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Sébastien Célimon : "Il y a un marché à développer dans le manga à la française"

Par Arnaud Claes (L’Agence BD) le 3 avril 2008                      Lien  
A l'occasion de la sortie en librairie du tome 2 de {Hand7}, série de mangas de sport à la française très réussie, nous avons rencontré son scénariste, Sébastien Célimon.

L’écriture est-elle une passion ancienne pour vous ?

Je dessinais beaucoup étant enfant et pendant toute mon adolescence, en écrivant mes propres histoires, et je suis arrivé à un moment, aux alentours de 18-20 ans, où j’avais envie de raconter de grandes histoires très complexes, que j’étais totalement incapable de dessiner, donc je me suis mis à chercher des gens qui avaient le talent pour ça. Comme je faisais mes études du côté d’Aix en Provence, je fréquentais des ateliers BD liés à la librairie La Passerelle, à Marseille. Là, j’ai rencontré Jean-Louis Mourier, Herlé… des gens pour lesquels j’avais un immense respect et qui m’ont prodigué des conseils que j’ai essayé de suivre. Voilà comment est apparue mon envie d’être scénariste, et ensuite, ça a mis beaucoup de temps ! J’ai signé très vite un projet pour Soleil, en 99-2000, qui a été réalisé mais n’est jamais sorti, parce qu’il n’était pas assez abouti et parce qu’à l’époque Mourad Boudjellal avait sorti quelques titres qui avaient sérieusement plombé ses comptes, donc il a arrêté pas mal de séries. Ça a été une expérience à la fois encourageante et traumatisante ! Je me suis aperçu que j’avais encore besoin de beaucoup travailler…

Puis il y a eu une pause de quelques années, ou vous avez continué à travailler sur des projets ?

En 2001, j’ai quitté Marseille après mes études. Ma priorité était de trouver du travail, mais également de fonder une famille, et il n’y avait pas forcément beaucoup de temps pour du scénario de BD. En revanche, j’ai constitué un réseau, notamment en travaillant comme scénariste free lance dans une boîte à Marseille qui faisait du dessin animé sous Flash, TV-up… Et puis, via Internet, j’ai multiplié les contacts grâce à des communautés comme le Café Salé, Catsuka… pour trouver des dessinateurs en adéquation avec mes projets. J’ai passé notamment deux ans et demi sur un projet qui n’a pas abouti parce qu’avec le dessinateur on s’est bouffé le nez dans un vrai conflit d’ego… !

Et ton rapport au manga dans tout ça ?

C’est arrivé par le journalisme, dans lequel je me suis lancé une fois installé à Paris. Par le biais d’un ami, j’ai travaillé dans la presse professionnelle touristique. Je cherchais aussi à placer des articles dans la presse BD, à chaque fois je me faisais recaler, et puis un jour, coup de chance incroyable : j’appelle BoDoï, je tombe sur le rédacteur en chef, Jean-Marc Vidal, et je lui propose une interview de Pierre Seron, le créateur des Petits Hommes, que je connaissais et dont j’adorais l’œuvre. C’est une figure tutélaire pour moi en termes d’écriture : dans Les Petits Hommes, il y a une créativité, un travail sur la mise en abyme parfois extrêmement brillant. Jean-Marc Vidal me dit : "Est-ce que tu as des antennes ? Parce que je cherche quelqu’un sur le sujet depuis ce matin !" Je suis allé le voir illico, on a sympathisé, j’ai fait trois pages dans BoDoï sur Pierre Seron et ça m’a mis le pied à l’étrier. Un jour, j’ai rencontré Stéphane Ferrand, qui s’occupait du site Internet d’AnimeLand, pour qui j’ai fait plusieurs articles sur des sujets transversaux comme l’influence du manga sur Yoko Tsuno, par exemple, ou Marini quand il faisait Olivier Varèse, qui était du Otomo-like absolument superbe. J’ai toujours été un lecteur de manga, mais à un petit niveau, je connaissais les incontournables : Dragon Ball, Akira, 20th Century Boys, Monster… Mais je viens du gros nez et de Spirou, je vénère ses auteurs ! Et puis en travaillant chez AnimeLand, où des murs entiers sont remplis de mangas, évidemment, je me suis mis à en lire beaucoup. On m’a demandé de faire des articles, des critiques de mangas, dont j’ai étudié la structure.

