La dernière livraison de la « revue critique de bandes dessinées » Comix Club vient de sortir.
Elle commence par une chronique en bande dessinée de Jean-Paul Jennequin qui rappelle cette anecdote : Blutch avait livré Peplum pour le journal (À Suivre) alors à l’agonie. Il livrait ses pages au fur et à mesure mais personne ne lisait et il était payé quand même, jusqu’au moment où l’album se termine et qu’enfin un responsable éditorial, le rédacteur en chef du journal on suppose, se mette à le lire. Et là, ça passe pas : l’éditeur n’adhère pas à une histoire qui est depuis considérée comme un chef d’œuvre. On convoque l’auteur et on lui suggère des coupes dans les « passages inutiles ». Conclusion de Jennequin : « Il faut oser dire que dans les maisons d’édition, il y a plein de gens sans véritable culture, qu’elle soit littéraire ou graphique ».
C’est un peu rapide comme analyse. Il y en a sans doute un bon nombre de gens incompétents dans les maisons d’édition, comme dans toute entreprise. Mais ici, il ne s’agit pas de culture. Juste d’un manque de respect pour l’artiste, doublé en l’occurrence d’un travail éditorial défaillant, en un mot d’une faute professionnelle. Il aurait peut-être fallu expliquer que Blutch se trouvait face à un rédac-chef sur le départ, à l’humeur exécrable qu’excusait partiellement sans doute la situation alors catastrophique des éditions Casterman, alors au bord de la faillite (elles seront rachetées avant le moment fatidique par Flammarion). En fait, Blutch s’en est bien tiré puisqu’il a été payé et que l’album, finalement publié chez Cornélius contribua quelque part, grâce aux sous de Casterman, à renforcer ce petit label.
La revue se poursuit avec les interviews de 13 auteurs à qui l’on pose cette question : « Comment dessinez-vous ? ». L’interview est assez systématique, les mêmes questions revenant souvent, comme dans un questionnaire de Proust, autour d’un sujet qui se veut avant tout technique. Cela permet de rencontrer les auteurs, souvent jeunes et donc souvent inconnus. On s’aperçoit que rien n’a vraiment changé depuis « Franquin et Gillain – Comment on devient un créateur de bande dessinée » (Marabout, 1969 ; réédition : Niffle, 2001). On espère que les prochaines livraisons porteront sur les questions un peu plus complexes : Comment raconter une bonne histoire ?, comment utiliser la documentation sans plagier les photographes ?, comment négocier les contrats avec ces requins d’éditeurs ?, etc.
Filippini, en bouc émissaire
On retrouve Jennequin qui nous ressort dans une de ses BD à la Scott McCloud une citation de Filippini parlant du dessin du dessinateur Coq en préface de La Fée Aveline, un truc commis par Goscinny pour Jours de France. C’est évidemment assez plat comme description, parce que comme dit Jennequin, Filippini « n’est pas le plus habile des « exégètes » de la BD » (les guillemets à « exégètes » sont de JPJ) et puis sans doute parce que Coq n’est pas non plus un virtuose. Et de comparer Mitchum de Blutch à ce machin créé pour le journal de Marcel Dassault en 1967… Avec Humour, Jennequin se montre aussitôt perdu dans des considérations interminables.
Mais là aussi, la contextualisation n’y est pas. Comparer Blutch à Coq, c’est comparer Jackson Pollock à William Bougereau : ça n’a carrément pas de sens. Et là aussi, de La Fée Aveline, on ne s’intéresse qu’au dessin plutôt qu’à l’histoire. Alors qu’il aurait peut-être été fertile de regarder comment Goscinny raconte son histoire en comparaison avec Blutch. Et de se poser cette question : pourquoi cette histoire du papa du Petit Nicolas est-elle si furieusement datée ?
Mais revenons un instant à Filippini commenté par JPJ : ici encore, Jennequin ne s’intéresse qu’à la formulation et pas au travail d’un « exégète » (là c’est moi qui met les guillemets) qui est sans doute le seul à y connaître quelque chose au sujet de ces dessinateurs de cette période méconnue qu’est la bande dessinée française des années cinquante. Pour le coup, on ne s’intéresse plus à la culture de Filippini mais à son (manque supposé de) goût.
Or, il y a un rapport entre la critique et le goût : « L’esprit de critique est un esprit d’ordre nous dit Rivarol ; il connaît les délits contre le goût et les porte au tribunal du ridicule… » [1]. Les "délits contre le goût" de M. Filippini ne sont pas ici établis. Une fois de plus, nous sommes à la frontière de la diffamation. Si l’on veut faire à Filippini (et pourquoi pas ?) un procès au tribunal du ridicule, il faudrait commencer par l’instruire. Il me semble que la persistance dans ce persifflage n’est pas digne d’une "revue critique" et que par conséquent, elle faillit là à sa mission.
Comment critiquez-vous ? Telle est la question que je suggère à Comix Club pour un prochain sommaire.
DP
Comix Club N°8
Editions Groinge
9 rue Beaumont
86300 Nice
groinge@free.fr
[1] Rivarol, critique littéraire in Journal politique national et autres textes », 10/18, Paris, 1964, p. 266.
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.