1972, Des Ombres sur la Glace - Par Frédéric Bertocchini, Thierry Diette, et Pascal Nino – Tartamudo

Fallait-il y voir un mauvais présage ? C’est un vendredi 13 que les 45 passagers et membres d’équipage du vol Montevideo (Uruguay) / Santiago (Chili) embarquent. Pour la plupart, les passagers sont les membres et les proches d’une équipe de rugby uruguayenne, qui se rend au Chili pour y disputer un match amical. Mais la météo s’annonce capricieuse au passage de la Cordillère des Andes, au point que l’avion est contraint de faire une escale en Argentine. Là, le ciel est dégagé, alors les passagers ne comprennent pas les réticences de l’équipage à redécoller. Et comme l’avion loué par le club de rugby est un appareil militaire de l’Uruguay, il ne peut stationner plus de 24 heures en territoire étranger... Alors il repart, ses jeunes passagers heureux, vers son tragique destin.

Au-dessus de la Cordillère, l’avion est en difficulté. Au moment du crash, il est coupé en deux : on compte « seulement » 17 morts, ce qui est déjà un petit miracle. Les autres sont dans des états divers : certains sont presque indemnes, d’autres légèrement blessés, tandis que les plus atteints sont dans un coma qui ne leur laisse que peu de chances de survie, même si les secours arrivaient vite. Peuvent-ils tenir quelques heures ? Après bien des péripéties, les secours finissent par arriver... le 22 décembre, soit plus de deux mois plus tard. Les recherches de l’épave et d’improbables survivants ont en effet été abandonnés après quelques jours. La force et la témérité de deux des naufragés auront finalement permis, après un harassant périple de 10 jours, à prévenir les autorités, plus bas dans la vallée. Durant ces semaines, les rescapés ont lutté, dans des conditions dantesques. À l’arrivée, 16 d’entre eux sont sauvés.

L’histoire est surtout connue pour les faits d’anthropophagie qu’elle a entraînée, et qui avait d’ailleurs été diversement jugée à l’époque. Mais les auteurs ont la bonne idée de ne pas accentuer cet aspect, le considérant comme l’un des éléments parmi d’autres de cette histoire hors-normes. D’ailleurs, on est bien loin de l’image du « cannibalisme » que l’on se fait traditionnellement : il s’agit de très fines lamelles de chair humaine pour en extraire les protéines.

Dès lors, l’album insiste davantage sur les émotions ressenties par les protagonistes, et c’est là sa principale force : bien sûr, le désarroi lié à la prise de conscience de l’abandon des recherches, mais aussi celui lié à la mort progressive des survivants. Fernando, l’un de ceux qui affrontera la montagne à pied, voit ainsi sa mère mourir le soir du crash, puis sa jeune sœur le lendemain. On suit ainsi les réflexions et l’organisation pratique des naufragés, pas épargnés par d’autres catastrophes (cécité des neiges, absence de médicaments, de radio, avalanche meurtrière...).

Dans un tel projet, la restitution ou l’invention de dialogues est un exercice délicat, mais Frédéric Bertocchini rend crédibles les échanges et restitue une palette assez variée d’émotions ; le dessin de Thierry Diette, mis en couleurs par Pascal Nino, est surtout remarquable pour la restitution des grandes étendues et l’angoissant néant des arrières-plans, qui rendent bien compte du sentiment d’isolement. Un seul petit regret sur le plan du travail éditorial : il n’aurait sans doute pas été du luxe que le texte soit écrit en caractères un peu plus grands...