Sébastien Célimon : "Il y a un marché à développer dans le manga à la française"
Hand7, par S. Célimon et Alber CG
(c) Les Humanoïdes Associés

A côté de ça, je me posais beaucoup de questions sur la BD traditionnelle. C’était en pleine montée en puissance des mangas en France, et moi, en tant que modeste scénariste, je me demandais ce que ça donnerait de travailler dans ce format. C’était, il y a 6-7 ans, totalement inédit, à part dans le fanzinat, de s’intéresser au format manga. Or sur certains projets, je me rendais compte que j’avais tellement de matière que, en format franco-belge, j’aurais mis 20 ans à terminer une série, et ça ne me convenait pas ; ma réflexion s’est faite aussi dans le contexte de mon acculturation à la culture manga, à ses mécanismes…

Quels sont-ils, ces mécanismes ?

Ce qui est propre à l’écriture manga, pour moi, c’est la recherche systématique d’efficacité : efficacité narrative, efficacité dans la valeur qui va être mise en avant (souvent celle du dépassement de soi), sur la manière dont les personnages vont interagir entre eux. Avec ce que je trouve admirable, c’est le fait que les mangakas n’aient pas peur de faire des pages et des pages quasiment sans dialogue, uniquement en se focalisant sur les regards et l’attitude des personnages. Du coup, on prend souvent le temps, même dans le nekketsu, de développer la psychologie des personnages. Bien sûr, c’est aussi un moyen de produire plus vite : dessiner un visage plusieurs cases d’affilée va nettement plus vite que de dessiner du décor, des personnages en pied… Donc l’obligation de rendement des mangakas a une influence directe sur l’écriture. En BD franco-belge traditionnelle, on est beaucoup plus sur l’attitude, l’interaction avec l’environnement – ce qui est très bien aussi, mais différent.

Je suis donc venu au manga par les techniques de production : il y a quelques années de ça, j’ai rencontré dans le cadre d’un reportage des anciens de chez Disney, qui avaient un studio disponible et étaient en plein développement de leur activité. En voyant la structure, je me suis dit que ça pouvait être le cadre pour lancer une démarche de studio de bande dessinée, parce qu’il y avait tout ce qu’il fallait.

C’était quand ?

Il y a quatre ans… Mais ça n’a pas marché, parce que leur structure n’avait pas encore les reins assez solides pour engager ce type de démarche.

Et l’aventure des Humanos ?

Un soir, j’ai été invité à une réunion organisée, je crois, par Kana, sur le thème « Peut-il exister un manga à la française ? » Étaient présents la dessinatrice Aurore, Eurasiam, et Guillaume Dorison, qui à l’époque ne travaillait pas encore avec les Humanos, mais cherchait des partenaires pour se lancer dans l’édition de mangas à la française. Le hasard a fait que nous connaissions les mêmes personnes, via des communautés sur le Web, qui se sont toutes retrouvées chez Shogun par la suite. Ce soir-là, je suis allé le voir et je lui ai parlé de mes projets, on a convenu de se revoir s’il lançait sa collection. Je vivais alors en Angleterre et lorsque je suis rentré, Guillaume avait lancé Shogun depuis quelques semaines : on s’est revus, et je suis arrivé avec deux projets, un assez développé et ambitieux mais qu’il n’a pas retenu parce que ça ressemblait à quelque chose qu’il faisait déjà, et un deuxième plus léger, sur le hand ball, un sport que j’adore. Il a tout de suite accroché, m’a dit : je vais te trouver quelqu’un, et on va voir ce qu’on peut faire !

Sébastien Célimon
Photo A. Claes

C’est donc Guillaume Dorison qui a trouvé le dessinateur ?

Oui, il travaille avec des agents italiens et espagnols, qui coordonnent des teams de jeunes dessinateurs, sont intéressés par la BD et n’ont pas forcément les exigences du marché de la BD francophone traditionnelle – 44 planches payées un certain tarif… Parce que c’est une problématique très forte dans le manga à la française aujourd’hui : celle du business model, il faut être très productif pour avoir un semblant de rentabilité. L’aspect positif malgré tout, c’est qu’à mon petit niveau, j’ai l’impression d’être un pionnier, d’acquérir une compétence sur le format manga, à forte dose puisque je dois lâcher 30 planches par mois à mon dessinateur – cette productivité, je la trouve extrêmement formatrice. Et forcément, ça me donne d’autres envies de projets sur ce format-là. Il y a vraiment un marché à développer : sur le format manga, en France aujourd’hui, il y a des choses intéressantes, mais pas encore de choses que je trouve bluffantes – mais ça va venir !

