VIGILANCE ET RÉSISTANCE. « Nous ne sommes pas plus intelligents que ceux qui, au XXe siècle, ont vu s’effondrer la démocratie en Europe et le totalitarisme s’y répandre. Mais nous avons un avantage : nous pouvons apprendre de leurs erreurs. » Tel est le pitch de cet album. Bien qu’édité par Gallimard Bande Dessinée, ce n’est pas exactement une BD. Plutôt un essai illustré. Mais ne faisons pas l’économie de son enseignement.
Vous avez vu Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères l’autre jour, à la TV ? Moi ce qui m’a frappé, c’est l’utilisation du mot « néo-nazi » pour désigner les Ukrainiens. Comme si nous, en Occident, on ne connaissait pas le sens du mot « nazi ». Comme si le vocable « néo-nazi » nous était inconnu. Il est surprenant de rédécouvrir, cent ans plus tard, la novlangue soviétique, celle que critiquait en filigrane Orwell dans son I984.
Les mots ont un sens, il serait temps que l’on s’en souvienne et qu’on l’enseigne un peu mieux à nos enfants. Ici il s’agit d’un essai sur la tyrannie qui, en vingt chapitres didactiques précise les choses pour mieux les nommer. Avec quelques conseils, dont je retiens quelques-uns :
« Ne pas obéir à l’avance ». Timothy Snyder donne l’exemple des Autrichiens qui ont laissé les Allemands prendre le pouvoir chez eux et s’en prendre immédiatement à ses minorités : les Juifs et les Roms. C’est à Vienne qu’Adolf Eichmann installa l’Office central pour l’émigration juive, en mars 1938, matrice de la « solution finale ». En novembre, commençait la Nuit de Cristal.
« Prendre garde à l’état de parti unique ». Et son pendant, l’oligarchie : les fascistes, les nazis et les communistes ont un point commun : ils se sont toujours appuyés sur un vote démocratique pour arriver au pouvoir et ne jamais le rendre.
« Se sentir responsable du monde ». Repérez les svastikas ou leurs substituts, les injures, les invectives, la déshumanisation et autres signes de haine. Ne détournez pas le regard, ne vous y habituez Jamais.
« Se méfier des paramilitaires ». Timothy Snyder fait ce constat : ceux-ci commencent par défier la police et l’armée (Blackbloks, etc) puis les infiltrent pour finalement les transformer.
« Croire à la vérité ». « Abandonner les faits, c’est abandonner la liberté, dit Timothy Snyder. Si rien n’est vrai, tout est spectacle. Rabaisser le monde tel qu’il est, c’est commencer à créer un contre-monde fictif, préparer à des vérités alternatives. »
« Apprendre de ses pairs dans d’autres pays. » Voyagez, découvrez les autres cultures. Avoir un passeport est une porte ouverte à l’intelligence. Acquérir un passeport est une initiative libératrice, puisqu’elle ouvre la possibilité de nouvelles expériences.
« Être attentifs aux mots dangereux. Révoltez-vous contre des propos injurieux et contre l’usage abusif des mots extrémisme et terrorisme.
« Rester calme quand survient l’impensable ». Ne surréagissez jamais, par exemple dans les réseaux sociaux. La tyrannie moderne, c’est le management de la terreur. Les régimes autoritaires exploitent ces événements pour consolider leur pouvoir. (cf Incendie du Reichstag)
« Être patriote ». C’est donner la nation en exemple. Le nationalisme n’a pas de valeurs universelles, contrairement au patriotisme.
C’est très « donneur de leçons » (le titre n’est pas trompeur). Timothy Snyder est un historien spécialiste du nazisme ET du stalinisme, professeur à l’université de Yale, traduit dans plus de 40 langues et récompensé par de nombreux prix. Nora Krug est allemande. Elle publie dans le NewYorker notamment et enseigne à la Parson School of Design de New York.
Le sous-texte de cet ouvrage vise en particulier le mandat de Donald Trump qui a fait que les USA ont frôlé la tyrannie. On sent de la part de l’auteur une espèce de culpabilité de ce citoyen américain d’avoir laissé passer un tel président au pouvoir. Cela se ressent très fort dans ce livre.
Mais cette mésaventure nous pend au nez : il faut que cette expérience nous serve de leçon.
DP
De la tyrannie – Par Timothy Snyder – Illustré par Nora Krug – Gallimard BD
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