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Moulinsart à « Objectif Tintin » : Je ne veux voir qu’une mèche !

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 23 août 2008                      Lien  
Brusque remontée de fièvre répressive chez Moulinsart. L’établissement bruxellois qui gère les droits d’Hergé a adressé à notre confrère Objectif Tintin une lettre comminatoire du « château », et plus particulièrement de son service juridique.

Cette lettre à « Objectif Tintin rappelle à ce site exploité bénévolement et qui dispense depuis des années une information de qualité à propos de l’univers d’Hergé, que s’il existe, c’est grâce au fait du prince, au bon vouloir des ayant-droits : « […] nous tenons à vous rappeler que, eu égard à votre statut et à nos bonnes relations, vous jouissez de certains privilèges dans l’exploitation de votre site. Notamment, nous tolérons l’utilisation de la marque TINTIN® dans votre nom de domaine ainsi que des reproductions non autorisées et sans paiement des droits de reproduction y afférents.  »

Mais cette licence a un revers que notre juriste vient rappeler à propos :

1. Il faut utiliser une charte graphique spécifique : « La SA Moulinsart interdit formellement et de manière absolue toute modification, retouche, adaptation, interprétation artistique, collage et autre reproduction non autorisée, sous quelque forme que ce soit (numérisation, photocopie, etc) et sur tous supports généralement quelconques, des noms, personnages, objets et autres symboles extraits de cette œuvre. » […]
Il est notamment strictement interdit de « reproduire des visuels extraits de l’œuvre d’Hergé pour illustrer des thèmes liés à l’argent, à la politique, au monde médical ou paramédical, au sexe, aux armes, à l’alcool, à la drogue et au tabac. »

2. Il faut l’autorisation préalable de la SA Moulinsart pour reproduire un quelconque extrait de l’œuvre d’Hergé sans y apporter de modification ou d’adaptation.

Outre que la juriste de Moulinsart a l’air de s’asseoir sur le droit de citation graphique alors même que les dernières modifications de la loi sur les droits d’auteur de 2007 ouvrent la voie à une interprétation positive de ce droit et qu’elle sait pertinemment qu’une affaire en appel Moulinsart contre Bob Garcia est encore pendante sur cette question (Cf notre précédent article Bob Garcia contre Moulinsart : La citation graphique face au tribunal), cette demande d’autorisation préalable évoque sans aucun doute la censure préalable du Second Empire que la Loi de 1881 sur la liberté de la presse s’était précisément employée à détruire.

Quelles sont les raisons qui réveillent tout à coup à l’encontre d’Objectif Tintin ce prurit autoritaire qui affecte régulièrement les ayant-droits d’Hergé ? La juriste l’explique dans sa lettre :

Moulinsart à « Objectif Tintin » : Je ne veux voir qu'une mèche ! Le site se fait régulièrement l’écho de manifestations « non autorisées par Moulinsart »
- Le site propose dans ses articles des hyperliens vers des sites qui mentionnent des produits non autorisés par Moulinsart.

Ponctuellement, il semble que quand une vignette d’Hergé était reproduite, le copyright était parfois oublié.

Or, on ne voit pas ce qui empêche un site indépendant dont aucun des membres n’est un salarié de Moulinsart, de mentionner une quelconque information concernant l’œuvre d’Hergé sans avoir été préalablement vérifier si celle-ci avait ou non l’agrément de Moulinsart. Cette demande de la juriste de Moulinsart est un acte de censure pur et simple.

Incompréhensible et insupportable

Évidemment, en bonne juriste, elle « nourrit le dossier », comme on dit. L’utilisation de la marque « Tintin » et des visuels y afférents est un des moyens de pression appréciable et notre juriste ne manque pas de signaler ces « infractions » qui sont pratiquées pourtant par ce site depuis des années. L’oubli de mention de copyright en est un autre. Bref, on commence à aligner les arguments juridiques pour mieux montrer les dents, tout cela pour éradiquer d’un site toute information qui dérangerait les ayant-droits. C’est incompréhensible et insupportable.

Les années passent et on reste toujours aussi pantois devant la dérive technocratique empreinte de juridisme et d’intimidation qui affecte la communication de Moulinsart quand elle s’adresse à des gens qui, comme Objectif Tintin n’affichent finalement que le la sympathie et de la bonne volonté vis-à-vis de l’œuvre d’Hergé.

Une lettre aimable, voire un simple coup de fil n’aurait-il suffi à lever les malentendus éventuels (je pense aux mentions de copyright) ?

Il y a aussi cette volonté d’instrumentaliser, de manipuler la presse. Si Moulinsart veut créer son agence de presse où ses séides pourront se faire l’interprète de la voix de leur maître, dans la plus pure tradition soviétique, grand bien leur fasse. Mais qu’ils financent leur agence Tass avec leur propre argent.

