 2007                      Lien  
Charlie Hebdo n’est pas raciste. Ainsi en a décidé le Tribunal correctionnel de Paris qui répondait à des plaintes formulées par plusieurs organisations islamiques contre Charlie Hebdo. Le Tribunal a considéré que la publication de Charlie Hebdo avait participé à « un débat public d’intérêt général » et a donc débouté les parties plaignantes. Un verdict sans surprise.

Cet après-midi à 13h30, le Tribunal correctionnel de Paris devait rendre son verdict après un procès très largement médiatisé dans lequel le journal satirique avait reçu jusqu’au soutien de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Nous avons eu l’occasion d’en raconter certains moments-clés dans un précédent article. « …nous sommes attaqués pour injure à caractère raciste, c’est-à-dire pour avoir “insulté la religion musulmane" » nous expliquait Philippe Val. L’enjeu du procès était donc de vérifier si la critique d’une religion est assimilée à une injure raciste, dans une République laïque. Si, selon Philippe Val, « race et religion veulent donc désormais dire la même chose ». La Tribunal a considéré que non en déboutant les parties plaignantes, suivant en cela les réquisitions du Parquet.

Procès des caricatures : Charlie Hebdo gagne son procès
Me Szpiner, avocat des parties plaignantes déboutées par le Tribunal.
Photo : D. Pasamonik.

« Il n’y avait pas chez Charlie Hebdo la volonté de blesser »

Les plaignants n’en restent pas moins combatifs. « La couverture de Charlie Hebdo a bien associé le Prophète et le terrorisme. Le prophète n’est pas celui des terroristes, c’est celui de l’Islam. Le Tribunal a reconnu l’offense » déclarait l’un d’eux en sortant de l’audience et en promettant un procès en appel. L’avocat des organisations islamistes, parmi lesquelles la Mosquée de Paris, Me Szpiner, revendique même une avancée : « Nous nous réjouissons que le Tribunal ait consacré la légitimité de notre démarche puisque je le rappelle, le Tribunal a considéré que la caricature du Prophète avec la bombe et le turban était un dessin en soi de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération des Musulmans à raison de leur foi en les assimilant au terrorisme. Donc, sur ce point, nous avions raison. Le Tribunal a considéré cependant que, dans le contexte de l’époque, c’est-à-dire la reprise par Charlie Hebdo, pour privilégier la liberté d’expression et la manière dont a été fait ce numéro qui se voulait une dénonciation de l’intégrisme, il n’y avait pas chez Charlie Hebdo la volonté de blesser. Et donc, c’est fort de cette volonté que Charlie Hebdo est relaxé ». Mais ce que je retiens moi, c’est que le Tribunal a affirmé clairement que ce type de caricature était susceptible d’être condamnée et que dans un autre contexte, elle le serait. A partir de ce moment-là, nous nous réjouissons de voir que les Musulmans de France, comme n’importe quelle partie de la population bénéficient de la protection des lois de la République... » Me Szpiner estime que ses clients ne feront vraisemblablement pas appel. « Nous estimons que ce débat a été utile, qu’il a permis aux uns et aux autres de s’expliquer, que encore une fois, dans la République, naturellement, le lieu de la discussion est le recours au juge. Le juge a tranché. Il a tranché en des termes qui, je crois, ne sont blessants pour personne, ne décrédibilisent personne et, dans ces conditions, il n’est pas sûr que nous interjetions appel et que nous contestions cette décision des juges devant la Cour. »

Le sourire aux lèvres. Philippe Val, rédacteur-en-chef de Charlie Hebdo et son avocat, Me Richard Malka.
Photo : D. Pasamonik

« Une victoire pour la Liberté d’expression »

La victoire de Charlie Hebdo serait-elle une demi-victoire ? « C’est une victoire totale et absolue, clame Me Malka, l’avocat de Charlie Hebdo. C’est quand même étonnant de présenter une défaite totale, puisqu’on a été relaxés, comme une demi-victoire. Avant le procès, Me Szpiner disait qu’il allait gagner, maintenant il dit que c’est une demi-victoire. Il a l’appréciation qu’il veut sur les résultats. » Quelle est la motivation du tribunal, dès lors ? « Le Tribunal a considéré, répond Richard Malka en lisant la décision des juges, qu’on avait participé à un débat public d’intérêt général. Il ne peut pas être plus clair ! Que le dessin soit blessant, on ne l’a jamais contesté, bien sûr qu’il est blessant ! Mais ce qu’on plaidait, nous, c’est qu’on ne peut pas interdire tout ce qui nous blesse. C’est une victoire qui va bien au-delà de Charlie Hebdo, pour les principes de la République, pour la Laïcité, pour tous ces journalistes musulmans qui se battent dans leur pays pour critiquer les dérives de l’Islam politique, pour tous les intellectuels musulmans qui comptaient sur nous et qui sont venus au procès à notre soutien et c’est une victoire pour la liberté d’expression, évidemment. »

