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Disparition de Tibet : Un communiqué du Centre Belge de la BD

4 janvier 2010 Commenter
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Le Centre Belge de la BD a envoyé un communiqué de presse pour faire part de sa très vive émotion suite à la disparition de Tibet. Nous le reproduisons ci-dessous.

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C’est avec une très vive émotion que le Centre Belge de la Bande Dessinée a appris ce dimanche 3 janvier le décès d’un de ses plus fidèles compagnons de route, le dessinateur Tibet.
D’aucuns salueront comme il se doit l’œuvre monumentale de cet homme irremplaçable, des aventures de Chick Bill et Kid Ordinn dont il écrivait les dialogues avec en bouche l’accent marseillais de son enfance, et de celles du journaliste-détective Ric Hochet créé avec son compagnon de route André-Paul Duchâteau... sans oublier l’art de la caricature dans lequel ce fin observateur excellait.
Défenseur ardent de sa profession, Tibet aura été présent à toutes les étapes de la reconnaissance de cet art, depuis les projets de confrérie franco-belge avec ses amis Uderzo et Goscinny au milieu des années ’50 jusqu’à la création de l’Upchic (Union des auteurs de BD, en Belgique francophone) avec Yvan Delporte, Franquin et Morris en 1980. Généreux et dévoué, il en était resté le président depuis le premier jour. C’est dans le même esprit qu’il ne cessa d’apporter son soutien actif au projet de Centre Belge de la BD et qu’il lui prodigua ses encouragements jusqu’à ses derniers jours.
Ses qualités humaines exceptionnelles - générosité, fidélité et sensibilité mâtinées de tendresse et de gaîté - en ont fait l’ami idéal.
Le Centre Belge de la Bande Dessinée adresse ses plus sincères condoléances à son épouse Nicole, à son fils Didi, à sa famille et à ses amis.


En 1998, le Centre Belge de la BD consacrait un album de la collection PhilaBD à l’œuvre de Tibet. Vous trouverez ci-après la préface biographique de cet ouvrage, signée par Jean Auquier. Ce texte intègre la plupart des rôles de ce grand témoin de soixante ans de BD en Europe... hormis ce "premier et très émouvant texte littéraire" (dixit Jérôme Garcin), "Qui a fait pleurer maman", publié il y a trois ans par Eric Naulleau (éditions L’Esprit des Péninsules).

Jean Auquier, DG
Centre Belge de la Bande Dessinée



Tibet, toujours prêt !

Soixante albums de Ric Hochet, soixante-et-un de Chick Bill... bien sûr, ces chiffres impressionnants n’expliquent pas à eux seuls la popularité de Tibet. Redoutable caricaturiste, Tibet se shoote au calembour et à l’amitié. Cinquante ans après ses débuts en bande dessinée, Tibet est resté Coq Artiste, CP de la patrouille des Sangliers.

Natif du pays de la galégade et du soleil (Marseille, 29 octobre 1931), le jeune Gilbert Gascard devient Tibet par la grâce d’un frère aîné - de 13 mois - qui prononce plus facilement ’ti-’bet que Gilbert.
Il a quatre ans lorsque sa famille s’installe à Bruxelles, tout près de cette petite rue du Bon-Secours, dans le centre de la ville, où la fresque murale Ric Hochet rappelle aujourd’hui aux Bruxellois comme leur imaginaire est lié à la bande dessinée.

Et de fait, c’est en lisant Spirou que le jeune gamin qui adorait sauter des trams en marche va découvrir la bande dessinée avant l’âge de dix ans. Jean Valhardi devient son idole comme, plus tard, Gary Cooper. Le virus de la bande dessinée ne le quittera plus.

Coq artiste

Devenu chef de la patrouille des Sangliers chez les scouts de la place Anneessens, il dévore le mensuel Plein Jeu dont l’illustrateur attitré s’appelle Franquin. Nouvelle idole. Son premier pseudonyme sera donc un totem : Coq Artiste. Aucune explication n’est nécessaire pour comprendre que le petit scout français a choisi son destin. Ce sera le dessin.
Dans la foulée, à 13 ans, cahier de dessins sous le bras, il sonne à la porte d’Hergé. Mais ses premiers vrais conseils de pro, il ira les chercher chez Tenas et Rali, dessinateurs attitrés du magazine Bravo. Il leur servira même de modèle pour une histoire publiée dans Spirou, Le Triangle de feu, scénarisée par un autre jeune surdoué, André-Paul Duchâteau.
Trois ans plus tard, il suit ses maîtres au Studio Disney. L’édition belge de Mickey-Magazine emploie d’autres talents en herbe, notamment - tiens, tiens...- André-Paul Duchâteau, qui s’applique à inventer jeux, énigmes et scénarios. Tibet y exécutera toutes sortes de travaux essentiels à la formation d’une carrière : balayage des locaux, service du café mais aussi le dessin des personnages de Cendrillon pour les chromos destinés aux chocolats Victoria.
C’est à cette même époque que Héroïc-Albums accueille le premier héros personnel de Tibet : un privé coriace, tendance Série Noire, Dave O’Flynn (1949).

