La Lune, on en a toujours rêvé, depuis Le Baron de Crac, depuis Jules Verne, depuis Méliès… Mais quid de la BD ? La curiosité, c’est que c’est du côté belge que l’on trouve une fascination pour l’astre lunaire plutôt que dans l’hexagone.
La chose apparaît nettement dans l’immédiat après-guerre puisque Hergé y travaille dès la fin des années 1940, les premières planches d’Objectif Lune paraissant dans Tintin en mars 1950 (l’album paraît en 1953). De façon presque contemporaine, en 1951, le premier volet de La Planète silencieuse de Sirius était publié dans Spirou (réuni en deux albums : Point Zéro et La Planète silencieuse en 1954).
Alors que Tintin paraît sans problème dans le Journal qui porte son nom et publié en France par Georges Dargaud, la bande dessinée de Sirius a eu davantage de soucis avec la Commission de censure de la Loi de 1949.
Voici ce qu’en raconte l’ancien rédacteur en chef de Spirou, Thierry Martens, en 1999 sur neuviemeart.com, le site de la Cité de la BD d’Angoulême : « Dès le début des années cinquante, il se révéla néanmoins vain d’espérer sortir indemne du tir de barrage effectué à Paris contre les publications étrangères. Les allègres bagarres de L’Épervier Bleu et de son vigoureux compagnon Larsen déplaisaient tout particulièrement aux censeurs : les albums La Vallée interdite (1954) et Point zéro (1954) furent interdits à l’importation en France. Après des admonestations répétées, les fonctionnaires jugèrent ridicule le voyage vers la lune du duo à la poursuite d’un groupe de gangsters […] L’éditeur et l’auteur traqués décidèrent de mettre fin à la saga. La série se termina en queue de poisson sur cette dernière prouesse imaginative et les impénitents bagarreurs disparurent dans l’espace infini, le 8 janvier 1953. Pour témoigner sa satisfaction d’avoir eu le dernier mot, la Commission autorisa le 24 février 1955 la diffusion de l’ultime album (La Planète silencieuse), édulcoré et qui constituait la conclusion de Point zéro, toujours interdit… »
Pourquoi ce tropisme belge avant le lancement de Spoutnik (1957), dont un exemplaire trône triomphalement dans le pavillon soviétique de l’Expo 58 de Bruxelles, et la première incursion de Youri Gagarine dans l’espace (1961) dont on sait qu’ils décidèrent le lancement par les USA de la course aux étoiles ? Nul ne sait. Même les éditions Artima basée à Tourcoing éditées par l’éditeur belge Émile Keirsbilck envoient leur personnage Météor (dessiné par le Niçois Raoul Giordan) vers le satellite terrestre.
On sait juste que c’est un sujet qui turlupine les auteurs. Hergé, aidé en cela par le zoologue Bernard Heuvelmans et le scénariste Jacques Van Melkebelke, travaille sur son Objectif Lune dès 1947. Cette année-là, le 20 février 1947, à bord d’une fusée américaine nommée V2 (vraiment, ce Von Braun ne doutait de rien…), des mouches drosophiles étaient envoyées dans l’espace afin d’examiner les effets des radiations sur leur organisme. Elles furent lancées jusqu’à environ 110 kilomètres d’altitude avant de retomber sur Terre et d’être récupérées saines et sauves. Dix ans plus tard, la chienne Laïka leur succèdera…
Pour les auteurs belges, cela relève de la farce, voire de la mégalomanie. Dès 1959, Zorglub envoie ses fusées sur la Lune pour y inscrire un slogan publicitaire. Von Braun avait envisagé d’envoyer une fusée impacter la lune quelques années plus tôt… Franquin réutilisera le gag pour Gaston Lagaffe… Plus tard, c’est une crêpe photocopiée (par Raoul Cauvin !) qui la représente. Il est vrai que Gaston a toujours été dans la Lune...
En 1969, Hergé lui-même accueillera par le truchement de ses personnages les astronautes américains sur la Lune, tandis que sous le crayon de Horn, le "Pellos belge", dans Le Soir, Eddy Merckx arrive triomphalement à Paris en costume d’empereur.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion