Nous vous en parlions récemment, à propos de René Goscinny : la fortune critique du créateur de Tintin est absolument ahurissante, au point que Dominique Cerbelaud et Olivier Roche lui ont consacré une publication en 2014 aux Impressions nouvelles : Tintin – Bibliographie d’un mythe.
Et chaque année, elle s’étend, dépassant celle de certains grands auteurs littéraires. On pourrait, en répondant à la question : « - Quel est l’auteur de la BD franco-belge le plus important du XXe siècle ? », paraphraser André Gide : « - Hergé, hélas ! »
Pourquoi ? Nous en esquissions une explication dans l’article sur Goscinny : « Si l’on voulait soutenir une thèse sur la bande dessinée dans les domaines, par exemple, de la sémiologie ou de la sociologie (deux champs qui ont longtemps tenu le haut du pavé), il valait mieux -surtout dans les milieux universitaires- ne s’intéresser qu’à Tintin car c’était le seul héros connu des examinateurs. »
L’autre raison est la frénésie des collectionneurs. Les tintinophiles sont quelques milliers à acheter tout ce qui a trait à l’œuvre d’Hergé. Ils assurent la possibilité de ces livres d’exister, pérennisant le phénomène.
Bonnes impressions
Plusieurs nouveautés viennent d’enrichir récemment le corpus. Évoquons Hergé et la presse de Geoffroy Kursner aux Impressions nouvelles. C’est un livre impressionnant. Il a comme auteur un juriste suisse passionné de Tintin qui collabore à la revue Hergé au pays des Helvètes.
L’ouvrage recense les publications des aventures de Tintin, depuis 1929, à travers le monde, dans plus de 300 journaux et dans plus de 40 pays dont l’Égypte (francophone), l’Iran, l’Inde ou le Venezuela.
Il montre comment les gens d’église de tous horizons ont été les premiers ambassadeurs du reporter à la houppette et comment la Seconde Guerre mondiale n’empêche pas sa diffusion, loin de là.
Dans une approche méthodique, l’auteur opère un inventaire qui, s’il n’est sans doute pas exhaustif, impressionne par son érudition nourrie par des recherches riches et polyglottes, articulant son analyse sous les aspects historiques, contractuels (l’auteur n’est pas juriste pour rien), mais aussi techniques et promotionnels.
Le champ d’investigation n’intéressera pas seulement les fans de Tintin, mais aussi et surtout les historiens de l’édition qui y trouveront une mine d’informations de première main sur les pratiques de la diffusion dans la presse européenne et mondiale. Bien renseigné, l’auteur raconte cette aventure avec ses succès et ses aléas.
On remarque la censure rodwélienne par la présence discrète çà et là d’encarts estampillés « H » qui signalent un dessin nécessitant une autorisation du « château ». On s’en passe volontiers car la profusion des autres documents rares ou inédits suffit à étoffer le propos. Un travail exemplaire, incontournable.
Dans la collection d’ouvrages de référence sur Hergé aux Impressions nouvelles (sept ouvrages en tout signés notamment Benoît Peeters, Pierre Sterckx, Jean-Marie Apostolidès,…), on repère notamment deux ouvrages de Renaud Nattiez, Le Mystère Tintin – Les raisons d’un succès universel (2016) et Brassens et Tintin – Deux univers parallèles (2020). Or, c’est précisément cet auteur qui est aujourd’hui le chevalier de Haddoque qui tient la barre de la collection de l’Harmattan consacrée à Hergé.
Plus de 600 ouvrages sur Tintin
« Il y a à chaque parution d’un nouveau livre sur Hergé, l’idée que tout a été dit sur lui, nous dit Renaud Nattiez, et pourtant, on en est à peu près à 600 livres sur Tintin. Deux caractéristiques à ce phénomène : primo, le corpus est extrêmement petit : il y a seulement 23 (24) albums de Tintin ; secundo, pratiquement rien n’a été publié avant la mort d’Hergé, la grande majorité a été publiée après 1983. »
Tout n’est pas de grande qualité dans cette avalanche de publications. Certains titres entraînent haussements d’épaules et froncements de sourcils de la part des historiens les plus rigoureux du lot, mais ce qui étonne, c’est la diversité des approches et la fréquence de ces publications.
Au point que les éditions de L’Harmattan, ayant racheté le fonds éditorial du label Sépia, pousse les feux dans une collection "Zoom sur Hergé" essentiellement constituée jusqu’ici d’essais de Patrick Mérand qui s’est intéressé aux langues étrangères dans les œuvres d’Hergé : chinois, arabe, tibétain, etc. Il est aussi l’auteur de l’ouvrage « La Tintinophile en 300 questions » et de plein d’autres essais sur les moyens de transport, les costumes, ou l’architecture dans l’œuvre d’Hergé.
Il est bientôt rejoint par d’autres auteurs comme Renaud Nattiez, un autre passionné qui lui apporte un ouvrage sur Les Femmes dans le monde de Tintin.
Le label Sépia est racheté en 2020 par les éditions de L’Harmattan qui redonnent un nouveau cap à la collection, au rythme de cinq à six titres par an. À la fin de l’an dernier, L’Harmattan a publié un titre par mois depuis septembre. Et un nouveau titre en février 2022 : Les Secrets d’Hergé dessinateur ou l’art de composer les images de Bruno Cassiers : « Bien se placer pour observer une action c’est, dit autrement, l’art de la composition. Ce livre analyse de quelle manière l’auteur des Aventures de Tintin a maîtrisé cet art discret, mais essentiel » annonce le communiqué.