A 18 ans, bien décidé à conquérir son morceau d’étoile, Tibet décroche son premier vrai boulot : il devient maquettiste-illustrateur au studio des éditions du Lombard... qu’il ne quittera plus. Près de cinquante ans plus tard, il demeure le dessinateur le plus fidèle du paysage de la BD européenne !
Tibet est vraiment doué pour la fidélité. Aujourd’hui, Coq Artiste rencontre encore de temps en temps Pinguin et Ecureuil.
Le coup de crayon s’affirme, le calembour s’enrichit, le talent s’apprivoise. Très vite, le Journal Tintin publie sa première histoire complète, Yoyo s’est évadé, sur un scénario du jeune André-Paul Duchâteau, déjà complice.

Le Chaînon Manquant

Concurrence avec Mickey Magazine aidant, Raymond Leblanc, patron du Lombard, rêve d’introduire une série animalière dans le Journal Tintin. Hergé n’aime pas trop l’idée mais Tibet s’y emploie. Ce sera Chick Bill. C’est dans le premier numéro de Chez Nous – Junior (autre publication maison, 1953) que naissent Les Aventures de Chick Bill en Arizona. Mais... miracle de la génétique et du talent réunis, dès le troisième épisode, les héros de la série - Chick Bill, Dog Bull, Petit Caniche et Kid Ordinn - prendront la figure humaine que l’on connaît aujourd’hui.

D’aucuns n’hésitent d’ailleurs pas à affirmer que Tibet est le chaînon manquant entre l’école américaine et l’école belge. Car si Tibet appartient clairement à l’âge d’or de la ligne claire, il y a peut-être un peu de Walt Disney dans son graphisme. Ses premiers personnages pour la série Chick Bill n’étaient-ils pas animaliers ? Et la manière dont il anime alors sa série, façon dessin animé, en est une trace : quand Dog Bull tombe à la renverse, son corps bascule vraiment à 180 degrés !

Wood-City, paisible petite cité de l’Ouest, est donc le cadre d’un des deux westerns les plus fameux de la bande dessinée belge. Entre le bureau d’un shérif aux colères homériques et le saloon de Bert qui sert les meilleures limonades de tout le Far-West, Tibet a tracé le décor et distribué les rôles d’un authentique théâtre de comédie où s’épanouit avec jubilation son goût prononcé pour le discours absurde truffé de calembours. Le 62e épisode (à paraître début 1999) des aventures de Chick Bill ne dérogera pas à la règle puisqu’il aura pour titre : A la recherche du taon perdu.

Pagnol à Wood-City

Dog Bull est un shérif fanfaron, colérique et autoritaire. Kid Ordinn le tendre, est son adjoint et son souffre-douleur. Ensemble, ils tiennent la vedette. Leurs affrontements et leurs empoignades rendent leur complicité d’autant plus riche. Jeune cow-boy sans peur et sans reproche, Chick Bill est leur protecteur. Petit-Caniche, ami de Chick et complice de Kid, est leur premier public... Sans oublier le petit peuple de Wood-City, si prompt à s’enflammer !

Face à eux, Tibet a constitué au fil des épisodes la plus belle brochette de bandits, escrocs, sales gueules et brutes en tout genre de tout l’Ouest de la BD ! Leur point commun : une méchanceté qui n’a d’égale que leur rapacité et leur bêtise.

Et si le graphisme clair et précis de Tibet fait merveille dans ces aventures suivies avec le même plaisir par tous les publics, elles mettent également en lumière une qualité moins connue de leur auteur : la qualité des récits qu’il imagine avec, au fil du temps, la complicité épisodique de Goscinny, Greg ou Duchâteau. Mais la recette de cet humour efficace tient peut-être dans ce secret : d’origine marseillaise, Tibet confie volontiers qu’il pense les scénarios et dialogues qu’il imagine... avec l’accent du Midi. Les Aventures de Chick Bill ? C’est Pagnol à Wood-City !

Le fils de Jean Valhardi

En 1955, le Journal Tintin publie la première énigme dessinée de Ric Hochet, petit crieur de journaux âgé de 13 ans. Elle est signée A.P. Duchâteau et Tibet. Entré dans la presse par la porte de service, la perspicacité du jeune Ric Hochet l’amènera tout naturellement à devenir en grandissant LE journaliste d’investigation du journal La Rafale. D’abord personnages d’histoires complètes et d’énigmes illustrées, Ric Hochet et le Commissaire Bourdon vivront des aventures à suivre à partir de 1961.

