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Fabien Nury : "J’aimerais faire des histoires dans à peu près tous les genres"

Par Arnaud Claes (L’Agence BD) le 28 mai 2007                      Lien  
Rencontré dans le cadre du [Forum International Cinéma et Littérature de Monaco->], où il était membre du Jury du [Prix de la Meilleure bande dessinée adaptable->5073], le scénariste de bande dessinée et de cinéma a évoqué pour nous son travail et ses projets en cours.

Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?

J’ai fait des études de commerce, et je me suis aperçu en les faisant que la gestion, ce n’était pas pour moi, et que j’avais besoin d’activités qui me passionnaient véritablement. Mon rêve, c’était de raconter des histoires : j’adore qu’on m’en raconte, et j’aime en raconter. Je suis donc devenu un autodidacte du scénario. L’avantage des écoles de commerce, c’est que ça mène à tout : donc en sortant de mon école, j’ai fait du marketing, puis je suis passé à la pub, etc. Et je faisais de la BD en parallèle, le soir et le week-end. Après, on vend une BD, et puis on en vend une autre… et un jour on se retrouve scénariste à plein temps !

Fabien Nury : "J'aimerais faire des histoires dans à peu près tous les genres"
Benson Gate, dernière série en date de F. Nury (avec Garreta)
(c) Dargaud

Lorsque vous travailliez dans la pub, vous avez réalisé des clips ?

Non, c’est une erreur de biographie : j’ai écrit des clips, dans lesquels il m’est arrivé de jouer d’ailleurs, déguisé !... et puis j’allais sur le tournage effectivement, mais je n’étais pas le réalisateur officiel.

Mais la réalisation, c’est tout de même le but ultime pour vous ?

C’est un rêve de gosse, oui !... Je n’ai pas le talent d’un dessinateur, or je pense qu’une grande partie de la magie de la bande dessinée est contenue dans le dessin. Aujourd’hui, mes textes sont des outils, aussi bien en BD que pour le cinéma. Alors que, quand tu réalises un film, c’est ton film : tu prends beaucoup de risques, tu travailles beaucoup, tu te crèves, mais t’as quand même décroché le pompon !

Même en tant que réalisateur, on n’a pas la main sur tout.

Évidemment, le cinéma est un art collectif : on fait faire, plus qu’on ne fait. Sur le plan technique, j’ai un grand nombre de lacunes – mais j’ai envie d’apprendre !... La question est de bien s’entourer : tout dépend des collaborateurs. C’est vrai aussi en BD : si ça marche bien avec l’éditeur, avec le dessinateur, on apprend très vite. Au cinéma, je pense que c’est la même chose, avec plus de monde.

Les Brigades du Tigre, le film : scénario de Nury et Dorison
(c) Les Films Manuel Munz

Quelles sont pour vous les spécificités des deux supports, BD et cinéma ? Comment abordez-vous une histoire pour l’un ou l’autre ?

La différence, c’est le son. Et ça a une importance faramineuse. L’exemple le plus flagrant, à mon avis, est la question de l’angoisse. On peut faire des BD très angoissantes : les Japonais ont des titres très forts à ce niveau. Malgré tout, on a surtout peur de ce qu’on entend mais qu’on ne voit pas : c’est l’éternel truc qui consiste à mettre un gamin dans le noir et à gratter à la porte… Ça, c’est très difficile à reproduire en bande dessinée. En revanche, il y a une spécificité narrative à la BD : l’ellipse. On va rarement faire des monologues. Et puis il y a une force d’imagination de la bande dessinée qui est immense – certains blockbusters hollywoodiens arrivent à mobiliser autant d’univers que les BD ; mais quand on pense à L’Incal, à Universal War One, ou même, dans un cadre plus réaliste, à W.E.S.T., ça serait très cher à réaliser au cinéma. La bande dessinée est un immense espace de liberté. Le cinéma est un espace de discipline.

Fabien Nury
Photo : D. Pasamonik

Deux axes reviennent beaucoup dans votre travail : le fantastique et, systématiquement, un contexte historique. Pourquoi cette prédilection pour la période située entre la fin du XIXe et le milieu du XXe siècle ?

