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Jean Dufaux : "La première chose, c’est la rencontre avec le dessinateur"

Par Arnaud Claes (L’Agence BD) le 3 septembre 2007                      Lien  
Avec {Les Enfers}, Jean Dufaux est l’une des têtes d’affiche de Robert Laffont pour son lancement en bande dessinée. Il nous a accordé un entretien à propos de cette nouvelle série, cosignée par Paolo Serpieri.

On retrouve dans Les Enfers plusieurs thématiques récurrentes dans votre œuvre : les liens du sang, la soif de pouvoir… mais aussi les thèmes de prédilection de Paolo Serpieri : l’oppression exercée par l’Église, par un pouvoir dictatorial, la dégénérescence d’une société… Comment vos univers se sont-ils rencontrés, et qu’est-ce que cette rencontre vous a apporté ?

D’abord, il faut une rencontre : dans un métier où l’écriture est d’abord une écriture de collaboration, et où elle passe par l’image, il est essentiel de sentir l’imaginaire de la personne en face de vous. Parfois ça fonctionne, parfois non, et ça n’a rien à voir avec le talent : quelqu’un peut avoir un talent énorme, et vous ne sentez pas d’accroche. Il y avait beaucoup de choses que j’appréciais graphiquement dans Druuna, le personnage me semblait intéressant, mais je n’avais pas de projet tout prêt pour autant. Je n’ai rien dans les tiroirs, et quand je rencontre un dessinateur, ça doit être pour moi un terrain vierge. Je vais le rencontrer, l’écouter, voir si nous pouvons trouver un terrain d’entente – dans tous les sens du terme : géographique, politique, graphique… Quand ça fonctionne bien, et qu’on a affaire à un vrai professionnel, ça peut aller très vite.

Jean Dufaux : "La première chose, c'est la rencontre avec le dessinateur"
Paolo Serpieri et Jean Dufaux
Photo (c) Isabelle Vincenti

Avec Serpieri, ce qui tombait très bien pour moi, c’est que l’Italie est un pays pour lequel j’ai une grande tendresse, sur lequel j’ai déjà beaucoup travaillé par le passé, en particulier avec la série Giacomo C. chez Glénat. Donc je me suis retrouvé très vite en terrain d’entente sur une ville dont on ne finira jamais de parler, de même qu’il est bon d’y retourner maintes fois. Il s’agissait de Venise, de raconter d’autres choses sur Venise : un autre univers, un univers de dégénérescence qui me correspondait et correspondait parfaitement à Serpieri. Donc c’était un terrain d’entente parfait.

L’autre terrain sur lequel il fallait discuter dès le départ, c’est la place de la sensualité et de l’érotisme dans l’histoire, parce que je ne voulais surtout pas faire du Druuna, et c’était également le but de Serpieri : on s’est bien entendu là aussi.

Le personnage principal des Enfers, Saria, est une nouvelle venue dans votre galerie d’héroïnes, comment avez-vous conçu ce personnage ?

En écoutant Serpieri, et surtout en pensant à ces personnages qui se situent en marge de la société, en révolte contre elle, parfois avec beaucoup de naïveté et peu de moyens, donc pas mal de panache. Ce sont des personnages qui me viennent facilement sous la plume, et que j’aime également dans la vie, et il se faisait que cela correspondait parfaitement à certaines envies de Paolo Serpieri : un personnage très jeune, mais qui cache beaucoup de choses. Et puis, ce qui est important dans mon travail, un personnage qui puisse changer fondamentalement au cours de l’histoire. Parce que ce qu’on ne sait pas, dans ce premier volet d’une histoire qui en comporte trois, c’est que Saria, La Luna, va vivre une mutation profonde. Il me fallait donc un personnage qui soit intéressant, parce que ce qu’il sera avant et après va radicalement changer.

Les Enfers, par Dufaux et Serpieri
(c) Robert Laffont

Il semble que son rapport avec Orlando sera une des clés des tomes suivants – on ne peut s’empêcher de penser, en voyant ces deux personnages, au Bossu de Paul Féval… Est-ce le même type de relation, quelle en est l’importance ?

Je dirais qu’Orlando est un personnage de relais, qui sera moins important que les personnages du Bossu de Féval : il va protéger Saria dans son enfance, comme Lagardère dans Le Bossu, lui donner une indication essentielle, puis il va s’effacer par la suite parce que lui-même est atteint par cette malédiction : il s’est approché de trop près de la porte, qui l’a contaminé. Donc il ne pourra pas poursuivre sa mission jusqu’au bout, et il devra céder la place à un personnage qui apparaît dans le tome 2. C’est un peu comme dans la vie : il y a des personnes qui vous suivent une partie de votre enfance, de votre adolescence, et même de l’âge mûr…

Votre scénario est écrit de façon très cinématographique : vous y décrivez des mouvements de caméra…. Voir l’une de vos œuvres adaptée au cinéma serait-il une forme d’accomplissement pour vous ?