Depuis ce moment, l’ami de coeur de la nièce du Commissaire Bourdon n’en finit pas de courir pour résoudre les énigmes plus tordues les unes que les autres nées de la complicité de ses auteurs. Il est vrai que Duchâteau a dû tomber dans une marmite de sang frais quand il était petit. A 15 ans, cet Errol Flynn cultivé commettait son premier roman policier, Meurtre pour meurtre, écrit sur les bancs de l’Athénée : l’école en est le cadre, un prof la victime et un élève de 3e latine l’enquêteur.

Ric Hochet a trimbalé son trench mastic dans tous les décors marquants de ces 45 dernières années jusqu’à l’Internet... décors réalisés successivement par les dessinateurs Mittéi, Christian Denayer et Didier Desmit.
Aujourd’hui, pas blasé pour un sou et continuant de se jouer des pires traquenards, Ric Hochet est plus que jamais le fils spirituel de Jean Valhardi.

Au fil des soixante albums qui narrent ses aventures (15 langues, 160 énigmes, 250 coupables... tous démasqués), le grand plaisir de ses auteurs aura été d’entraîner le lecteur dans une voie qui parait totalement impossible, touchant de plus en plus aux frontières du fantastique, pour finalement élucider le mystère en démontrant par le rationnel que tout cela était plausible et qu’il ne s’agissait que d’une pure machination criminelle.

L’album refermé, deux questions restent pourtant sans réponse. Qui paie les notes de carrossier de Ric Hochet (chez Porsche, ce n’est pas donné) ? Comment un dessinateur aussi drôle et sensible que Tibet, comment un scénariste-romancier aussi courtois et apparemment si paisible que Duchâteau peuvent-ils avoir commis autant de crimes horribles ?

Gueules croquées

Parallèlement à ces deux séries-phares, Tibet créera d’autres héros, d’autres séries, en plus d’un grand nombre d’illustrations. L’auteur le plus prolifique de sa génération dessinera notamment Globul le Martien, Alphonse, Mouminet, Pat Rack et Mass Tick, mais aussi Junior, président du Club des Peur-de-Rien (Junior, 1959) et - avec Duchâteau et Mitteï qui signaient la série – Les 3A (Tintin, 1962).

Mais le jardin secret de Tibet, son dessert favori et sa danseuse, c’est la caricature. Chaque semaine, dans sa Tibetière (Tintin, 1971-72), il va croquer les vedettes de cinéma, de la BD, du sport et du spectacle... Et il n’est pas rare de reconnaître au détour des aventures de Ric Hochet et de Chick Bill, des personnages dont la physionomie rappelle furieusement celle de personnalités connues de tous ou de son seul entourage.

Et si, en dehors du dessin, Tibet avoue pratiquer l’art de la sieste, le cinéma, la télévision (des deux côtés), le Tour de France (d’un seul côté) et les réunions d’amis, ce joyeux compagnon, loyal et gai, jubile à l’idée de raconter à ses amis la dernière plaisanterie, celle qui vient de naître et que personne ne connaît.

Joyeux compagnon

Et justement, raconter Tibet, c’est aussi évoquer l’auteur qui ne cesse de prodiguer aux plus jeunes les conseils que lui-même avait su recevoir. Succédant à Bob De Moor, le jeune maquettetiste-metteur en page-illustrateur entré chez Tintin à l’âge de 18 ans, est devenu d’ailleurs en 1992 le directeur artistique des Editions du Lombard.

Président moult fois réélu de l’Union Professionnelle des Créateurs d’Histoires en Images et de Cartoons (upCHIC, 1980) qui rassemble la plupart des auteurs et scénaristes francophones de Belgique, ce natif du Scorpion n’a jamais raté une occasion d’afficher franchement et librement ses avis et opinions sur le métier qui est toute sa vie : dessinateur de bande dessinée.

Ce qui rend Tibet unique, répète volontiers son ami Albert Uderzo, c’est sa gentillesse, son sens de l’amitié, son grand talent et sa drôlerie... mais aussi son courage et son intelligence. Ce à quoi André-Paul Duchâteau rétorque : - Tibet ? Rien que des défauts... la rage d’être franc, la manie d’être serviable et l’outrecuidance d’aimer seulement les gens qu’il aime bien.

Grand Prix de la Ville de Québec (1994), Tibet mérite assurément davantage de palmes qu’il n’en a obtenu jusqu’ici. Sa vraie récompense, c’est la popularité comme en témoignent toutes ces années où Ric Hochet caracolait en tête du Référendum Tintin, toutes catégories d’âge confondues.
Sa Légion d’Honneur, c’est l’affection du public.


Jean Auquier

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.


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