Comment êtes-vous devenu dessinateur de BD ?
J’ai commencé à faire des BD à l’âge de cinq ans et je n’ai jamais arrêté. Je n’ai pas choisi ce métier, je suis né dedans, j’avais juste à le faire !
Pourtant, le genre de BD que vous faites implique un choix. Vous auriez pu dessiner des super-héros...
Je suppose, oui. J’ai commencé professionnellement dans le dessin de presse, mais j’ai été rapidement viré car les dessins que je produisais étaient trop controversés, c’est pourquoi j’ai commencé à dessiner des livres. Mes romans graphiques sont l’aboutissement de ce processus.
Vous croyez que la BD est un bon moyen pour aborder le sujet de la politique ?
La bande dessinée politique d’humour aux États-Unis est dans une sorte d’impasse en ce moment. C’est devenu commercial, géré par des businessmen. Il est devenu quasi impossible de traiter des sujets à controverse de nos jours. Je ne pense pas y revenir d’autant qu’il y a de plus en plus de lecteurs de romans graphiques aux États-Unis.
Vous venez de publier Mon Ami Dahmer chez Çà & Là, c’est l’histoire d’un ami d’enfance qui se révèle devenir l’un des plus terrifiants serial killers des États-Unis. Lorsque vous vous êtes connus, vos partagiez vos impressions sur les comics ?
Je ne parlais pas BD avec lui, mais déjà à cette époque, je le dessinais ! À ma connaissance, il ne lisait pas de BD.
Je suppose que vous avez dû découvrir les "exploits" de votre ancien camarade de classe dans les journaux. Quand avez-vous décidé d’en faire une BD ?
Probablement deux semaines après qu’il ait été arrêté. Je découvrais l’ampleur et l’horreur de ses crimes. Mais j’ai mis du temps à passer de l’intention aux actes.
Cela a été simple de trouver un éditeur ?
Non, cela a été terriblement difficile. J’ai sans doute proposé le projet à tous les éditeurs de la place et ce n’est que récemment qu’il a été accepté par Abrams, mon éditeur américain [1]. Et comme le livre est un succès, cela constitue pour moi une belle revanche. Tout le monde lui avait tourné le dos, sous le prétexte que c’était un livre "violent".
Quelle a été votre motivation profonde pour le réaliser ?
C’est une histoire incroyable, et je suis un raconteur d’histoires avant tout. Je ne pouvais passer à côté. Cela a pris plus de temps que je ne le pensais, mais je l’ai fait.
À la fin de l’ouvrage, on trouve un imposant appareil de références qui montre que vous avez étudié le dossier, recoupé les informations de façon minutieuse... Votre propre expérience ne vous suffisait pas ?
Non, je ne le pense pas. Je voulais être exhaustif, rendre l’affaire dans toute sa vérité. Cette histoire n’a jamais été vraiment racontée auparavant. Il y a des tonnes d’ouvrages sur ces crimes mais aucun sur ce qui a amené Dahmer à faire tout cela. Quand j’ai commencé à me pencher sur la question, je me suis aperçu que beaucoup d’enquêtes étaient entachées d’erreurs. C’est pourquoi j’ai voulu faire quelque chose d’irréprochable.
Vous qui venez du milieu de la BD alternative, vous devez bien convenir que ce sujet a quelque chose de fascinant, de grand public-même...
Oui, les serial killers fascinent malheureusement... J’ai été séduit par l’idée de faire le livre, pas par les serials killers eux-mêmes. Je n’en ferai sans doute jamais un pareil. Mais cela m’a bien intéressé de le faire.
La façon dont vous décrivez Dahmer est plutôt empathique...
Il avait un problème de communication avec les autres. Je voulais le rendre au moins sympathique sur ce point. Le garçon que j’ai connu n’avait pas encore commis ses crimes. Je ne pouvais pas décrire le monstre, seulement le garçon triste qui était en lui. Ce n’étais pas si facile à faire pour moi.
Vous ne parlez absolument pas de la réalité religieuse de votre pays. Il n’y a aucun élément religieux dans cette histoire ?
De ce que j’en sais, son père était en effet profondément religieux et cela posait effectivement un problème, en particulier en ce qui concerne son homosexualité. De mon point de vue -et ce livre est conçu dans cette perspective- la religion n’intervient pas dans cette histoire. L’Amérique peut être très religieuse, en particulier dans le sud, mais dans ma région, l’Ohio, ce n’était pas très prégnant. Il y a beaucoup de catholiques. Mais là où j’ai grandi, ce n’était pas le cas.
Ayant connu Dahmer, sa face sombre vous a surpris ?
Bien sûr, je savais qu’il était un peu bizarre.... Ce qu’il a fait m’a évidemment surpris, qui ne le serait pas ?
Le livre a été plutôt bien reçu dans votre pays...
Oui, c’est incroyable. Nous avons été encensé par la critique, reçu plein de prix, c’était formidable. Nous avons eu quatre réimpressions. Les ventes ont passé le cap des 35 000 exemplaires vendus aux USA.
Avez-vous eu des réactions de familles de victimes ?
Les serial killers tuent d’ordinaire des gens qu’ils ne connaissent pas. Je n’ai eu aucune réaction de ce genre.
En France, la TV est truffée de programmes où les crimes et les serial killers ont une part prépondérante. On pense aux magazines d’enquête comme Faites entrer l’accusé ou encore les feuilletons comme New York, Unité Spéciale. C’est devenu un passage obligé de l’éducation des masses ?
Lorsque j’étais enfant, à l’époque où j’ai connu Dahmer, il n’y avait pas une telle profusion de violence à la TV.
Il ne se passe plus un mois sans une fusillade mortelle aux USA...
La différence entre ce genre de tueur de masse et les serials killers comme Dahmer, c’est que ce dernier en particulier était motivé par des raisons sexuelles. C’est très différent, même si le résultat est le même, vous ne pouvez pas vraiment comparer ces crimes. Mais je ne suis pas un psychologue, je ne peux pas commenter ceci de façon très pertinente.
Votre dessin n’est pas plus guilleret que le personnage que vous décrivez : sombre, triste...
J’ai dessiné d’autres livres qui sont des comédies avec le même genre de dessin ! C’est le premier de mes livres qui soit aussi sombre. je ne pense donc pas qu’il y ait un lien (rires).
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Un éditeur de livres d’art, filiale du groupe français La Martinière, peu versé dans la bande dessinée. NDLR
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