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Arnaud Quéré : « Il m’a fallu être très ordonné pour donner l’impression de ne pas l’être. »

Par François Boudet le 30 novembre 2007                      Lien  
Son album de souvenirs [{Un air de paradis}->article5952] nous a apporté une agréable bouffée d’air frais de la campagne ! Rencontre avec ce jeune auteur complet qui signe ici son premier scénario.

Vous venez de faire paraître un roman graphique autobiographique en noir et blanc. On ne vous connaissait pas ce style. Pourquoi ce changement ?

Ce n’est pas vraiment un changement pour moi. C’est un style graphique que j’utilise depuis longtemps pour réaliser des croquis de paysages ou de personnages pendant les vacances. C’est un ami, en voyant ces croquis, qui un jour m’a incité à utiliser ce graphisme pour une BD. Il fallait un projet qui corresponde parfaitement à ce style « croquis ». J’avais depuis longtemps l’envie de parler de l’enfance, et du coup le projet Un air de paradis s’est tout naturellement imposé. Mais ça ne veut pas dire pour autant que j’abandonne le style « BD belge » de Echec et automates ou celui cartoon de Le cochon qui crie au loup.

Edmond Baudoin a préfacé le livre. Est-il une de vos sources d’inspiration ? Comment s’est faite cette rencontre ?

Arnaud Quéré : « Il m'a fallu être très ordonné pour donner l'impression de ne pas l'être. »C’est Marie Moinard, l’éditrice des éditions Des ronds dans l’O, qui a eu l’idée de proposer à Edmond Baudoin de faire une préface. J’étais bien évidemment ravi, surtout que moi je n’aurais jamais osé. C’est pour moi l’un des grands maîtres de la BD, je suis très admiratif de son travail. J’ai d’ailleurs plusieurs magnifiques dédicaces de lui dans ma bibliothèque. Il y a toujours un côté « humain » dans ses BD. Il a d’ailleurs lui-même traité sa propre enfance dans un de ses ouvrages au Seuil. On se rend bien compte en le lisant qu’il va sur place faire des croquis, il y a ce côté authentique. J’ai bien sûr beaucoup de sources d’inspiration, conscientes ou inconscientes, et Edmond Baudoin en fait bien évidemment partie.

Avez-vous d’autres sources d’inspiration ? Dans la littérature par exemple, on pense parfois à Pagnol ou Giono en lisant votre album.

Pagnol est bien sûr une référence. A aucun moment je ne me permettrais de me comparer à lui, mais je voulais faire une BD un peu de la façon dont il a abordé ses livres autobiographiques. Une histoire, sans intrigue, sans rebondissement, mais remplie de petites anecdotes, où l’atmosphère y est très importante. Et surtout beaucoup de sincérité et de tendresse.

Dans votre mise en scène, l’accent est mis sur les décors champêtres. Nous avons souvent une « vue subjective » comme si nous voyions au travers des yeux des personnages. Autre caractéristique : il n’y a pas de bulle. Pouvez-vous nous expliquer ces choix ?

C’était une façon de ne pas trop me mettre en avant, de rester un peu à l’écart, pour laisser le lecteur s’approprier le récit et retrouver un peu de sa propre enfance. Pour moi, le thème de la BD est « l’enfance » et non « mon enfance ». Je me suis juste servi de la mienne. Enfin, en tout cas, c’est ce que j’ai essayé. La préface d’Edmond Baudoin m’avait d’ailleurs bien rassuré en ce sens.

Extrait de "Un air de paradis"

Quel public visez-vous si tant est que vous « visiez » un public précis ? Celui des bédéphiles ou plus largement celui des lecteurs de littérature ?

C’est une question que je ne me pose pas vraiment, car quand on commence à penser « cible », on se donne forcément des contraintes supplémentaires. Ça reste avant tout une BD, mais j’espère effectivement que ça peut aussi toucher un public plus souvent tourné vers la littérature, car l’album se lit un peu comme un roman vu qu’il n’y a pas de bulles.

Vous faites une BD d’auteur, autobiographique, mais cependant vous n’êtes pas nombriliste, vous racontez des choses, vous exprimez des valeurs que beaucoup de personnes partagent ou peuvent partager… C’est en ce sens qu’Edmond Baudoin dit de vous dans sa préface que vous êtes Humain… Est-ce une démarche consciente de votre part ?

J’ai été très touché qu’Edmond Baudoin ait ces petits mots pour mon travail. Effectivement, j’ai cherché à traiter des sujets où chacun peut se sentir concerné, comme la famille, les jeux, les balades, etc… Mon premier travail avait d’ailleurs été de répertorier tous ces thèmes.

Vous avez donc bien étudié la structure de votre récit… Ca n’est pas, comme certains ont pu le penser, des souvenirs recollés au petit bonheur la chance… Votre récit est structuré, organisé…

Oui, oui, ça m’a d’ailleurs demandé pas mal de travail. Je voulais au final donner l’impression de me souvenir « à la volée » des différents événements, un peu comme si je revenais sur les lieux de mon enfance et qu’en me baladant le décor me fasse penser à certaines anecdotes. Je voulais garder cette impression de spontanéité dans le récit. Mais il ne suffit pas de coller des morceaux à la suite des autres pour obtenir ceci, ça ne marche pas, il n’y a plus de rythme, les scènes s’enchaînent mal, etc… J’ai remué les scènes dans tous les sens pour obtenir ce que je voulais. Il m’a donc fallu être très ordonné pour donner l’impression de ne pas l’être.

Extrait de "Un air de paradis"

Combien de temps avez-vous mis pour réaliser cet album ?

A peu près 5 mois.

Pourquoi avoir choisi un petit éditeur ?

Ce projet me tenait vraiment à cœur, je ne voulais surtout pas qu’il soit dénaturé. Je voulais aussi une grande liberté sur le nombre de pages, et de la souplesse dans mon travail. Les éditions Des ronds dans l’O et le discours de Marie Moinard m’ont très vite convaincu. Elle s’est vraiment impliquée à fond sur le projet, et je la remercie.

Comment s’est passé votre travail avec votre éditrice ?

Elle m’a laissé une grande liberté. Elle m’a beaucoup aidé. Que ce soit au niveau de la narration ou en pointant du doigt les défauts graphiques par endroits. Grâce à elle, Un air de paradis y a beaucoup gagné.

Nous voyons dans le carnet à la fin de l’album que vous avez travaillé les portraits des personnages de votre famille d’après des photos ; en a-t-il été de même pour les décors ou êtes-vous retourné sur les lieux pour dessiner ?

Oui, j’ai travaillé les personnages d’après photos, pour plus de réalisme. Par contre j’ai traité l’intégralité des décors sous forme de croquis que je réalisais directement sur place. J’ai en effet la chance que les lieux de mon enfance n’aient pas beaucoup changé. Je préparais donc ma planche en amont chez moi, puis je partais dans la campagne avec mon encre de chine. Je n’ai donc fait aucun crayonné pour les décors, ce sont tous des croquis directement à l’encre.

Votre famille est très présente, elle a même participé en fin d’album. Quelle a été sa réaction quand elle a vu le livre en librairie ?

Elle a été très touchée je pense, d’autant plus que je ne leur avais pas trop parlé précisément du projet.

L’accueil critique semble bien parti, cela vous surprend-il ?

Oui, l’accueil public semble bien parti et j’en suis ravi. Quand on sort une BD, on a d’un coup tout plein de doutes, et les premières critiques sont très encourageantes.

Pensez-vous faire une « suite » à cette histoire ? Le personnage (vous, enfant) que vous avez décrit est tellement attachant que l’on aimerait bien le retrouver dans un prochain roman graphique, découvrir d’autres étapes de sa vie (savoir comment il est devenu auteur de bande dessinée, par exemple, etc.)…

J’ai effectivement un autre projet du même ordre. Le nom de code est pour l’instant « Mon copain Anne a eu les oreillers ». Je commence par raconter qu’un jour à la maternelle, je suis revenu à la maison en disant à ma mère que ma copine Anne que j’appelais mon copain Anne n’était pas venue à l’école car elle avait les oreillers (les oreillons). De la même façon dont je traite de l’enfance dans Un air de paradis je souhaite traiter de « l’amitié » à travers ma propre expérience, que ce soit les amis, les copains, les relations de travail, etc…. Là aussi, je compte revenir sur les différents lieux des évènements pour réaliser les décors directement sur place.

Extrait de "Un air de paradis"

Vous allez proposer ce projet à Des ronds dans l’O ?

Bien sûr, c’est évident, la question ne se pose même pas, c’est à eux que je le proposerai en premier, et je ne démarcherai d’autres éditeurs qu’en cas de refus de leur part.

Maintenant que l’album est dans les bacs, quels sont vos projets immédiats ?

Il y a donc « Mon copain Anne a eu les oreillers », je sors aussi une BD jeunesse en décembre, Le manchot aux éditions Carabas, et j’ai participé à un collectif sur Balzac. Je continue aussi de faire des illustrations pour la jeunesse (vous pouvez d’ailleurs voir un aperçu de mon travail d’illustrateur sur mon site) et plein d’autres choses, ce ne sont pas les projets qui manquent...

(par François Boudet)

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Illustrations © Arnaud Quéré / Des ronds dans l’O

 
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