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D. Burdot et L. Muller (Ed. 12bis) : « Nos albums ne comporteront pas de page 13 »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 21 janvier 2008                      Lien  
Dominique Burdot était directeur général des éditions Glénat ; Laurent Muller son directeur éditorial. Approchant de la quarantaine, considérant qu’ils avaient rempli le contrat avec leur employeur (17 ans pour le premier, 10 ans pour le second), nos deux complices ont décidé de voler de leurs propres ailes en créant leur label : 12bis dont le nom vient de leur adresse à Paris : 12 bis avenue des Gobelins. Rencontre.

Avec quelle proposition nouvelle arrivez-vous sur le marché ?

Dominique Burdot : Il y a deux aspects. Il y a ce que l‘on propose aux auteurs : de la réactivité, de l’écoute, de la proximité, un vrai travail éditorial sur les bouquins, du temps, mais aussi des conditions économiques qui font qu’ils se sentent bien, qu’ils aient le temps de faire le travail correctement. Ensuite, il y a une proposition par rapport au marché. En ce qui nous concerne, elle est très classique, elle ressemble à ce que font les autres éditeurs de bande dessinée, on espère se retrouver avec un public assez large, assez vite, avec des bouquins qui seront ciblés pour chacun des projets.

Vous venez sur le marché avec une proposition semblable à celle des plus gros acteurs du marché. Sacrée concurrence !

D. Burdot et L. Muller (Ed. 12bis) : « Nos albums ne comporteront pas de page 13 »
Le "Dico Sarko" par Charb
(c) éditions 12bis

Un bon projet éditorial, quelle que soit sa marque, trouve sa place. S’il est mal foutu, mal ciblé, et s’il n’y a pas de promotion, qu’il soit labellisé Dargaud ou 12bis, il ne marchera pas. Nous n’allons pas révolutionner le média. On fait ce qu’on sait faire, des bandes dessinées et des mangas. Simplement, on va essayer de le faire dans une production ciblée, d’une façon maîtrisée. Après, ce sera le public qui parlera, qui trouvera ou non nos albums bien foutus et qui aura envie de les acheter. On ne va pas faire des livres triangles, ronds ou ovales. On va faire des bandes dessinées classiques. Nos lignes éditoriales, c’est évidemment de la bande dessinée franco-belge, c’est évidemment du manga puisque je suis historiquement un tout petit peu à l’origine de ce secteur chez Glénat, où nous avions commencé à faire du manga à partir de 1990. C’est aussi une ligne de BD un peu plus engagée puisqu’on va beaucoup collaborer avec Charlie Hebdo et certains de leurs auteurs, un peu dans la ligne de ce que nous avions pu faire chez Glénat avec La Face kärchée de Sarkozy. Ce sont en gros nos trois lignes éditoriales de base. On va faire sur 2008 entre 20 et 25 titres. Sur 2009, nous avons planifié 35 à 40 titres. À partir de 2010, on fera en moyenne 60 à 80 titres, mangas inclus. Cela reste une production très maîtrisée, loin de la cavalerie de certains éditeurs. La proportion entre le manga et la BD sera de l’ordre de 50%, ce qui signifie une trentaine de BD à l’année. Nous serons diffusés et distribués par Interforum (Groupe Editis), le deuxième plus gros distributeur français. On s’est donc aussi donné à ce niveau là les moyens de donner une vraie visibilité à nos projets. Je voudrais préciser que nous n’avons pas lancé ce label « contre » les autres éditeurs. Nous ne sommes pas aigris, coléreux, nous n’avons pas envie de dire du mal de qui que ce soit, et encore moins de la structure dans laquelle nous avons travaillé préalablement. Nous ne sommes pas dans une logique « propriétaire », nous collaborons sur certains projets avec des auteurs qui peuvent très bien publier ailleurs. Nous sommes dans une logique de marché qui est évidente pour nous et qui ne l’est pas forcément pour tout le monde mais qui, pour nous, l’est. Donc, quand on a un projet qui est raccord avec les auteurs, on se donne les moyens et on est à fond dessus.

Dominique Burdot et Laurent Muller, les fondateurs des éditions 12bis.
Photo : D. Pasamonik pour L’AgenceBD

Avec quels auteurs justement ?

Laurent Muller : Vous ne serez pas surpris. En vrac, Richard Malka, Eric Corbeyran, Djillali Defalli, Pierre Boisserie, Henri Fabuel, Luc Brahi, Jean-Yves Delitte… des gens comme cela. Après, il y a évidemment d’autres auteurs qui sont en cours de discussion. Avec Delitte, on est sur un projet d’aventure historique, avec Malka, Corbeyran et Defalli, on va faire un polar assez étonnant dont on parlera le moment venu. On a une collection de polars avec un axe particulier avec Fabuel, Boisserie, Brahi, et Malka dont on reparlera aussi dans quelques mois. On a une BD historique avec Boisserie qui revisitera un grand classique de l’aventure.

"Tunny Head", un surprenant inédit de Fane.
(c) éditions 12bis

Dominique Burdot : On sera un peu dans tous les domaines, de la science fiction, du polar aux récits historiques, parce que l’on veut sortir de la logique de collection. On défendra série par série. On veut pouvoir signer tous les projets qui nous intéressent sans se sentir prisonniers d’un carcan de collection. Chaque série aura son identité visuelle sans que l’on soit obligé de l’inscrire dans un cadre. Ce qui était bon il y a quelques années n’est plus forcément vendu aujourd’hui, pas chez tout le monde en tous les cas, et nous on n’a pas envie d’avoir cette logique-là.

