Actualité

6 août 1945 : La bombe en héritage (3/4)

Par François Peneaud le 10 août 2005                      Lien  
Du côté des comics, la bombe atomique et ses effets sont présents depuis longtemps. Que ce soit comme grande peur de l'extinction, comme décor d'histoires post-apocalyptiques ou comme prétexte à diverses idées de science-fiction... mais aussi comme source de pouvoirs pour de nombreux personnages de super-héros.

6 août 1945 : La bombe en héritage (3/4)Dès les années 50 et jusqu’à récemment, les récits d’anticipation mettant en scène un monde post-apocalyptique se sont multipliés.
Bien évidemment, les EC Comics, anthologies à thèmes variés qui furent un des grands moments de la bande dessinée américaine des années 50, furent de la partie. On ne compte pas les histoires se situant avant, pendant ou après une guerre atomique.

Voyez par exemple la couverture du Weird Science 5 de fin 1950, dessinée par Al Feldstein, collaborateur régulier des EC. Un groupe de scientifiques partent fonder une nouvelle civilisation alors que la Terre est dévastée par une guerre atomique, un énorme champignon en plein sur les USA illustrant le sort de la planète.

Des futurs qui déchantent

Du côté de chez DC, les scénaristes n’étaient pas en reste, mais à la différence de ceux de EC, ils pouvaient écrire des séries, et pas seulement des histoires à chute de quelques pages. The Atomic Knights, série publiée dans Strange Adventures entre 1960 et 1964, est un excellent exemple d’une bande aujourd’hui un peu oubliée, mais qui montrait bien qu’à l’époque, les super-héros n’étaient pas - et de loin - le genre quasi-exclusif de comics grand public qu’ils sont devenus. Le scénariste John Broom (co-créateur en 1959 de la version la plus célèbre du personnage de Green Lantern) et le dessinateur Murphy Anderson (connu surtout comme encreur de Gil Kane et Curt Swan) créent un monde post-apocalyptique où la Terre a sérieusement souffert d’une guerre atomique (qui s’est déroulé en 1986 !), et où les humains survivants essaient de se refaire une vie, au milieu de diverses mutations, bien sûr monstrueuses. Les Chevaliers Atomiques sont de simples humains portant une armure qui les protègent des armes à énergies utilisées alors. Il faut noter qu’au milieu de divers éléments fantastiques, la série montre le retour progressif à la civilisation, agraire tout de même.

Une autre série DC, bien plus connue, se passe dans un monde détruit : Kamandi, créé par Jack Kirby en 1972 et dont une bonne partie a jadis été traduite en magazine par Arédit, est très inspirée par La Planète des Singes, mais avec le délire SF dont était coutumier Kirby. Dans un futur où la civilisation humaine avait été dévastée par un cataclysme où la guerre atomique avait joué un rôle, un garçon survit parmi des animaux devenus anthropomorphes et intelligents. De l’aventure simple mais très divertissante, pour laquelle Kirby assura scénario et dessin sur une trentaine de numéros. Il est amusant de remarquer que ce futur fut ensuite lié à celui des Atomic Knights, dans la grande tradition des comics américains de DC ou Marvel, où absolument tout est lié.

Du côté des oeuvres plus personnelles, plusieurs créateurs rivalisent d’imagination dans le domaine : Jack Katz, un ex-dessinateur pour Marvel, se lance dans l’autoédition en 1974 (ce qui était vraiment rare à l’époque), pour ce qui reste comme l’un des tous premiers graphic novels, malheureusement bien moins connu que les travaux de Will Eisner. The First Kingdom est une saga de presque 800 pages qu’il mit 12 ans à terminer. Katz utilise lui aussi l’idée d’un cataclysme nucléaire pour raconter le futur de l’humanité [1], dans un mélange de science-fiction et de fantastique débridé.

Deux séries des années 80 marquèrent par leur qualité : American Flagg, publiée à partir de 1983 chez First Comics, est le bébé d’Howard Chaykin, auteur à l’humour caustique et aux mises en pages d’une inventivité et d’une énergie peu communes. La série se situe en 1996, après que les têtes nucléaires aient volé bas et que le monde se soit reconstruit sur de nouvelles bases. Chaykin en profite pour mettre en place un nouvel équilibre géo-stratégique, se moquer aussi bien du communisme que du capitalisme, et emmener son héros, une sorte de flic/shériff, dans des aventures qui fleurent bon la politique fiction.

