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11 Novembre : des bulles dans la tranchée

Par Patrice Gentilhomme le 11 novembre 2007                      Lien  
Alors que les derniers poilus s'éteignent, la grande guerre n'a jamais été aussi présente en BD. Petit tour d'horizon bibliographique, forcément incomplet.

"Ah ! Dieu que la guerre est jolie !!" Le monde de la BD aurait-il décidé d’adopter (ou d’adapter) la célèbre maxime que Guillaume Apollinaire écrivait dans les tranchées de la Première Guerre mondiale ? Ceux qui croyaient le sujet confisqué (ou définitivement bouclé) par l’incontournable Tardi en seront pour leurs frais. La guerre de 1914-1918 se poursuit à coups d’aérographes et d’albums tout en couleurs.

En 1993, publiant la Guerre des Tranchées, Jacques Tardi semble laisser derrière lui un no man’s land. Le père d’Adèle Blanc-Sec traite « sa » guerre depuis déjà si longtemps ; mais après cet album culte, plus personne ne pense -ou n’ose- s’attaquer au sujet, tout le monde aux abris ! Bien sûr, Pratt et Corto Maltese, Comes avec L’Ombre du Corbeau, ou quelques épisodes des Maîtres de l’Orge nous avaient déjà fait parcourir les lignes de front et les casemattes boueuses et humides, mais force est de constater que le sujet n’attirait plus tellement ni les foules, ni les éditeurs.

11 Novembre : des bulles dans la tranchée

Par la suite, on relève bien par-ci, par-là, quelques tentatives, comme celle de Rabaté avec le méconnu Ex-voto publié chez Vent d’Ouest en 1994, qui cherche à explorer le sujet sous un angle différent, mais cela reste malgré tout assez confidentiel. Si la critique remarque le bel album de Adlard et Morrison, La Mort Blanche, publié par Les Cartoonistes Dangereux en 1998, peu d’albums surnagent entre la déferlante d’héroïc fantasy et l’arrivée de la vague Manga. Les lecteurs avaient-ils déserté le champ d’horreur ?

Faut-il attribuer au facétieux Larcenet la reprise de l’offensive avec son délirant mais magnifique « Ligne de Front » ?
Publié en 2004, cet album ne fait pas office de document historique (on n’est plus chez Tardi !), mais recycle tous les fantasmes, peurs, couleurs et lumières, dans une production originale et singulière aussi percutante qu’un coup de canon de 75.
Hasard, coïncidences, effets d’actualité ou de commémoration ? Au fur et à mesure que les poilus disparaissent, et parallèlement à des succès cinématographiques notoires (La chambre des officiers, Joyeux Noël), le monde de la BD remonte progressivement au front. Le chemin des Dames, Verdun ou la Marne servent de cadres à de nouvelles histoires souvent dues à de jeunes auteurs dont les grands parents n’ont eux-mêmes pas connu la grande guerre.

À partir de 2003, Casterman occupe le terrain avec deux ouvrages : Les Caméléons de Le Henanff et Fabuel, puis Le Sang des Valentines du duo De Metter et Catel ; le succès commercial est au rendez-vous, avec une couverture marketing efficace. La critique, elle, remarque La Grippe Coloniale de Huo Chao Si et Appollo chez Vent d’Ouest, histoire un peu en marge, mais qui trouve son fondement dans les tranchées. Trous d’obus et barbelés font figure de décor somptueux et flamboyants pour des intrigues plus intimistes et pas ouvertement antimilitaristes. Si la BD historique semble marquer le pas, à la lecture de ces albums on constate que c’est reparti… comme en 14.

Paroles de Poilus, 2006

Deux événements viennent consacrer cette nouvelle écriture de la grande guerre : La Tranchée de Adam, Cady et Marchetti, qui, en obtenant le Prix « Décoincer la Bulle 2006 », fait entrer le polar dans la Der des ders, et le désormais incontournable Paroles de Poilus, paru chez Soleil fin 2006. Cette brillante illustration d’un recueil du même titre paru quelques années auparavant chez Librio, constitué de lettres retrouvées dans des archives anonymes et personnelles, connaît un formidable succès critique et commercial. Ce télescopage entre intimité et grande histoire est habilement servi par de nombreux auteurs de renoms, comme il est souvent d’usage dans ce genre de collectif. On avait déjà vu cela autour de chanteurs, poètes, causes humanitaires, livres hommages, etc. Le succès rencontré par ce bel album prouve avec brio qu’il n’y a plus de sujet impossible. Certains libraires ou bibliothécaires ne s’y trompent pas en l’intégrant dans leur rayon « Histoire » et non dans les « bacs BD ».

Aujourd’hui, faut-il accepter l’idée défendue par Tardi dans le dernier numéro de BoDoï (qui consacre également quelques pages au sujet), selon laquelle le sujet serait devenu « à la mode » ?
Le Cœur des Batailles, Morvan et Kordey
L’offensive continue dans la foulée, cet automne voyant encore plusieurs (bons) ouvrages arriver en librairie. Certains auteurs relisent cette histoire de manière personnelle et décalée comme Dorison ou Morvan. Le scénariste de Mandiguerre confie dans dBD une réelle fascination pour le sujet, et au final, cela donne le somptueux Cœur des Batailles, un traitement fort honorable et très convaincant. Pendant ce temps Lax et Blier nous proposent dans Amère patrie un regard croisé imprégné du choc des cultures, d’un brin de colonialisme et de chronique rurale. 1914-1918 en Afrique : même la mondialisation rattrape les poilus. Parallèlement, les Paroles de Verdun surgissent dans les bacs, histoire ne pas laisser abandonner le devoir de mémoire, Soleil récidivant à partir du succès des précédentes lettres.
Alors toujours d’actualité, la « der des ders » ? Pas de doute, la relève semble bien assurée, derrière les Tardi et Pratt débarque une génération d’auteurs qui adoptent une nouvelle écriture, moins complexée face à l’immensité du sujet, pas moins engagée, mais sur d’autres fronts. Plus innovant dans le graphisme, plus audacieux dans le traitement du récit, quitte à prendre certaines libertés avec la sacro-sainte vérité historique au grand dam des derniers puristes. On annonce déjà pour janvier 2008 une nouvelle série, Les Sentinelles, dans laquelle Dorison et Enrique Breccia passent la Première Guerre mondiale à la moulinette de la rétro science-fiction et de l’uchronie. Où il est question d’une armée de surhommes envoyée au combat, projet d’un colonel savant fou. Souhaitons la bienvenue à Super Poilu, une sorte de Terminator à moustache !

Enfin, en revenant des cérémonies commémoratives, vous pourrez visiter quelques pages web sur le sujet : celle de l’association Le Rêve de la Chimère en champagne Ardennes, pour sa bibliographie, et celle de notre collaboratrice Marie Moinard, publiée à l’occasion de la première sortie des Paroles de Poilus.

(par Patrice Gentilhomme)

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