Laurent Muller : Nous allons aussi publier des bandes dessinées d’humour. On a déjà signé des projets avec Fane, l’auteur de Joe Bar Team, un one-shot et une série de trois albums humoristiques « gros pif », très bien gaulés. On a signé avec trois autres auteurs, parmi lesquels Henri Jenfèvre qui fait Les Gendarmes, chez Bamboo, on a signé avec Philippe Bercovici, avec Pat Perna un scénariste qui avait publié Tuning Maniacs chez Vents d’Ouest ou encore la série Calagan, autour de l’humour mécanique.

Dominique Burdot : Ce sont des très gros vendeurs globalement et là, on est en train de travailler ensemble sur un certain nombre de projets d’humour thématique ou d’humour grand public dans l’esprit du Dupuis de la grande époque, avec Fane par exemple, qui est un grand fan de Franquin et qui n’a rien fait bizarrement dans ce registre-là. Avec lui, on est partis sur un projet de trois albums. En BD traditionnelle, ce sont nos deux axes : aventure avec un esprit romanesque et humoristique grand public. Et puis, nous avons un troisième axe qui est politique ou sociétal qui nous tient aussi à cœur. On a passé en particulier un partenariat avec Charlie Hebdo avec qui on va coéditer deux ouvrages dans lesquels on retrouvera soit des rubriques publiées dans Charlie, soit des dessins publiés dans cet hebdomadaire, soit des inédits, on verra, avec un certain nombre d’auteurs qui travaillent avec eux. À côté de cela, dans ce même registre, on va travailler indépendamment de Charlie avec quelques auteurs qui travaillent avec eux, que ce soit Charb, que ce soit Tignous ou Riss. Pour certains on a des projets très avancés dont les contrats sont signés, pour d’autres nous sommes en pleine phase d’élaboration éditoriale. On a envie de monter une vraie ligne éditoriale autour de ça. Notre premier bouquin sera « Le Dico de Sarko de Charb, un volume de près de 1000 entrées avec une préface d’Alain Rey qui nous a aidé à porter le projet. C’est un bouquin de 80 pages et que, avec Charb, on a voulu pas cher : 10,5 euros. Un beau bouquin qui sortira au mois de mars 2008. Pour la promo, on n’aura pas beaucoup à se forcer : celui qui va faire notre communication, il est à l’Élysée !

Une double page du "Dico Sarko" de Charb.
(c) éditions 12bis

Je lis : « Acteur : (n.m) Christian Clavier  ». « Censurer : (verbe transitif) Donner des conseils par téléphone, de vive voix, à un directeur de la rédaction.  » On voit le genre… Avec Sarko, vous tenez un sujet inépuisable ! Là, avec Carla Bruni, vous avez un volume de plus…

Dominique Burdot : Ça paraît aujourd’hui évident pour tout le monde mais quand j’avais fait chez Glénat, en coédition avec Fayard, La Face kärchée de Sarkozy, il n’y avait pas grand monde qui aurait parié dessus. Au final, c’est un bouquin qui s’est vendu à plus de 200.000 exemplaires. On a ouvert une brèche sur le sujet. Après, il y a mille produits qui ont été faits qui n’étaient pas du même niveau, d’ailleurs les ventes sont là pour le prouver. On a nous la vocation pour faire ces choses-là et on va continuer à le faire, mais à le faire bien. On ne fera pas « le petit Sarko » ou « la petite Ségo », de l’humour à la Jungle ou à la Bamboo. On veut que ce ne soit pas seulement une compilation de dessins. On veut des ouvrages plus conceptuels que ça, avec des vraies idées de fond, un vrai contenu. Et puis on continuera à faire ce que l’on a fait avec Riss, Malka et Cohen, des vraies BD-enquêtes sur d’autres sujets, mais là seulement deux BD par an car cela nécessite une véritable enquête qui prend du temps avec un certain nombre de journalistes de la presse écrite qui feront ce que Cohen avait fait sur Sarkozy. Aujourd’hui, ça, il n’y a pas grand monde qui est capable de le faire.

Quelques "définitions" du "Dico Sarko" de Charb.
(C) éditions 12bis

Et les mangas ?

Dominique Burdot : Nous en ferons, bien évidemment, forts d’une expérience longue et fructueuse dans ce domaine, parce qu’on sait faire et que l’on aime ça et que l’on a de très bonnes relations avec tous les acteurs du marché, en particulier les éditeurs japonais qui nous font confiance et que l’on apprécie. On va donc continuer à travailler au développement du manga ensemble. Nous publierons nos premiers mangas à partir du mois d’avril avec une série qui n’est pas une très grosse licence, mais qui marche très bien au Japon et qui a fait l’objet de deux séries de dessins animés et d‘un long métrage au Japon. On vous en reparlera à ce moment-là.

Et puis vos livres auront quelque chose que les autres éditeurs n’auront pas…

Laurent Muller : Oui, aucun de nos livres n’aura de page 13 : elles seront numérotées 12bis. Nous pensons que les autres éditeurs prennent des risques en publiant des livres qui comportent des pages 13 ! (rires)

Propos recueillis le 10 janvier 2008.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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