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Hermann : "Dans Caatinga, des paysans forment un mélange de ’Robin des Bois’ et de criminels impitoyables…"

Par Nicolas Anspach le 30 septembre 2008                      Lien  
Les éditions du Lombard publient ces jours-ci la réédition de {Caatinga}, un récit féroce, où {{Hermann}} raconte la parcours de Diamantino, un jeune paysan du Nord-Est du Brésil, qui est récupéré par une bande de hors-la-loi dans les années ’30.

Nous vous proposons cette interview réalisée en 1997 par Nicolas Anspach et Cédric Lang à la sortie de ce one-shot.

Hermann : "Dans Caatinga, des paysans forment un mélange de 'Robin des Bois' et de criminels impitoyables…"Quels sont les motivations qui ont incité la création de Caatinga ?

Cela faisait plusieurs années que j’avais envie de traiter ce sujet. Au début des années ’50, j’ai visionné un film, dans une salle obscure bruxelloise, qui s’appelait : « O Cangaceiro ». Ce film m’avait fortement marqué car j’avais une vision différente du Brésil : celle d’un pays avec une forêt humide et chaude, des Indiens vivant en Amazonie, de la flore avec de larges feuillages… Et pas du tout celle d’un pays possédant une région où la sècheresse s’allie à la brutalité de ses habitants. Mon envie de parler de cette région a été latente jusqu’en 1991. J’ai été invité, avec mon épouse, au festival de la bande dessinée de Rio de Janeiro. En parcourant les trottoirs de cette ville, ma femme a été séduite par des cartes postales représentant l’une des bandes les plus redoutables de Cangaceiros, la bande de Lampiao. J’ai eu un coup de cœur pour ces photographies car elles étaient vivantes, intrigantes et assez pittoresques. Je me suis renseigné auprès d’un ami habitant Rio de Janeiro. Il m’a conseillé de n’aborder ce sujet que si je considérais une connaissance approfondie des réalités historiques et sociologiques du Brésil des années ’30. Cet ami m’a alors fourni toute la documentation – en portugais- pour maîtriser les éléments nécessaires à l’élaboration de mon histoire. À travers ces livres – que je lisais avec un dictionnaire pour la traduction – j’ai découvert les causes des conflits entre les Cangaceiros et les propriétaires terriens. Les principales victimes de ceux-ci étaient, comme dans tous les conflits similaires, les paysans. Ceux-ci étaient parfois d’anciens ou de futurs Cangaceiros… Ce terme désigne des paysans révoltés formant un mélange de « Robin des Bois » et de criminel impitoyable. Ce bouillon de violence, de rancœur, de pauvreté et cette sècheresse insupportable ont été mes motivations pour la création de Caatinga.

Mis à part votre ami brésilien, avez-vous eu d’autres conseils lors de l’élaboration de cet album ?

J’ai soumis le synopsis de ce récit à un historien brésilien qui m’a donné son aval. Bien que je ne suis pas rentré dans le détail du phénomène des Cangaceiros, car j’aurais dû le traiter en cinq ou six albums.

Extrait de "Caatinga"

Justement, vous n’avez pas envie de réaliser un deuxième récit sur cette période pour amortir cette longue recherche documentaire ?

Il est possible que je réalise une suite à Caatinga mais je ne la dessinerai pas avant deux ou trois ans. Il me faut laisser venir la nostalgie et mûrir les éléments du récit. Cette probable prolongation à ce one-shot s’orientera peut-être vers la vie de Mané, le frère de Diamantino. Celui-ci a rejoint, dans Caatinga, des pèlerins chrétiens qui se flagellent…

Vous ne cherchez pas, à travers vos one-shots et certains Jérémiah (« La Secte », « Strike », …) à dénoncer ce genre de fanatisme ou de scission religieuse ?

Je peux carrément vous dire que je déteste les religions et le puritanisme. Mais attention, je ne suis pas exempt de spiritualité. Il y a une grande nuance entre les mots « religion » et « spiritualité ». D’ailleurs je dessine actuellement un Jérémiah, où je dénonce le protestantisme américain. À travers certaines de mes histoires, je me révolte contre le terrorisme religieux qui nuit à la liberté et à la dignité de l’homme.

On remarque que vous vous mouillez de plus en plus politiquement. Êtes-vous un auteur engagé ?

Je ne suis pas un auteur engagé mais plutôt un être humain révolté. Je n’ai aucun engagement politique et n’appartiens ni à un parti de gauche, ni à un autre de droite. Ces deux tendances m’ont toutes les deux dégouté. Ce ne sont pas les partis politiques qui sont critiquables mais l’homme qui est irrémédiablement incapable de valoir quelque chose.

Pourriez-vous nous donner un aperçu de l’histoire de Caatinga ?

Caatinga est l’histoire d’un jeune garçon, Diamantino, dont la famille est assassinée par la police dans le cadre des différentes luttes entre les paysans et les propriétaires terriens. Il se retrouve, malgré lui, chez les Cangacerios, Diamantino se complaît dans cet univers car il est protégé par la police, éloigné de la misère et il peut se venger sa famille en tuant des notables ou des policiers. On peut critiquer le fait que Diamantino ait rejoint ces « terroristes » mais aussi le défendre. Cette bande de Cangaceiros lui permet de tenir le coup et de se faire un nom. D’ailleurs, on devine que Diamantino va certainement devenir le chef de la bande … Caatinga se déroule dans les années ’30, une dizaine d’années avant la fin des Cangaceiros. Ils ne peuvent plus survivre compte tenu de la modernisation et des moyens de communication qui permet à la police et aux militaires de les retrouver plus facilement. Il n’y a finalement pas de triomphalisme dans cette histoire car tous les Cangaceiros finissent par se faire massacrer.