« Je pense que c’est une victoire, notamment des Musulmans, ajoute Philippe Val. Les Musulmans laïques, les Musulmans républicains qui en ont marre d’être représentés par des religieux, et des religieux parfois intégristes. Cela va ouvrir pour eux un débat qui était nécessaire et qu’ils avaient eu beaucoup de mal à ouvrir. D’ailleurs, si les témoins musulmans sont venus témoigner, parfois sous protection policière, c’est parce que cela leur rendait vraiment service. Si l’on croit, comme nous, que l’Islam est tout à fait compatible avec la démocratie française, ce débat est une bénédiction, utile à la société française. »

En sortant sous un cortège serré de gendarmes, Philippe Val et ses avocats, ont été accueillis par un rayon de soleil. « Allah, s’il existe, est avec nous, vous voyez bien ! » s’exclama Philippe Val qui n’avait pas perdu son sens de l’humour.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Me Richard Malka et Philippe Val. Photo : D. Pasamonik

 
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12 Messages :
  • C’est très étrange comme conclusion .
    Charlie Hebbdo a gagné ou il a perdu et qu’est ce qu’il a gagné ?
    C’est très étrange que ce procès soit présenté comme un "débat" alors qu’il me semble plutôt qu’il s’agit d’une affaire de JUSTICE avec risque de condamnation à la Clef.
    Enfin , je ne comprendrai jamais rien à la politique.

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    • Répondu par Didier Pasamonik le 22 mars 2007 à  18:17 :

      Bon, il faudrait peut-être lire de temps en temps. En titre, on vous dit que Charlie a GAGNÉ son procès. Et on vous renvoie à deux articles qui expliquent les tenants et les aboutissants en détail. Allez-y voir, vous comprendrez, j’en suis sûr.

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    • Répondu par Baptiste Gilleron le 22 mars 2007 à  22:20 :

      Bien entendu, il s’agit d’une affaire de justice. Mais cette affaire a justement fait avancer le débat sur la critique de l’intégrisme et la liberté d’expression. Parfois, malheureusement, il faut en arriver là pour que l’on parle franchement de certains sujets "tabous", comme c’est le cas ces derniers temps encore pour l’euthanasie.

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  • Cet épisode judiciaire met en tous les cas en avant d’une part la toute puissance du dessin, et donc de la BD !, et reconnait de fait sa grande maturité qui lui permet de traiter dorénavant tout sujet de société dit "sensible", et ceci pour ceux qui en doutaient encore !
    Réjouissons nous donc, bédéphiles que nous sommes tous !

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  • Belle victoire de la démocratie et de la liberté d’expression. Beaucoup de bon sens aussi dans l’avertissement que il y a des limites entre la liberté d’expression et l’irrévérance (pour ne pas dire autre chose).

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  • voilà une excellente nouvelle ! La liberté l’emporte sur les obscurantismes bondieuseristes et autres !!!

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    • Répondu le 23 mars 2007 à  18:29 :

      Le procès Charlie Hebdo :
      C’est quoi la laïcité ?
      Le calendrier mondial se réfère soit aux divinités gréco-romaines cf. les jours de la semaine (dieu de la Lune (lundi), Mars, Mercure etc.) soit pour les jours de fêtes au christianisme (dimanche = jour de Dieu, Noêl, Pâques, Pentecôte etc..). Le calendrier républicain de 1793 n’a pas eu de succès (vendémiaire, brumaire etc.).
      Je partage bien sûr le point de vue du journaliste critiqué mais la liberté d’expression, elle n’est pas forte si elle insulte les symboles de toute culture. Ayant exprimé ce point de vue à une personnalité de la Cour de Cassasion de Paris, sa réponse fut informante :"J’ai justement un dossier dans lequel une association a porté plainte contre ce même Charlie Hebdo pour une image injurieuse du Christ"
      Ce n’est pas facile d’être journaliste !!
      Monette Bohrmann (Docteur-ès-Lettre, Histoire des Religions)

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    • Répondu par Rosse le 28 mars 2007 à  11:39 :

      On peut lire sur ce forum : "La liberté l’emporte sur les obscurantismes bondieuseristes et autres !!!" ou ailleurs "Mais cette affaire a justement fait avancer le débat sur la critique de l’intégrisme et la liberté d’expression."

      Vraiment ? Je tiens à porter à votre connaissance qq faits qui j’espère vous amèneront à vous poser un peu plus de questions, notamment de qui et de quoi Charlie-Hebdo s’est fait le défenseur ?

      Comme vous le savez peut-être les caricatures reproduites par C-H furent publiées en premier lieu dans le quotidien danois "Jyllands-Posten". Ces caricatures étaient le résultat d’une sorte de concours que le quotidien lança sur le thème de la liberté d’expression et de l’intégrisme musulman.

