Cette lettre à « Objectif Tintin rappelle à ce site exploité bénévolement et qui dispense depuis des années une information de qualité à propos de l’univers d’Hergé, que s’il existe, c’est grâce au fait du prince, au bon vouloir des ayant-droits : « […] nous tenons à vous rappeler que, eu égard à votre statut et à nos bonnes relations, vous jouissez de certains privilèges dans l’exploitation de votre site. Notamment, nous tolérons l’utilisation de la marque TINTIN® dans votre nom de domaine ainsi que des reproductions non autorisées et sans paiement des droits de reproduction y afférents. »
Mais cette licence a un revers que notre juriste vient rappeler à propos :
1. Il faut utiliser une charte graphique spécifique : « La SA Moulinsart interdit formellement et de manière absolue toute modification, retouche, adaptation, interprétation artistique, collage et autre reproduction non autorisée, sous quelque forme que ce soit (numérisation, photocopie, etc) et sur tous supports généralement quelconques, des noms, personnages, objets et autres symboles extraits de cette œuvre. » […]
Il est notamment strictement interdit de « reproduire des visuels extraits de l’œuvre d’Hergé pour illustrer des thèmes liés à l’argent, à la politique, au monde médical ou paramédical, au sexe, aux armes, à l’alcool, à la drogue et au tabac. »
2. Il faut l’autorisation préalable de la SA Moulinsart pour reproduire un quelconque extrait de l’œuvre d’Hergé sans y apporter de modification ou d’adaptation.
Outre que la juriste de Moulinsart a l’air de s’asseoir sur le droit de citation graphique alors même que les dernières modifications de la loi sur les droits d’auteur de 2007 ouvrent la voie à une interprétation positive de ce droit et qu’elle sait pertinemment qu’une affaire en appel Moulinsart contre Bob Garcia est encore pendante sur cette question (Cf notre précédent article Bob Garcia contre Moulinsart : La citation graphique face au tribunal), cette demande d’autorisation préalable évoque sans aucun doute la censure préalable du Second Empire que la Loi de 1881 sur la liberté de la presse s’était précisément employée à détruire.
Quelles sont les raisons qui réveillent tout à coup à l’encontre d’Objectif Tintin ce prurit autoritaire qui affecte régulièrement les ayant-droits d’Hergé ? La juriste l’explique dans sa lettre :
Le site se fait régulièrement l’écho de manifestations « non autorisées par Moulinsart »
Le site propose dans ses articles des hyperliens vers des sites qui mentionnent des produits non autorisés par Moulinsart.
Ponctuellement, il semble que quand une vignette d’Hergé était reproduite, le copyright était parfois oublié.
Or, on ne voit pas ce qui empêche un site indépendant dont aucun des membres n’est un salarié de Moulinsart, de mentionner une quelconque information concernant l’œuvre d’Hergé sans avoir été préalablement vérifier si celle-ci avait ou non l’agrément de Moulinsart. Cette demande de la juriste de Moulinsart est un acte de censure pur et simple.
Incompréhensible et insupportable
Évidemment, en bonne juriste, elle « nourrit le dossier », comme on dit. L’utilisation de la marque « Tintin » et des visuels y afférents est un des moyens de pression appréciable et notre juriste ne manque pas de signaler ces « infractions » qui sont pratiquées pourtant par ce site depuis des années. L’oubli de mention de copyright en est un autre. Bref, on commence à aligner les arguments juridiques pour mieux montrer les dents, tout cela pour éradiquer d’un site toute information qui dérangerait les ayant-droits. C’est incompréhensible et insupportable.
Les années passent et on reste toujours aussi pantois devant la dérive technocratique empreinte de juridisme et d’intimidation qui affecte la communication de Moulinsart quand elle s’adresse à des gens qui, comme Objectif Tintin n’affichent finalement que le la sympathie et de la bonne volonté vis-à-vis de l’œuvre d’Hergé.
Une lettre aimable, voire un simple coup de fil n’aurait-il suffi à lever les malentendus éventuels (je pense aux mentions de copyright) ?
Il y a aussi cette volonté d’instrumentaliser, de manipuler la presse. Si Moulinsart veut créer son agence de presse où ses séides pourront se faire l’interprète de la voix de leur maître, dans la plus pure tradition soviétique, grand bien leur fasse. Mais qu’ils financent leur agence Tass avec leur propre argent.
Nous ne sommes pas sûrs que cette façon de gérer l’œuvre d’Hergé donne envie ni de se ruer sur le film que Spielberg va en tirer, ni de plébisciter le Musée qui s’ouvrira l’année prochaine à Louvain-La-Neuve. Face à de telles excès récurrents d’autorité, non seulement les ayant-droits d’Hergé donnent des arguments à ceux qui recherchent leur diabolisation, mais ils provoqueront une attitude, sinon de rejet, pour le moins d’évitement, chez tous ceux qui, désormais fatigués, faisaient acte de foi en faveur du maître de l’École de Bruxelles.
Il nous est arrivé de défendre plus d’une fois dans nos pages Fanny et Nick Rodwell quand leur diabolisation nous semblait outrageante. Plus que l’évidente maladresse commerciale de ce type de comportement, il y a là une faute morale vis-à-vis du père de Tintin. Nous le redisons ici avec bienveillance, sympathie et affection : s’ils se laissent ainsi gouverner par le juridisme et les rancœurs personnelles contre tel ou tel, s’ils continuent de tenter de museler la presse et de brimer ainsi les passionnés, l’œuvre d’Hergé finira par s’enfoncer dans le silence. Il nous étonnerait que ce soit ce que George Remi attendait des personnes auxquelles il a confié le soin de gérer son œuvre.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En mettant en scène l’Agent 15 dans Quick & Flupke, Hergé se moquait de l’autorité. Aujourd’hui, chez Moulinsart, on l’idolâtre. Photo D. Pasamonik (L’Agence BD).
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