Non, l’accomplissement, c’est l’histoire qui est diffusée, qui passe du côté du lectorat. Lorsqu’elle est écrite, dessinée et lorsqu’elle paraît en album, c’est une histoire dont je me suis débarrassé : elle n’est plus dans ma tête, et ça c’est extrêmement important pour moi. Pour le cinéma, il se fait qu’effectivement, je suis en contact avec des maisons de production et qu’on en parle. Mais il faut aussi savoir, et c’est essentiel (certains scénaristes le répètent d’ailleurs maintenant) que l’espace de liberté est plus grand en bande dessinée. Il est clair qu’au cinéma, si je découpe un film plan par plan, si je le dialogue, je ne serai qu’un des éléments d’une machine énorme ; tandis qu’en bande dessinée, je peux vraiment imprimer mon rythme et mon style à l’histoire, autant que le dessin – et tout en servant le dessin, c’est ça qui est admirable : ça fonctionne dans les deux sens.

Pour quelle série êtes-vous en discussion ?

C’est un projet qui doit normalement se signer bientôt, et qui concerne une adaptation de la série Rapaces, avec Enrico Marini.

Les Enfers, par Dufaux et Serpieri
(c) Robert Laffont

Comment travaillez-vous vos scénarios ?

La première chose, c’est la rencontre avec le dessinateur, ici Paolo Serpieri : il est très important que le courant passe. Il faut tout de même se dire que c’est un travail qui va prendre trois années pleines, si pas quatre, et qu’il vaut mieux être sur la même longueur d’onde pour tout ce temps-là ! Puis je commence vraiment par les repérages : la documentation, les décors… Je vois les grandes lignes de l’action, mais je ne peux pas les placer tant que je ne vois pas précisément les décors dans lesquels cette action va filer. Donc je réunis la documentation, et j’inscris dans un petit carnet les étapes essentielles de l’histoire, mais sur les trois, quatre ou cinq volumes ! Je me souviens que j’étais épuisé, à la fin des Voleurs d’Empires, avec Martin Jamar, parce que la fin était prévue dès le départ, et ça faisait dix années où il faut garder cet imaginaire en tête et dans vos petites notes !...

A partir de là, je me mets à écrire, j’envoie bien sûr le scénario au dessinateur, et j’attends les émotions que son dessin va susciter en moi. Et ces émotions sont capables de me faire changer certains éléments de l’histoire… Une émotion est arrivée à laquelle je ne m’attendais pas, un personnage peut se développer, ou au contraire une séquence peut me décevoir, et je réagis par rapport au dessin. Ce n’est pas, ce ne sera jamais un scénario figé : il joue de l’émotion du partenaire et de ce qu’il vous envoie, de son interprétation de l’histoire. Ça, c’est passionnant : le métier consiste à faire coïncider les deux.

Pouvez-vous nous parler de votre autre projet pour Robert Laffont, avec Béatrice Tillier ?

C’est très différent, mais là aussi ça provient d’une rencontre : je connaissais un peu le travail de Béatrice Tillier, j’étais très touché par ce mélange de force, de grâce et de délicatesse… C’était un univers graphique à partir duquel je sentais que j’étais capable de raconter une histoire. On peut me présenter parfois des dessinateurs absolument géniaux, mais je suis absolument incapable de greffer sur leurs images la moindre narration. Béatrice, je l’ai rencontrée, la rencontre a été bonne, et je suis parti dans mon coin pour imaginer un conte, une fable, où les animaux et les humains se mélangent, se font la guerre, s’aiment, se déchirent… C’est une histoire qui joue beaucoup de la différence, dans une époque qui permet à Béatrice Tillier de travailler les costumes, les tissus, les armes, les armures… et la gestuelle animale ! J’étais très curieux de la voir travailler sur cette gestuelle animale, il me semblait que cela pouvait lui convenir : ça c’était un pari de scénariste au départ, et je suis très content de ce que je vois.

Pour finir, quels sont vos prochains albums à sortir ?

D’ici la fin d’année, sortent d’abord Les Enfers, qui seront suivis par le nouveau Djinn, un volume assez important dans la série puisqu’il voit la mort d’un personnage principal et la folie d’un autre… Il y aura un Koda, qui termine une histoire… Et puis une nouvelle série avec Philippe Xavier sur les croisades, une croisade particulière, au Lombard. Enfin, début 2008, paraîtra le Béatrice Tillier.

(par Arnaud Claes (L’Agence BD))

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