Nous ne sommes pas sûrs que cette façon de gérer l’œuvre d’Hergé donne envie ni de se ruer sur le film que Spielberg va en tirer, ni de plébisciter le Musée qui s’ouvrira l’année prochaine à Louvain-La-Neuve. Face à de telles excès récurrents d’autorité, non seulement les ayant-droits d’Hergé donnent des arguments à ceux qui recherchent leur diabolisation, mais ils provoqueront une attitude, sinon de rejet, pour le moins d’évitement, chez tous ceux qui, désormais fatigués, faisaient acte de foi en faveur du maître de l’École de Bruxelles.

Il nous est arrivé de défendre plus d’une fois dans nos pages Fanny et Nick Rodwell quand leur diabolisation nous semblait outrageante. Plus que l’évidente maladresse commerciale de ce type de comportement, il y a là une faute morale vis-à-vis du père de Tintin. Nous le redisons ici avec bienveillance, sympathie et affection : s’ils se laissent ainsi gouverner par le juridisme et les rancœurs personnelles contre tel ou tel, s’ils continuent de tenter de museler la presse et de brimer ainsi les passionnés, l’œuvre d’Hergé finira par s’enfoncer dans le silence. Il nous étonnerait que ce soit ce que George Remi attendait des personnes auxquelles il a confié le soin de gérer son œuvre.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En mettant en scène l’Agent 15 dans Quick & Flupke, Hergé se moquait de l’autorité. Aujourd’hui, chez Moulinsart, on l’idolâtre. Photo D. Pasamonik (L’Agence BD).

 
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10 Messages :
  • 100 % d’accord...Ce juridisme tâtillon à l’égard d’un site parfaitement amical désarçonne l’"administrateur" non éditorial dudit site que je suis ! Il y a des moments où je me demande comment ces grands amis proclamés du dalaï lama peuvent si régulièrement s’inspirer des techniques de répression pékinoises...

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    • Répondu par Jocelyn Jalette, Québec le 23 août 2008 à  17:37 :

      Quel auteur ne rêverait pas de susciter autant d’hommages et de sites qui fleurissent pour rappeler son oeuvre. La rectitude exagérées des ayants-droit est très néfaste pour un personnage. Des ayants-droits, qui n’ont pas été choisis par Hergé, j’aimerais préciser... Si Fanny fut légataire universelle c’est par son mariage, mais cela lui donnait-il les qualités pour gérer une telle oeuvre ? Quant à Nick Rodwell, lui n’est certainement pas un choix voulu par Hergé !
      Sans nouveauté depuis 30 ans, Tintin a besoin des autres formes d’art et de communication pour rester vivant aux yeux des lecteurs et renouveler son lectorat. La fondation Hergé ne doit pas viser seulement les nostalgiques qui peuvent payer une cravate 40 $, mais aussi et surtout les enfants. Sinon le personnage va s’oublier dans les limbes de l’histoire.

      Je comprendrais la Fondation Hergé d’intervenir dans le cas d’une déformation de l’oeuvre à des fins malheureuses (ex. : une promotion du racisme ou de la violence, ou je ne sais quoi...) Mais dans les cas d’hommages c’est un suicide pour Tintin que d’agir ainsi pour tout contrôler. S’il n’y a pas de vénalité dans l’initiative je ne vois pas le problème. Déjà que la construction d’un site et sa mise à jour est un investissement de temps considérable, si en plus on se fait enquiquiner pour des broutilles ! Un excellent site québécois est d’ailleurs disparu à cause de tels excès, il y a quelques années.

      En conclusion, Hergé, pour avoir laissé un vide concernant la gestion de son oeuvre, est bien l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. La compétence et non le lien amoureux ou la filiation doit être le premier critère pour charger quelqu’un d’une telle responsabilité. En résumé, une république vaut mieux qu’une monarchie !

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    • Répondu par Georges Remi jr le 24 août 2008 à  13:45 :

      Pour dire les choses en termes policés, il est intéressant de noter que cette nouvelle et déplorable "Affaire Tintin", provoque aussi des réactions urtiquantes significatives collatérales, même chez les "ceusses" qui s’en croyaient préservés ! À force de vouloir diplomatiquement s’attirer les hypothétiques bonnes grâces du diable, on en devient la victime !
      Ceci étant dit, et pour avoir fréquenté un peu plus intimement Hergé que certains thuriféraires autorisés, je puis affirmer, sans l’ombre d’un doute, qu’il n’aurait certes pas apprécié le destin de son oeuvre tel qu’elle est gérée aujourd’hui. Il aurait sans aucune hésitation "poussé un solide coup de gueule" et renvoyé à leurs copies une bonne palanquée des gestionnaires "business-minded" tintinesques ! Ainsi que (aussi, et j’insiste !) quelques idolâtres à l’ego ambigu, si prompts à s’approprier le génie du Maître : "Je l’ai rencontré trois fois, donc je suis."