Qu’est-ce qui rapproche Hand7 du nekketsu de sport classique, et qu’est-ce qui l’en différencie ?

Ce qui l’en rapproche, c’est évidemment le schéma traditionnel du – ou plutôt ici des héros qui n’ont pas d’aptitude préalable à un sport, et vont se révéler par hasard y être très bons. Également, l’importance des phases de jeu, qui tout en restant relativement crédibles vont en s’amplifiant, le côté progression de niveau, de coups attendu dans la culture manga–jeu vidéo : je joue le jeu, de même qu’avec les personnages féminins qui viennent troubler les sens de ces garçons.

Ce qui s’en différencie, c’est que pour ma part, même si l’histoire commence avec un personnage, je veux faire en sorte que chaque personnage à un moment ou à un autre soit suffisamment intéressant pour le lecteur pour qu’il se l’approprie. C’est un objectif très stimulant de donner sa chance à chaque personnage, et à ma connaissance c’est rare dans le nekketsu de sport. L’autre différence, c’est que généralement, l’accomplissement physique va participer de l’accomplissement personnel, les deux sont intimement liés. Pour ma part, sans raconter l’histoire future, je sais d’ores et déjà que certains personnages, à un moment de l’histoire, vont s’accomplir d’une toute autre manière que par le hand ball ; pour eux, le hand va être un passage, une phase transitoire.

J’ai envie d’être original, et un peu plus réaliste : si un personnage a une blessure incurable, il la conservera… Je veux que mes personnages passent par des phases de désarroi : ainsi, je prépare pour le prochain tome un match que mes héros perdront – dans un manga japonais, c’est plus que rare ! Or, je trouve qu’on apprend davantage en perdant qu’en gagnant. Et scénaristiquement parlant, une équipe qui doute, c’est beaucoup plus intéressant.

Une autre différence, bien évidemment, c’est que je fais se dérouler l’histoire dans les Cévennes, une région bien identifiée, que je connais particulièrement et qui me tient à cœur, parce que je trouvais très important d’avoir un ancrage local pour cette bande dessinée.Comme j’ai joué au hand au Vigan, et que j’ai des amis de l’époque qui sont aujourd’hui des joueurs professionnels, je voulais à ma manière leur rendre hommage : donc j’ai imaginé Vian.

Hand7, par S. Célimon et Alber CG

Comment se passe le travail avec votre dessinateur ? Je crois que vous ne l’avez jamais rencontré !

C’est même plus drôle que ça : je ne lui ai jamais parlé en direct, parce qu’il ne parle qu’espagnol, et moi pas ! Donc on passe par le truchement de son agent. D’abord, je le bénis parce qu’il a un rendement incroyable ; son agent me dit qu’il est capable de faire 50 planches par mois, il en fait 30 pour Hand7. Je trouve également impressionnante la façon dont il s’est approprié mon univers, mes personnages, en développant certaines choses, notamment le SD, dans son dessin. Ce que je n’avais pas du tout prévu, et qui me plaît beaucoup : je lui donne donc la liberté d’en faire encore plus.

Ce que je trouve plaisant, c’est qu’en lisant Hand7, je suis surpris par la manière dont il s’est approprié certaines choses et va me faire rire avec un gag que j’ai pourtant écrit ! Et puis, vraiment, entre le 1er chapitre du 1er album et ce qu’il fait aujourd’hui, en un an, il a explosé son niveau… ! C’est très, très impressionnant. Il y a encore des petites choses qui me chiffonnent, mais en dessin, et également en mise en scène, là où il suivait scrupuleusement mon découpage au départ, il prend maintenant plus d’initiatives dans la déstructuration de la planche pour la rendre plus dynamique. Là-dessus aussi, il m’impressionne beaucoup, parce que là où je peux être parfois un peu inquiet, sur des séquences de jeu par exemple, il arrive à faire passer la dynamique du mouvement, du jeu, à mettre en avant le coup que j’avais envie de magnifier, et avec une sacrée efficacité.

J’ai découvert certains de ses travaux sur son blog, et j’ai envie de voir ce qu’il peut faire sur d’autres thématiques, du thriller notamment, des choses plus seinen. Ça me ferait plaisir que l’aventure ne s’arrête pas sur Hand7 ! Après des expériences difficiles avec des dessinateurs, j’attends avec impatience le moment où je lui serrerai la pogne. Même si on se regardera sans doute comme deux andouilles sans pouvoir se parler, ça passera dans le regard !

(par Arnaud Claes (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Propos recueillis à Paris le 26 février 2008

 
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