Les auteurs ont longtemps eu l’impression d’être considérés comme quantité négligeable face aux grandes manoeuvres du marché de la bande dessinée, notamment lorsque leur maison d’édition traversait des périodes troublées. On se souvient de la mobilisation des auteurs lors de la crise traversée par les éditions Dupuis au printemps 2006. Ils se sentaient pleinement concernés par ce qui se passait à Marcinelle et souhaitaient participer au débat. Certains de leurs représentants, élus tacitement, avaient été reçus par le management de Dupuis et son propriétaire, la holding belge Média-Participations. Mais leur faible légitimité avait considérablement limité leur pouvoir de négociation.
« Ces dernières années, plusieurs maisons d’édition ont été rachetées par des holdings, nous dit le scénariste Kris. Certains auteurs avaient l’impression que l’on revendait leurs œuvres comme on le ferait avec des yaourts ou des conserves. Par ailleurs, beaucoup d’auteurs se plaignent de ne pas avoir un statut fiscal et social valable en France. Il était temps de réfléchir à un moyen de se faire entendre ». Quelques-uns de ces créateurs ont réfléchi à cette problématique. L’élection de Lewis Trondheim par l’Académie des Grands Prix du FIBD d’Angoulême en 2006 aurait été en quelque sorte le déclencheur de ce mouvement. « Il est venu nous voir et nous a dit que c’était le moment ou jamais de mettre les auteurs en avant à Angoulême, raconte Kris. On pensait faire une simple journée d’action, et cela s’est transformé en la création d’un comité de pilotage pour ce syndicat. D’autres auteurs sont venus nous rejoindre ensuite. »
La création d’un syndicat avait déjà été envisagée dans le passé par l’Association des Auteurs de Bande Dessinée (ADABD). « Ils ont eu de nombreux débats. Et il a été décidé que cette structure resterait purement associative et non syndicale, rappelle Fabien Vehlmann. Les moyens d’action ne sont pas les mêmes. Un syndicat, par exemple, a plus de possibilités d’intervenir auprès des institutions étatiques. »
Le comité de pilotage a rapidement écarté la possibilité de créer un syndicat autonome et a préféré rejoindre un syndicat préexistant. « Le Syndicat National des Auteurs Compositeurs (SNAC) a rapidement remporté notre adhésion, nous dit Fabien Vehlmann. C’est un mouvement affilié à la CGT, mais qui se veut plutôt apolitique. Il contenait déjà différents groupements, dont certains moins bien perçus ou connus, comme les doubleurs de film par exemple. De ce fait, nous avons ressenti de leur part un sentiment bienveillant à notre égard ».
Ce groupement d’auteurs de BD au sein du SNAC signifie-t-il, à terme, la mort d’associations comme l’ADBD ? Fabien Vehlmann balaie cette hypothèse : « La plupart des membres du syndicat sont également membres de l’ADBD. Il est important de mener certains combats en parfaite intelligence avec eux. Ils ont un rôle important d’information et de conseil auprès de leurs membres. Ce qui n’est pas incompatible avec notre côté syndical ». D’après nos informations, le syndicat ne compterait actuellement qu’une trentaine de membres. Ce qui est plutôt logique, vu que son bureau ne communique auprès des auteurs que depuis début avril 2007. Il semblerait qu’il se donne un objectif de recrutement de 200 membres d’ici un an. Un objectif réaliste au regard de la croissance du nombre des auteurs ces dernières années, surproduction oblige !
Des auteurs au cœur du syndicat
Le comité directeur du groupement BD du SNAC est composé de Virginie Augustin, Julien Blondel, David Chauvel, Kris, Michaël Le Galli, Cyril Pedrosa et Jean Philippe Peyraud. Les membres fondateurs sont : Alfred, Christophe Arleston, Virginie Augustin, Alain Ayroles, Denis Bajram, Joseph Béhé, David Chauvel, Frank Giroud, Richard Guérineau, Valérie Mangin, Cyril Pedrosa, Lewis Trondheim et Fabien Vehlmann.
