Les mangas sont importants pour votre ministère ?
Je fais partie d’une génération qui a été élevée avec les mangas. Je lisais des mangas à l’âge de dix ans. C’est à ce moment là que les hebdomadaires Shônen Magazine et Shônen Sunday sont apparus sur le marché. Ils ont eu, dès le départ, un très grand succès.
Pour quelle raison, en fait ?
Parce que c’étaient les premiers hebdomadaires. Osamu Tezuka et d’autres artistes étaient déjà très connus. Tetsuwan Atomu (Astro Boy) était publié, je crois, dans un mensuel. Pour les jeunes garçons qui lisaient ces magazines, un mois, c’était éternellement long ! Pour notre génération, les mangas font partie de notre culture, de notre savoir-vivre, de notre « savoir-s’amuser ». Nous lisions aussi bien entendu des romans, de la littérature. Mais nous n’avions aucun tabou ! Les mangas n’étaient pas considérés comme quelque chose qui était en dehors de notre culture. Notre culture est traditionnelle, littéraire, graphique, musicale, d’un très haut niveau. Peut-être que pour les adultes à l’époque les mangas ne faisaient pas partie de cette culture, mais pour notre génération bien, c’était une culture gaie, dont nous savions que les bons mangas étaient à la hauteur des autres arts. Nos parents trouvaient les histoires de robots que nous lisions irréalites, complètement absurdes ! Mais aujourd ‘hui, au 21ème siècle, les robots et la technologie font partie de notre vie de tous les jours. Je ne nie pas qu’il existe de mauvais mangas, mais on a constaté qu’il y avait de plus en plus de mangas d’excellente qualité, que ce soit pour les jeunes garçons ou pour les jeunes filles. Les mangas ont évolué au fur et à mesure que les lecteurs sont devenus de plus en plus âgés. Ils s’adressent aujourd’hui à toutes les classes d’âge. Ma génération et la génération suivante ne considèrent plus les mangas comme une culture de seconde zone.
Est-ce que l’engouement des mangas en France vous a surpris, vous, les Japonais ?
Au départ, oui. Parce que nous avons longtemps cru que les Français étaient attachés à une culture de « classe A », qu’ils rejetteraient une culture étrangère qui serait populaire. Ce qui nous a surpris, c’est que les jeunes Français ont suivi le même cheminement que nous avons suivi nous-mêmes au Japon il y a trente ans, en se constituant une culture en contrebande de leurs parents.
Vous voulez dire que les mangas étaient une sorte de contre-culture vis-à-vis des générations précédentes ?
Je pense que cette prise de conscience n’existait simplement pas chez nous. Les mangas plaisaient aux jeunes, c’est tout. Le sentiment de révolte contre les adultes, s’il existait, n’était pas culturel, il était social. Dans les années soixante, le Japon connaissait un essor économique. Le plein emploi avait relevé le niveau de vie. Les parents, par voie de conséquence, souhaitaient que leurs enfants fassent sérieusement des études ; ils leur mettaient la pression. Peut-être que la lecture des mangas, une littérature déconsidérée par les adultes, constituait quelque chose comme une révolte. Mais ce n’était pas un sentiment très conscient.
La France joue-t-elle un rôle moteur dans l’expansion des mangas dans le monde ?
Oui. La France représente, pour les mangas japonais, le quatrième marché d’exportation dans le monde après la Corée, Taïwan et les États-Unis.
Devant la Chine ?
Oui, pour l’instant.
Votre ambassade soutient Japan Expo. Comment ressentez-vous cet événement ? Est-ce qu’il y a quelque chose de comparable au Japon pour la France ?