Il faut croire que cette période me plaît ! Je vais quand même essayer d’en changer... (rire) D’une manière générale, pour me faire rêver, il suffit de me donner un lieu et une date. Il y a des scénaristes qui ont une forte capacité d’invention, qui créent des mondes – pas moi. J’ai de l’imagination, mais pas d’invention. Donc j’ai besoin de nourrir mon imagination, de lire et de me documenter. C’est ça qui est mon carburant à histoire. Je peux travailler sur des sujets contemporains, c’est le cas en ce moment ; je serais relativement peu à l’aise en SF ; mais l’Histoire contient un tel vivier de sujets, c’est quelque chose qui me fascine. Plus je bosse, et plus je regrette d’avoir été un cancre en cours d’histoire, et plus j’en veux à certains profs de n’avoir pas su rendre le sujet aussi passionnant qu’il l’était !... Le contexte historique mobilise chez moi un certain nombre d’images : c’est, je dirais, le trip de départ. Quant au fantastique, là c’est beaucoup moins systématique : j’ai fait deux séries fantastiques et deux qui ne le sont pas. Il y a certaines choses en fantastique qui m’intéressent mais je ne suis pas très "monstres" et tout ça…

Je suis légion, par F. Nury et J. Cassaday
(c) Les Humanoïdes Associés

Votre fantastique s’appuie plus sur les personnages…

Oui, et sur les phénomènes de possession. Parce que là, il y a un thème qui m’intéresse et qui est à peu près présent dans tout ce que je fais, c’est le mal : il est clair que je ne fais pas beaucoup de comédies, ça n’est pas vraiment le bonheur pour mes personnages !... Le fantastique est un biais très puissant pour explorer ce thème. Quand on parle de pacte faustien, de sang vivant, ça permet, comme dans Je suis légion, de traiter le mal comme un parasite à l’intérieur de l’humain, donc de poser tout un tas de questions qui m’intéressent beaucoup. Et on en revient toujours au conflit interne, à l’intérieur des individus. Or ,créer des conflits internes chez les personnages, c’est le but du scénariste.

Qu’est-ce qui vous pousse à écrire des histoires ?

Je suis fan depuis tout gosse de cinéma et d’histoires : j’ai appris à lire avec Blueberry, et j’ai découvert le cinéma avec Il était une fois dans l’Ouest – ça m’a totalement fait rêver ! C’étaient des histoires violentes, dépaysantes… Et somme toute, je crois qu’on passe sa vie à essayer de reproduire un émerveillement qu’on a eu quand on était gamin. Ce qui m’a fait totalement décoller quand j’étais gamin, c’est des films comme Le Parrain ou Il était une fois dans l’Ouest. Donc je travaille à l’intérieur des genres : le polar, le western, le fantastique… C’est ce qui me motive : j’aimerais faire des histoires dans à peu près tous les genres.

W.E.S.T., scénario de Dorison et Nury, dessin de Rossi
(c) Dargaud

Pour finir, quels sont vos projets actuels ?

J’ai écrit une adaptation cinéma de Je suis légion, qui va peut-être se faire, ce serait un film anglo-saxon. Le producteur s’appelle Pierre Spengler, un des actionnaires des Humanoïdes Associés : il a produit les premiers Superman, Les 3 Mousquetaires, Underground, c’est un producteur international. Il a acheté les droits et m’a fait confiance pour adapter mon propre bouquin, le film est en cours de financement – mon boulot est terminé, en fait ! En octobre, chez Glénat, je sors une série qui s’appelle Il était une fois en France, qui est dans des univers à la Leone, Coppola, et se passe de 1925 à 1965... D’après des faits réels, un destin extraordinaire, celui de Joseph Joanovici, un Juif roumain ferrailleur, devenu milliardaire, ruiné, redevenu milliardaire, héros de la Résistance tout en étant copain des pires pontes de la Gestapo – bref, un personnage ambigu et charismatique : il y avait matière à une vraie saga, dessinée par Sylvain Vallée. Plus toutes les séries en cours ou qui vont démarrer… Et sinon, en ce moment, je développe un sujet pour un premier film, contemporain, que je coécris avec Xavier Dorison, et que je vais essayer de réaliser. Là encore, c’est d’après des faits réels, mais dans la France contemporaine : un petit thriller hitchcockien…

(par Arnaud Claes (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Propos recueillis à Monte Carlo le 14 avril 2007.

Une version de cet entretien complétée de questions sur les influences et techniques d’écriture est disponible sur le site 1001scenaristes.com.

 
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