Tim Truman a de son côté écrit Scout, publiée par Eclipse Comics entre 1985 et 1987, dans laquelle un guerrier apache se bat pour sa survie dans un monde lui aussi post-apocalytique mais en grande partie réaliste (en dehors de quelques monstres mythologiques indiens).
Ces deux séries ont marqué l’esprit de leurs lecteurs par la singularité de la vision de l’auteur, et l’utilisation de mondes d’après la bombe se plaçait bien dans la dernière décennie de la guerre froide, qui verrait la naissance de deux chefs-d’oeuvres de la BD anglo-saxonne sous la plume du scénariste Alan Moore.

Débuté dans le magazine Warrior en 1982, V For Vendetta (co-créé par David Lloyd) se tient dans une Angleterre d’un futur proche dans lequel une guerre atomique limitée a isolé le pays, qui est tombé sous la botte de fascistes. Moore a d’ailleurs depuis reconnu que l’idée d’une guerre atomique "limitée" était absurde. En fait, la bombe n’est utilisée que pour justifier le changement de régime du pays, et n’a pas d’effet en dehors de cela. Autrement plus importante est l’ombre de la guerre nucléaire dans la mini-série de 1986 Watchmen (Dave Gibbons aux dessins). Le monde est au bord d’une guerre nucléaire américano-russe, la fameuse horloge tachée de sang qui orne chaque numéro se rapprochant inexorablement de minuit. Watchmen est une série parfaitement ancrée dans son temps, à l’époque où l’Occident pensait que le plus grand danger qui le menaçait était celui d’une guerre nucléaire. Les peurs collectives évoluent elles aussi...

Un coup d’atome et ça repart

Les comics sont surtout connus pour leurs super-héros - même si les quelques exemples qui précèdent montrent qu’ils proposent bien d’autres choses.

Dès fin 1945 apparaît un personnage aux pouvoirs liés à l’atome. Le magazine du bien nommé Atoman ne connut que deux numéros, écrits et dessinés par Jerry Robinson (longtemps dessinateur de Batman, et co-créateur du Joker et de Robin). Mais il préfigurait les personnages aux pouvoirs liés à l’énergie, comme Captain Atom, créé par Joe Gill et Steve Ditko en 1960 pour Charlton [2], et dont une version modernisée peut encore être vue dans le dessin animé Justice League diffusé actuellement aux USA et en France, ou Firestorm (DC, 1978, Gerry Conway et Al Milgrom), qui peut modifier la matière en la contrôlant au niveau atomique. Il y eut même des funny animals atomiques, chez Charlton en 1953 avec Atomic Mouse, Atomic Rabbit et Atom the Cat.

Mais les effets de l’énergie atomique allaient se faire sentir de façon bien plus profonde chez Marvel dès ses débuts. En 1962 apparaissent Spider-Man et Hulk, co-créés par Stan Lee avec Steve Ditko et Jack Kirby. Spider-Man est un jeune homme piqué par une araignée radioactive, Hulk un scientifique irradié par une bombe (gamma, certes, mais une bombe tout de même). Daredevil, lui aussi irradié par un composant radioactif, est né en 1964. Mais c’est en 1963 qu’apparaissent des personnages d’un genre nouveau : les mutants. Les X-Men sont tous des enfants de parents exposés à l’énergie atomique, civile celle-là. Cette explication des mutations subsistera pendant longtemps, jusqu’à ce qu’elle soit remplacée dans les années 70 quand la série défunte fut relancée. Les origines de Hulk, Daredevil ou Spider-Man ne furent par contre jamais reniées, même si elles purent être aménagées.

Les pouvoirs d’origine atomique ne sont plus à la mode, de nos jours. Trop simplistes, probablement. Il n’empêche qu’entre ces mondes d’après la bombe et les super-héros liés à l’énergie atomique d’une façon ou d’une autre, on voit bien les deux types de relation que nous entretenons avec l’énergie qui fait briller le soleil : la peur, et la fascination. Comme toujours, les fictions, aussi populaires et peu raffinées soient-elles, ne sont que le reflet de nos sentiments mitigés.

LIRE L’ARTICLE PRECEDENT 2/4

LIRE L’ARTICLE SUIVANT 4/4

(par François Peneaud)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Nos remerciements à Jean-Paul Jennequin pour son aide précieuse.

Entretien avec Keiji Nakazawa..

La bombe en héritage partie 1/4.
La bombe en héritage partie 2/4.
La bombe en héritage partie 3/4.
La bombe en héritage partie 4/4.

Notre chronique de "La Bombe".

[1La série est en cours de réimpression.

[2Et qui servit de modèle au Dr Manhattan dans Watchmen.

 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR François Peneaud  
A LIRE AUSSI  
Actualité  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD