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A Bruxelles, les indépendants attendent les capitalistes de l’édition le couteau entre les dents

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 8 avril 2005                      Lien  
Serions-nous à l'aube d'une révolution dans la BD ? Les têtes des patrons de Média-Participations, de Glénat et de Soleil finiront-elles « à la lanterne » ? C'est ce qui transparaît dans le communiqué du distributeur Aden pour annoncer le débat intitulé « Edition et concentration » qui aura lieu à Bruxelles à l'occasion de l'opération « Littératures pirates » samedi prochain.

« Les hordes déchaînées de nazillons qui brûlaient des livres dans les années trente étaient de vulgaires artisans, dit en substance le communiqué. Etre éditeur aujourd’hui ne nous épargne pas de devoir affronter les mêmes démons car l’autodafé qui nous consume aujourd’hui semble bien plus efficace, plus sournois. La transformation du livre, de tous les livres, en marchandise. Les marchands qui aujourd’hui dominent le livre sont les inquisiteurs modernes. En confinant le livre à un rôle purement commercial, ils allument le bûcher. Ils éditent des millions de livres qui inondent les espaces des librairies. Leurs armées tirent à coups de pub, de copinages dans les grands journaux. Conséquences : la dissidence éditoriale est écrasée et la bibliodiversité menacée.  » Wow ! « bibliodiversité », joli mot. L’altermondialisme a touché l’édition, et le moins que l’on puisse dire, c’est que le discours est offensif : à les entendre, les capitalistes de l’édition seraient du même acabit, sinon pire, que des nazis. Le "débat" qui aura lieu le samedi 9 avril prochain à Bruxelles, dans le cadre de la manifestation des « Littératures pirates promet d’être chaud.

Le manifeste continue de plus belle : « Cette armée n’hésite pas, pour achever sa victoire, à commercialiser la critique même du commerce et donc du capitalisme pourvu qu’elle rapporte. De fusion en fusion, on peut voir, sans que cela suscite révolte ou critiques majeures, un grand marchand d’armes devenir propriétaire du très beau fond des Editions Maspero (Malcolm X, Fanon, Guevara, Guérin, Lissagaray,...) et le revendre sans sourciller au Baron Seillière, ex patron des patrons français et sans doute grand révolutionnaire frustré. »

Un débat ou un combat ?

Décrivant les participants au débat, Gilles Martin en remet une couche. André Schiffrin ? « Il y a quelques années, André Schiffrin publiait à La Fabrique un livre salutaire qui se voulait un avertissement au monde de l’édition française : "L’édition sans éditeurs."[...] Cinq ans après, il devra écrire "le contrôle de la parole" pour constater que la France elle-même est atteinte par cette sinistre dynamique.  » J-C Menu ? Dans « ... "Plates-Bandes", il apporte une dimension supplémentaire au problème dénoncé par Schiffrin. Derrière le masque jouissif du pamphlet, se cache une étude des stratégies des grands groupes pour phagocyter le travail créatif des maisons indépendantes et le recracher sous forme indigeste de marchandises "normalisées". Son livre est un grain de sable calibré pour enrailler la belle mécanique à coups de baffes dans la gueule. » Thierry Van Hasselt ? « L’éditeur du Frémok nous parlera des conséquences de l’abandon par les pouvoirs publics de la création et de la recherche en matière graphique, littéraire,... Le libéralisme sauvage des intérêts privés et le doux ronron administratif des pouvoirs publics semblent parfois se donner la main pour manger à la même sauce l’édition qui fait pourtant partie intégrante de la vie culturelle d’une société. »

Indé la Fronde...

Quant à Gilles Martin lui-même, il « exposera la stratégie qu’il a développée pour contrer les tendances liberticides du système.[...] Le but : rassembler des éditeurs de même philosophie politique, ou publiant des livres "dissidents" (que ce soit dans le domaine graphique, de la littérature ou évidemment des essais) afin de peser d’un poids commun et collectif sur les librairies pour grignoter des espaces au rouleau compresseur de l’idéologie dominante. » Le but du débat ? Proposer des « Pratiques alternatives, résistances et propositions pour la sauvegarde d’une édition indépendante ». « Face aux constats mentionnés ci-dessus, dit le communiqué, la résistance s’organise. On pense à Schiffrin qui propose par exemple de créer le statut d’éditeur sans but lucratif... Un débat tentera de dégager des propositions concrètes pour alimenter la résistance à l’ordre éditorial actuel. Qu’on se le dise, le 9 avril, c’est le début de la Fronde. Les absents auront tort. »

Une « Fronde » qui touche la BD ?

Ce débat concerne la BD, sans doute, puisque Menu figure parmi les invités. Ainsi donc, dans Plates-Bandes, la pensée de Menu s’articulerait sur l’altermondialisme ambiant ? Pourtant, Mourad Boudjellal, dans le dernier numéro de BDMag, l’annonçait fini : « Il a essayé d’être une espèce de Che Guevara fédérateur dans ce milieu des indépendants dans lequel il ne représente quasiment rien  ». Ce pamphlet, selon Boudjellal, est « un sursaut pour dire « Attention j’existe ! » Face aux nazillons évoqués par le communiqué d’Aden, Boudjellal disait de son côté dans BDMag, notamment en constatant la préférence apparente de Menu pour le contenant plutôt que pour le contenu, la forme du livre, plutôt que le fond : « ...on est dans des théories fascistes ». Faisant remarquer que Menu traîne Soleil dans la boue pendant plus de la moitié de l’ouvrage avec un acharnement quasi pathologique, Boudjellal concluait : « il est sur la ligne blanche. »

Pour l’heure, l’usage de l’insulte de part et d’autre, « nazillon » d’un côté, « fasciste » de l’autre, a l’air d’être le seul point commun entre les deux opposants, signe que le débat n’est pas très relevé. Alors que Mourad Boudjellal proposait à Menu un débat "entre hommes", force est de constater qu’à Bruxelles, il n’a pas été invité.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Gilles Martin, patron de la maison de distribution belge Aden. Photo : D. Pasamonik.

 
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