Cela va du carnet de voyages du reporter par Luc Révillon, à une réflexion sur sur les horizons de ses aventures par Yves Crespel & Nicolas Goethals, en passant par un essai sur le Château de Moulinsart par Pierre Bénard, une étude sémiologique des 7 Boules de cristal par Pierre Fresnault-Deruelle, à une exploration, dans le collectif Hergé au sommet, des interrogations spirituelles du dessinateur ; enfin, un roman du directeur éditorial Renaud Nattiez intitulé Meurtres à Moulinserre où la parodie lui permet d’imaginer un véritable polar dans le milieu tintinesque, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’étant que pure coïncidence…
Dans tous ces ouvrages, aucune image de Tintin. Mais à chaque ligne, à chaque page, il est présent, en contrebande. Si vous avez un fan de Tintin dans votre entourage, vous savez désormais quoi lui offrir.
Xavier Pryen, qu’est-ce qui vous a motivé à reprendre le fonds des éditions Sépia sur Hergé pour L’Harmattan ?
C’est un peu la découverte de cette « niche » d’un fonds éditorial historique de Sépia, l’arrivée de Renaud Nattiez comme auteur chez Sépia, et de ma part un déclic : il faut pousser la réflexion jusqu’au bout, étudier Tintin et Hergé sous un angle qui est propre à notre groupe : se poser des questions par rapport à l’univers.
Combien de titres sont parus ?
Une petite vingtaine de titres avec notamment les ouvrages de Patrick Mérand et, depuis l’arrivée de Renaud Nattiez, environ cinq à six titres par an avec l’idée d’être le plus éclectique possible sur les titres édités.
À quel public cela s’adresse-t-il ? Les fondus d’Hergé ?
C’est un peu le défi de la collection et notre objectif pour 2022 : il faut arriver à sortir du public un peu captif des tintinophiles qui sont un grand nombre mais pour lesquels on a la problématique de l’âge.
Vous avez en plus la concurrence des initiatives de Casterman et de Moulinsart, avec Géo par exemple… Quel est le niveau de vos ventes ?
Entre 1000 et 2000 exemplaires au titre. Pour une collection qui démarre c’est plutôt honorable dans le contexte du marché du livre. Ce sont des ouvrages sérieux, parfois un peu savants, l’idée est de continuer à s’interroger sur l’œuvre d’Hergé en général.
Sur vos couvertures, on ne voit pas le mot « Tintin » et les représentations sont toujours parodiques. Vous avez peur de Moulinsart ?
Nous ne publions pas ce qui n’est pas libre de droit. Pierre Fresnault-Deruelles passe son temps à faire des références précises à des cases. C’est une contrainte et un exercice : il m’est arrivé de lire ces ouvrages avec les albums d’Hergé ouverts à côté ! À ce jour nous n’avons pas eu de questionnement ou de problèmes de la part de Moulinsart sur ces ouvrages. L’œuvre est suffisamment notoire pour qu’elle puisse être interrogée. Nous essayons d’êtres respectueux du droit, mais on ne peut pas prévoir les réactions S’il se passe quelque chose, cela fera sûrement de la publicité pour la collection.
Il y a un sujet sur lequel vous avez pas mal travaillé, c’est l’Afrique. Vous êtes le seul éditeur à avoir une collection de BD d’auteurs africains.
Là encore, ce n’est pas un choix commercial puisque c’est une chose qui est dans l’ADN de L’Harmattan. Nous travaillons cette collection avec Christophe Cassiau-Haurie depuis une dizaine d’années maintenant au rythme de deux à trois publications par an. C’est compliqué de mixer le monde très normé de la BD en France avec des contraintes, des règles et des évolutions de styles propres (car le graphisme de la BD africaine peut être parfois ressenti comme daté pour certains titres), mais c’est un choix assez volontariste et on a quelques beaux projets. Et puis, c’est pareil : on prend le temps de réaliser les ouvrages et on tient le cap.
(Propos recueillis par Didier Pasamonik)
Voir en ligne : La collection "Zoom sur Herg" aux éditions de L’Harmattan
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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– Acheter "Les Secrets d’Hergé dessinateur ou l’art de composer les images" – Par Bruno Cassiers – L’Harmattan. chez Cultura ( publication : à paraître le 9 février 2022)
– Acheter "Carnet de voyages d’un reporter du Petit Vingtième - Janvier 1929 - Mai 1940" - Annoté par Luc Révillon – L’Harmattan. chez Cultura (décembre 2021)
– Acheter "Sur les traces d’un petit reporter… Essai sur l’aventure dans l’œuvre d’Hergé" – Par Yves Crespel & Nicolas Goethals – L’Harmattan. chez Cultura (novembre 2021)
– Acheter "Mille Sabords ! Mon Beau Château !" Par Pierre Bénard – L’Harmattan. chez Cultura (octobre 2021)
– Acheter ’Hergé ou le retour de l’indien - Une relecture des 7 Boules de cristal’ – Par Pierre Fresnault-Deruelle – L’Harmattan. chez Cultura (septembre 2021)
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