      Mais, mille sabords, ce nouvel "accès de prurit" est révélateur d’une pathologie déjà ancienne que je n’ai eu de cesse de dénoncer, parfois de manière excessive, j’en conviens. Et ceux qui s’indignent aujourd’hui (à juste titre), on cru pouvoir, par leur diplomatiques voltes-face, modifier le cours des événements que nous connaissons aujourd’hui. Je sais de source sûre que peu avant sa mort, Hergé aurait confié à un proche "J’ai été trahi !". Terrible confidence. C’est clair, non ? L’argent et le pouvoir sont terriblement incendiaires, c’est vieux comme le Monde. Et, depuis 1981, il y a le feu au château. "Period" comme disent les Anglais… Il eut donc fallu dès le départ des pompiers un peu plus volontaires et surtout plus cohérents pour tenter d’éteindre le brasier.

      Aujourd’hui, on ne peut que déplorer, tristement. Point à la ligne…

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      • Répondu par Gabriel Coatantiec le 15 septembre 2008 à  11:56 :

        Je me sens visé ! j’ai parlé dans OT , à l’occasion du centième anniversaire , de politique , d’argent , de médecine , de l’alcool du capitaine , mais - je le croyais - toujours de façon respectueuse et admirative vis à vis de l’oeuvre de Hergé !S’agissait- il de sujets tabou ? Rassurez moi ! OT censuré : çà alors !
        Gabriel Coatantiec

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  • C’est bizarre, tout de même : en une époque où ce genre de publicité gratuite (articles de journaux, événementiels, sites webs dédiés, fan-clubs, blogs, marketing viral, buzz, etc...) montre ses qualités par des coups d’accélérateurs médiatiques extraordinaires (voir l’utilisation de Tintin avec BHL), et où la pire des choses pour un artiste, c’est d’attiser des inimitiés, comment peut-on avoir une politique éditoriale aussi rétrograde ? C’est anti-productif au possible !

    Bah... L’exemple donné aux autres ayant-droits permettra peut-être à certains de mieux gérer leur patrimoine. C’est peut-être une bonne chose, finalement !

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  • Il faut arrêter de parler de Tintin et ce, dans tous les médias. On arrétera ainsi de faire de la pub. Quand le titre sera tombé dans l’oubli, Moulinsart se cassera la gueule et on pourra, de nouveau, parler de Tintin et d’Hergé

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  • Le bon tintinophile (expression copyrightée Moulinsart ou moule à gaufre ?) doit :
    24 août 2008 00:14, par Pirlouit (le gentil troll qui n’aime pas lire Tintin en trolley)

    1) acheter tous les livres édités avec l’approbation de Moulinsart. Une collection complète doit comporter tous les facsimilés.

    2)signaler à Moulinsart les livres non autorisés qui tenteraient d’apporter un éclairage non-officiel et inédit à la relecture du mythe, et évidemment s’abstenir de les acheter, sauf s’ils doivent servir de pièce à conviction.

    3)se contenter de parler de Tintin et compagnie,cela peut servir de propagation de la bonne parole, il est en revanche INTERDIT d’écrire dessus (sur papier ou sur le web) sans une autorisation écrite. Toute reprise d’une illustration donnera lieu à paiement de royalties.

    4)amis dessinateurs, inutile de vous fatiguer inutilement, les parodies pastiches et hommages graphiques sont également interdits sans une autorisation écrite, munie d’un cachet de l’ambassade bordure à Bruxelles.

    5)amis cinéastes, inutile de vous fatiguer inutilement, nous avons déjà vendu la licence à Spielberg. Rastapopoulos nous a aidé dans la rédaction des contrats.

    6)Nous voulions faire une liste des douze commandements, mais l’inspiration nous manque, et nous n’avons pas le courage de nous fatiguer sur ce thème ingrat.

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  • Il faudra bientôt demander la permission à Moulinsart pour juste citer le nom Tintin® et s’acquiter des droits d’auteur. Tout ça est vraiment pathétique. Il s’agit de BD, créée par un artisan, un artiste, pas un homme d’affaires. Comme dit un intervenant, le plus simple serait de boycotter Tintin® dans tous les medias, une fois pour toutes.

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    • Répondu par Jerome le 25 août 2008 à  19:50 :

      C’est fait en ce qui me concerne. Je n’achète strictement plus rien en neuf. J’ai trouvé d’occasion des nouveautés qui m’intéressaient et si je ne les trouve pas, tant pis pour moi ! Et surtout tant pis pour eux. Je conseille à tous la lecture du premier volume de Simon Nian, par Rodier et Corteggiani (Ed. Glénat), pour sourire de ces pathétiques histoires de successions.

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  • Adieu a objectif Tintin
    28 août 2008 12:03, par rqn2

    Le site choisi de disparaitre le 15 septembre.
    Choix difficile, mais surement le meilleur à faire face à la bètise de moulinsart.sa.
    Bravos a Objectif Tintin

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