Mis à part votre voyage en 1991 à Rio de Janeiro, avez-vous eu la possibilité de vous rendre au Brésil ?

Non. J’aurais bien aimé me rendre dans ce pays avant de dessiner Caatinga. Mais j’ai récolté plusieurs avis contradictoires. Certaines personnes m’ont dit que l’on peut voyager tranquillement, sans danger. Et d’autres que l’on peut, à tout moment se faire arrêter, dépouiller et massacrer ! J’ai du mal à me décider mais je souhaiterais m’y rendre pour me nourrir de cette ambiance et de ce paysage pour éventuellement dessiner un récit supplémentaire.

Au travers de Caatinga, vous vous révélez être un formidable dessinateur animalier.

Non. Un dessinateur doit pouvoir dessiner n’importe quoi ! À partir du moment où j’ai une documentation concernant quelque chose que je n’ai jamais dessiné, je suis capable de le reproduire. Si un dessinateur dit qu’il ne sait pas dessiner un chevreuil ou un serpent, c’est qu’il ne s’est pas donné la peine ou qu’il ne sait pas dessiner… Notre métier nous impose de savoir tout reproduire graphiquement.

Extrait de "Caatinga"

"Caatinga" est aussi votre troisième one-shot. Vous avez l’air d’affectionner ce système. Pourquoi ?

Les one-shots m’apportent du changement. Je peux me consacrer, dans chaque album, à des situations différentes dans divers décors. Grâce à cela, je m’évade de Jérémiah qui est finalement, à chaque histoire, une répétition, car l’univers ne varie pas …

Les one-shots ne vous procurent-ils pas une certaine liberté par rapport à votre éditeur principal ?

Non. Je suis totalement libre par rapport aux éditeurs tout en les respectant. Je ne suis pas prisonnier d’un éditeur en particulier. Si je décide de quitter la maison d’édition où est publié Jérémiah, je le fais sans contraintes…

L’album Sarajevo Tango a-t-il marqué un tournant dans votre carrière ?

Oui. J’ai accordé beaucoup d’importance à Sarajevo Tango et je le considère comme l’album le plus réussi que j’ai dessiné. Sarajevo Tango est un récit que j’ai traité avec une vision plus humoristique et où je n’ai pas hésité à attaquer des personnes qui sont encore au pouvoir. C’est assez rare qu’un auteur de BD ait le courage de dénigrer des politiciens, des militaires en fonction ! L’auteur n’a aucun risque s’il écrit contre le nazisme. On va même l’applaudir ! Je ne pourrais plus jamais abandonner la vision que j’ai de l’homme et que je dois immanquablement l’inscrire dans mes récits. Je dois exprimer que je ne suis pas dupe devant tous les manquements et les hypocrisies de l’être humain. Mais attention, cette révolte n’est jamais incluse à mes histoires au détriment du récit. Cette vision de l’homme dans mes histoires est un petit plus…

Est-ce donc pour cela que Sarajevo Tango est votre premier album en couleur directe ?

Effectivement. Je voulais que Sarajevo Tango ne soit pas un album comme les autres ! J’ai donc décidé de mettre directement mes planches en couleur, et j’y ai pris goût. Sarajevo Tango a été un nouveau redémarrage dans ma vie, et je ne vois pas pourquoi je tournerai sle dos à cette technique graphique après l’avoir utilisée.
À la sortie de Sarajevo Tango, certains lecteurs ont été quelque peu désarçonnés. Mais depuis le début de l’année passée, je n’ai plus eu d’avis négatifs. À l’époque, certaines personnes m’ont dit : « On n’est pas contre ce revirement graphique, mais on aimait bien votre encrage ».

Les éditions Dupuis ont envoyé un album de Sarajevo Tango – traduit en néerlandais ou en anglais – à tous les grands ce monde. Avez-vous une idée de l’accueil de cette histoire par ces personnes ?

Il y a eu des diplomates qui ont demandé aux éditions Dupuis des exemplaires supplémentaires. Mais ils ne m’ont pas dit lesquels. Le seul individu qui a renvoyé l’album en clamant que c’était de la foutaise est un des généraux les plus détestés de Sarajevo et un des plus tordus. Il s’agit du général Michael Rose.
Lorsqu’un obus tombait sur Sarajevo, il déclarait : « Ce sont les Bosniaques qui se sont tirés eux-mêmes un boulet dans la gueule ». Michael Rose est quelqu’un à qui je voue un mépris souverain.

La situation a évolué à Sarajevo, n’avez-vous pas envie d’aborder de nouveau cet univers ?

Non. La Bosnie est suffisamment tranquille. À l’époque où j’ai dessiné Sarajevo Tango, ce problème me touchait personnellement puisque j’avais un ami qui y habitait. Ce n’est plus tout à fait le cas. Si j’avais envie d’attaquer de nouveau, ce serait dans d’autres situations comme, par exemple, l’assassinat des dix paracommandos belges au Rwanda. La Belgique est un excellent sujet si l’on veut dénoncer la pourriture politique.

Le mot de la fin ?

J’ai éprouvé beaucoup de plaisir et de passion lors de la réalisation de Caatinga.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Interview parue initialement dans le n°16 de la revue Auracan (Février-Mars 1997).

Interview (c) Nicolas Anspach & Cédric Lang - Interdiction de la reproduire sans leur accord préalable.

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Images (c) Hermann, Le Lombard
Photo (c) DR.

 
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