Non. C’est bizarre. Je connais et j’aime les bandes dessinées françaises et belges comme Astérix, Tintin. Je les ai utilisées pour apprendre le français, de la même façon que les mangas constituent un bon outil pour apprendre les langues étrangères. Il y a des amateurs de BD franco-belge au Japon, mais pas beaucoup. Pourquoi ? Peut-être parce qu’elle est un peu trop pédagogique, trop intellectuelle. Pour être lu par les masses, il faut que l’accès soit facile. Pourquoi lit-on des mangas ? Parce que l’accès en est simple et parce les sujets sont variés. J’ai l’impression que la bande dessinée en France est peut-être un peu trop sérieuse, un peu élitiste. Or, les jeunes, ce qu’ils recherchent avant tout, c’est l’amusement. Dans les mangas, les sujets sont familiers pour eux.
Un phénomène propre aux mangas conforte cette analyse : le Cosplay. On ne connaît pas de fan qui, dans la BD franco-belge, se saisisse d’un personnage pour participer à un concours de costumes comme le font les lecteurs de bande dessinée japonaise.
Les mangas « pédagogiques » pour les adultes, comme ceux de Miyazaki Hayao ou Takahata Isao, ne connaissent pas ce phénomène, c’est une question d’âge, sans doute. Ce sont de bons mangas. Ils commencent à être appréciés en France. Je ne sais pas si Madame Royal connaît ces mangas-là, qui sont un peu plus récents. Peut-être n’a-t-elle vu que des mangas de mauvaise qualité ou d’ancienne génération. Si elle voyait les bons mangas, je pense qu’elle changerait d’opinion.
Pendant la campagne électorale, le 20 heures de France 2 a publié un reportage dans lequel on interrogeait les touristes pour connaître leur opinion sur les candidats. La touriste japonaise interrogée a répondu qu’elle ne voterait pas pour « la femme, car elle n’aime pas les mangas ! ».
Oui, cette information a eu un grand écho chez nous. Pendant la campagne électorale, dans la plupart des journaux, on rappellait caricaturalement que M. Sarkozy n’aimait pas le sumo et que Madame Royal était une anti-manga ! (Rires)
Pour en revenir à Japan Expo, comment recevez vous cette manifestation ?
C’est extraordinaire ! J’y suis allé l’année dernière. Ce qui m’a surpris dans le bon sens, c’est que non seulement les jeunes sont là, mais aussi les adultes. Or, c’est comme cela que le manga a évolué au Japon, qu’il a acquis une sorte de « citoyenneté » dans la civilisation japonaise. Il a fallu du temps.
Les mangas sont sans doute aujourd’hui l’un des principaux facteurs d’une image positive du Japon en France.
Oui. C’est pour cela que pour l’Ambassade et le gouvernement japonais, le manga est considéré comme un vecteur du rayonnement culturel du Japon. Les rapports du commerce extérieur publiés par nos ministères emploient le mot « manga » tout le temps, comme on parlait du théâtre Nô et du Kabuki à une certaine époque. On l’associe à la « pop culture », un vocable également très présent dans le vocabulaire actuel de nos fonctionnaires. Les mentalités ont évolué et, en plus, la qualité des mangas aujourd’hui est vraiment très élevée. Dès le départ, il y a eu des bons auteurs. Les mauvais mangas qui ont pu être publiés –et je ne nie pas qu’il y en ait eu- n’effacent pas le fait qu’il y en ait eu de très bons.
