Dans les années 80, Jan Bucquoy scénarisait des univers souvent contemporains, où pointaient une critique acerbe de la politique et de la société. On a surtout retenu les aventures d’Alain Moreau avec Marc Hernu, le Bal du rat mort avec J-F Charles, Stone avec Marianne Duvivier, Jaunes avec Tito, et Les Chemins de la Gloire avec Hulet. Depuis, Bucquoy qui a été tour à tour homme de théâtre, homme politique et entarteur avec son ami Noël Godin, a bifurqué sur une carrière de cinéaste avec des films comme La vie sexuelle des Belges, Camping Cosmos ou encore récemment La vie politique des Belges avec Benoit Poelvoorde ou encore Les vacances de Noël avec Edouard Bear, Yolande Moreau et Noël Godin.
En rapport avec les difficultés actuelles de la politique belge qui ne cessent de s’étaler à la Une de nos journaux (le pays est sans gouvernement depuis bientôt quatre mois), il est intéressant de relire les premières pages du premier album de sa Chronique de Fin de Siècle : Autonomes :
« Politiquement, après une courte période de restauration, la Belgique s’est divisée en trois régions autonomes. « La Belgique a officiellement cessé d’exister, poursuivant ainsi en toute logique et jusqu’au bout, la réalisation de ses différences culturelles et politiques. » La Flandre opte pour un régime fort et autoritaire sous la bannière de la Volksunie, parti national-libéral. Elle possède les meilleurs ouvriers d’Europe … ni grèves, ni syndicats. A Blankenberge, le bronzage en rangs ! Ordre et discipline !
Bruxelles et sa région reprennent le rôle de capitale internationale qui fut le sien à l’époque du soi-disant Marché Commun, et sort complètement du contexte de capitale belge. Son rôle : devenir une zone de libre échange, de paradis fiscal.
La Wallonie se choisit une démocratie populaire … Innovant dans le domaine de l’écologie, des énergies non polluantes, de la révolution sexuelle, de l’autogestion et de la participation de ses habitants aux destinées de la nation. Avec toutes les difficultés et contradiction que comporte l’exécution d’un tel programme, la majorité écolo est fortement critiquée par la vieille droite ardennaise qui conteste le partage des terres et la nationalisation du secteur du crédit et de l’industrie lourde, ainsi que les vieux aristocrates qui réclament l’union avec la France.
Ce petit Cuba sans canne à sucre, est plutôt vu d’un mauvais œil par son grand voisin français, qui s’inquiète de l’exemple wallon qui pourrait inspirer les différents nationalisme à l’intérieur de l’état français, gouverné d’une main de fer par le parti du RPF unifié de JC, associé au Front National de Marc Lapeine. » [1]
On appréciera, au travers d’un discours clairement anarchiste, la justesse de la vision, et l’acuité du regard de l’auteur, qui a pourtant écrit ses lignes il y a plus de 20 ans. Sans vouloir prétendre donner des leçons aux décideurs belges, il semble intéressant qu’ils lisent cette œuvre d’anticipation pour se donner une idée des possibles retombées de la crise actuelle.
Malheureusement indisponible dans les librairies (l’album est totalement épuisé), il faudra se tourner vers le marché de la seconde main pour trouver ces ouvrages. C’est peut-être le bon moment pour qu’un éditeur remette au goût du jour cette série aux accents prophétiques !
CLD
[1] Chroniques de Fin de Siècle, tome 1, Autonomes, de Santi & Bucquoy, chez Ansaldi éditions, Pages 3-9.
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