      A ce point, il est important de préciser que "Jyllands-Posten" est un quotidien de la mouvance de la droite nationaliste danoise. Le gouvernement danois quand à lui est un régime de coalition droite libérale/droite conservatrice dont la majorité parlementaire n’est possible qu’avec le soutien du parti d’extrême-droite "Fremskridtspartiet".

      Contrairement à ce que l’on croit les protestations qui virent le jour dans certains pays arabes ne vinrent pas à la suite de la publication de ces caricatures dans le quotidien danois, mais bien des mois plus tard au moment où un magazine norvégien chrétien intégriste ("Magazinet") publia lui-même les caricatures en question.
      Il faut également noter que les représentants de la communauté musulmane danoise ne demandèrent pas alors -au moment de la publication des dessins au Danemark- le retrait ou l’interdiction de ces caricatures, au contraire l’imam Fatih Alev précisa que "l’interdiction de représenter le prophète Mahomet ne pouvait pas s’appliquer aux non-musulmans"

      Alors, que voulaient les autorités musulmanes danoises -ainsi qu’une longue lignée d’ambassadeurs les soutenant ?
      Ils voulaient rencontrer le premier ministre danois, Fogh Rasmussen, pour discuter du climat xénophobe et anti-musulman qui prenaient des proportions inquiétantes dans la vie publique du Danemark. Les caricatures n’en étaient qu’un des multiples symptômes. Un autre symptôme était par exemple une déclaration du ministre de la culture, Brian Mikkelsen, ainsi que celle d’un député que "les musulmans sont comme des tumeurs cancéreuses".

      Ce meeting, le premier ministre danois le déclina -pour garder certainement sa fragile majorité droite/droite nationaliste. Et c’est LUI qui se référa aux caricatures et parla de liberté d’expression. C’est à ce moment que l’amalgame fut créé et que les médias furent prompts à dépeindre l’image d’une communauté musulmane voulant interdire les caricatures en question.

      Vous noterez donc que ce n’est qu’après plusieurs mois de provocations et de refus catégorique de dialogue de la part du gouvernement danois que les protestations que nous connaissons virent le jour.

      Ce qui me paraît intéressant de noter dans cette affaire c’est de voir quels "éléments" les médias et les acteurs de la scène politique européenne (Charlie-Hebdo inclus) ont jugés dignes d’intérêt et lesquels ils ont préféré taire.
      Et pour finir, ne voyez-vous pas là se dessiner un certain pattern lorsque le candidat Sarkozy apporte son soutien à l’affaire Charlie-Hebdo et que dans le même temps son ministère condamne le dessinateur Placid à 500e d’amende pour avoir dessiné un policier "au faciès de cochon" ?

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      • Répondu par Didier Pasamonik le 28 mars 2007 à  14:08 :

        Je crois que l’explication que vous donnez est un peu courte. Je ne suis par exemple pas sûr qu’il faille faire passer le Jylland-Posten pour un organe de la droite extrême comme votre message le laisse entendre en impliquant le gouvernement danois et ses alliances. Cela a été bien expliqué au cours du procès.

        Au sujet des caricatures, je renvoie nos lecteurs vers le dossier de Wikipédia à ce sujet, extrêmement bien documenté.

        Quant à l’affaire de la couverture de Placid, j’ai un peu l’impression que sa cause n’a pas été extrêmement bien défendue. Par exemple, nous en avons parlé après le jugement. Nous aurions aimé le faire avant. Le fait qu’il ne se pourvoie pas en appel, alors que le jugement Charlie Hebdo est là pour faire jurisprudence (et notamment la désormais célèbre déclaration de Nicolas Sarkozy sur "l’excès de caricature") rend dès lors le combat un peu vain. Dommage, mais Placid avait sûrement de bonnes raisons pour laisser tomber.

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        • Répondu par Rosse le 28 mars 2007 à  16:00 :

          Je parlais de droite nationaliste pour "Jyllands Posten", plutôt que de droite extrême -mais à ce point cela fait-il une différence ?

          Je vous laisse le soin d’en juger en traduisant les propos de Flemming Rose, rédacteur culturel de Jyllands Posten en introduction aux caricatures du 30/11/2005 :"(le but de ces dessins est) une protestation contre les imams danois et les musulmans danois qui insistent à être traités différemment en raison de leur religion"

          Vous le lisez vous-même, à cette date aucune allusion a l’extrémisme musulman ou au terrorisme. Discrimination pure et simple.

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          • Répondu par Didier Pasamonik le 28 mars 2007 à  17:35 :

            La citation que vous produisez (il faudrait voir le contexte) me semble être une saillie contre les communautarismes, plutôt en faveur de l’égalité de traitement pour tous, croyants comme non croyants, qu’une volonté de discrimination. Un propos comme on a pu en lire des dizaines dans les éditos de Philippe Val.

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  • Je suis soulagé de cette décision. L’affaire se poursuit en appel, mais la réponse donnée par la justice pour cette étape est tout à fait satisfaisante.

    Voir en ligne : http://www.krinein.com/bd

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