Le revers de ce succès, c’est que les mangas ont pris 30% du marché en France, 70% en Allemagne, 80% en Pologne…, ce qui suscite des inquiétudes. On parle d’impérialisme japonais…
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette expression. L’impérialisme, c’est quoi ? Une volonté d’expansion. Cela signifie qu’une culture ou un pays s’impose à d’autres cultures. Il y a donc une volonté expansionniste. Dans le cas des mangas, il faut constater qu’Osamu Tezuka ou les autres écrivaient des mangas pour les Japonais, sans intention, jusqu’à récemment, de vendre leurs mangas à l’extérieur du Japon. Donc, l’intention expansionniste n’y est pas. Tous ces mangas montrent pour la plupart des scènes quotidiennes de la société japonaise. Il y a un bon nombre de choses que les Japonais comprennent ; les autres, pas forcément : par exemple, les personnes se déchaussent à l’entrée des maisons, saluent de la tête en avançant le tronc, etc. Il y a une quantité de représentations de mœurs ou de pratiques sociales ou familiales qui n’existent qu’au Japon. Mais quand même, cela a été accepté. Si les visages de ces mangas sont occidentaux, c’est parce que les Japonais idéalisent ce type de visage. Mais ils sont dessinés ainsi pour plaire aux lecteurs japonais ! Si ces auteurs avaient voulu être lus par des lecteurs non-Japonais, ils les auraient sans doute dessinés autrement, de façon plus neutre, plus universelle. Maintenant, je me demande si ces mœurs et ces pratiques influences les jeunes ici. J’ai appris que de plus en plus de jeunes se déchaussent à la maison. Peut-être est-ce dû à cette influence ? Est-ce que le fait qu’ils aiment de plus en plus manger des sushis et de la nourriture japonaise vient de là ? Je ne sais pas. Dans ma jeunesse, je regardais beaucoup de films télévisés américains et inconsciemment, j’ai été influencé par la culture américaine. Peut-être que la façon de vivre présentée par les mangas aura inconsciemment ce même type d’influence sur les sociétés occidentales.
Le gouvernement japonais vient de lancer un « Prix international du manga ». Quelle est la signification de ce prix ?
Ce prix a été créé par le ministre des affaires étrangères du Japon, M. Taro Aso. Il officialise notre politique par rapport au manga, considéré comme un outil de diffusion de notre culture. Cette année, les premiers lauréats seront sélectionnés à la fin du mois de juin et, à ma connaissance, il y a des postulants français. Il y a des Coréens, des Taïwanais… La concurrence est assez sévère mais j’espère, en tant que représentant du Japon en France, qu’il y ait un Français dans les lauréats.
Le fait que les éditeurs français se mettent à publier des mangas « français » va-t-il créer des échanges entre nos deux pays ?
Je l’espère. C’est un moyen d’approfondir nos relations. Ces moyens peuvent être multiples mais comme notre système administratif et budgétaire ne suit pas vraiment le mouvement, ces affinités entre nos deux cultures, chacune très attachées à une expression classique haut de gamme, vont pouvoir élargir le champ d’appréciation et la faire évoluer vers une dimension populaire, non-élitiste, plus large. La créativité des jeunes leur permettra de dépasser la culture de notre génération en favorisant de nouveaux moyens de contact et de rencontre. Notre gouvernement n’a rien fait pour diffuser les mangas, c’est une impulsion qui est venue des amateurs eux-mêmes. Cela a abouti de façon très naturelle. Je crois à la spontanéité des échanges, à la créativité des jeunes générations. Si on les laisse faire, cela marchera.
Quel est votre apport à Japan Expo ?
C’est un soutien moral.
Et financièrement ?
Nous ne donnons rien. Ils n’en ont pas besoin, ils ont les moyens. Il y a des gens qui les aident, des sociétés japonaises également. Ce sont donc des relations spontanées et naturelles. S’ils ont un jour besoin d’une aide de notre gouvernement, ce sera le début de la fin de leur manifestation. C’est leur travail à eux, leur succès. Ce n’est pas la politique délibérée d’un gouvernement qui en est à l’origine. C’est pourquoi je suis optimiste pour Japan Expo. Je serai là au moment de l’inauguration, M. l’Ambassadeur sera là également. Si M. le Ministre des Affaires étrangères, M. Aso est à Paris à ce moment là, il sera sûrement ravi de s’y rendre.
Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 15 juin 2007.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Japan Expo 8ème Impact sera ouvert aux visiteurs du 6 au 8 Juillet 2007 entre 11h00 et 19h00. Nous vous conseillons d’acheter les billets à l’avance.
Parc d’Expositions de Paris-Nord Villepinte.
Le Festival bénéficie d’une station RER dédiée, à 25 minutes du Centre de Paris, 10 minutes de Charles de Gaulle (aéroport et gare TGV).
Lire aussi notre interview de Jean-François Dufour, le président de Japan Expo.
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