Un objectif : améliorer le statut des dessinateurs
Comme nous le disait Kris, l’un des principaux objectifs du Syndicat est d’arriver à améliorer le statut de l’auteur de BD en France. On peut lire dans un de leurs récents communiqués : « À ce jour, il existe en effet trop de disparités entre les différents corps de métier au regard du statut fiscal, du régime des retraites, des contrats d’édition et de la rémunération du travail effectué. La création de bande dessinée est un métier à part entière, et ce métier doit donner droit à un statut à part entière ». L’appartenance à un mouvement apparenté à la CGT permettra sans nul doute aux auteurs d’arriver à mieux communiquer avec les différentes tutelles ministérielles.
Un médiateur entre les auteurs et les maisons d’édition
Les Humanoïdes Associés sont confrontés depuis quelques mois à une crise financière. Certains auteurs ont récemment fait face à des retards dans les règlements. Dûment mandaté, le « groupement des auteurs de BD » du SNAC est entré en contact avec la directrice des Humanos, Josiane Fernez. Plusieurs rencontres ont eu lieu entre le SNAC et l’éditeur. Le groupement des auteurs de BD du SNAC a obtenu des promesses formelles de l’éditeur, qui s’est engagé dans une lettre à règler au plus tôt les arriérés. « La solidité de la maison d’édition n’est pas en cause », martèle Josiane Fernez, qui se plaint d’une situation du marché qui a pris les Humanos "au dépourvu". Elle promet un déblocage rapide de la situation. Selon nos informations, la résolution de ces problèmes est en cours.
L’objectif immédiat du syndicat n’est apparemment pas d’entreprendre une action judiciaire collective, mais de laisser le libre choix à ses membres d’aller devant les tribunaux, quitte à leur fournir au besoin une aide juridique.
Vers des contrats plus équitables avec les éditeurs ?
Dans son communiqué, le groupement des auteurs de BD du SNAC ne cache pas son ambition d’arriver à améliorer les clauses contractuelles qui lient auteurs et éditeurs. Par boutade, certains auteurs disent que les éditeurs font signer les contrats annexes de cession des droits audiovisuels à l’auteur avant même de parapher le contrat d’édition. Le groupement des auteurs de BD du SNAC souhaite « une limitation de la cession des droits audiovisuels devenue systématique ». D’autres aspects relatifs aux éditeurs sont également abordés dans les objectifs : « Réévaluation de la gestion des prêts dans les bibliothèques, compensation des dédicaces à but promotionnel, meilleure orientation des auteurs découvrant le métier, mise en valeur de la bande dessinée sur le marché du livre, etc ».
Contacté par nos soins, Thierry Joor, le directeur éditorial des éditions Delcourt, juge l’initiative intéressante : « Plus il y a de dialogue entre notre maison d’édition et nos auteurs, moins il y aura de risque de conflit. Il est normal que des personnes exerçant la même profession se regroupent. Nous sommes heureux que certains de nos auteurs, qui nous font confiance depuis des années, soient dans le comité de pilotage de ce syndicat. Ils nous connaissent bien. En cas de problème, ils pourront expliquer les règles de fonctionnement des éditions Delcourt et faire taire les rumeurs. Enfin, cette initiative permettra aux auteurs de mieux se défendre contre les mauvais éditeurs. Je ne parle pas de ceux qui font de mauvais livres, mais de ceux qui accompagnent mal les auteurs (sur le plan administratif ou éditorial) ou ne les payent pas. De ce côté-là, nous, chez Delcourt, nous n’avons rien à craindre ».
Fabien Vehlmann, l’un des porte-parole du syndicat, se veut rassurant. « Nous ne voulons pas être une caricature de syndicat, en adoptant une posture ‘anti-éditeur’. Notre objectif est d’arriver à un meilleur dialogue avec eux et avec les institutions étatiques ». Les auteurs s’organisent donc pour parler d’une seule voix. Arriveront-ils à se faire entendre ? L’avenir nous le dira.
(par Nicolas Anspach)
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