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À Cartoon Forum 2012, Du Petit Livre Rock à Pico Bogue, la BD s’anime

Par Laurent VALIERE le 20 septembre 2012                      Lien  
La 22e édition du Cartoon Forum s’est achevée vendredi dernier. Cet événement réservé aux professionnels de l’animation permet aux producteurs de présenter leurs projets de séries et de chercher ouvertement des financements, au gré des 87 séances qui présentent pitches, teasers ou carrément pilotes de séries devant 800 participants, chaînes de télévision de toute l’Europe, producteurs et investisseurs. Quelques adaptations BD étaient du lot...

De plus en plus de producteurs de films ou documentaires viennent avec des projets d’animation. C’est le cas de Kidam, habitué au documentaire musical, qui présente « Yeah Yeah Yeah Yeah », ambitieuse histoire du rock et de la culture rock en noir et blanc et rouge, très graphique, conçue par Arthur Qwak vétéran pas si âgé de l’animation, et par ailleurs auteur de BD (Le Soleil des loups, Vents d’Ouest), qui a travaillé sur « Astérix », « Tintin », et créé « Chasseurs de dragon ».

À Cartoon Forum 2012, Du Petit Livre Rock à Pico Bogue, la BD s'anime
Le Petit Livre du Rock d’Hervé Bourhis
Éditions Dargaud

Hervé Bourhis : « Yeah Yeah Yeah Yeah »

Pour adapter la bande dessinée de Hervé Bourhis, Le Petit Livre Rock (Éditions Dargaud), il a choisi de conserver le trait et la verve du dessinateur. Chaque épisode de 7 minutes retrace en une forme de "dessin de presse animé" une année du rock : dans une sorte de banc-titre animé, on réutilise, interprète, sample, anime des photos célèbres, pochettes de disques, extraits de films ou symboles : de la bouche pulpeuse des Rolling Stones, à la pomme des Beatles, de la photo de John Lennon au lit avec Yoko Ono à celle de la jeune Vietnamienne courant nue, brûlée au napalm, en passant par des extraits parodiés de scènes du « Salaire de la peur ».

Une voix off en raconte l’année. Le pilote est efficace et le graphiste sait aussi trouver des raccourcis : pour évoquer « Je t’aime moi non plus », la carte de la Grande-Bretagne se transforme en une Jane Birkin qui vient se lover sur la Bretagne devenue nez de Serge Gainsbourg... Un documentaire animé qui nous promet 5 à 10 stars du rock par épisode, 250 tubes du rock. Le plus cher sera sûrement de payer les droits des centaines d’extraits de disques utilisés.

Open Space de James
Éditions Dargaud

James en son Open Space

Les projets de séries pour « ado-adultes », pourtant réputées peu appréciées des chaînes, se sont faits plus nombreux cette année. Le producteur de films et documentaires Zadig Production a présenté le teaser, financé par Canal +, d’un vrai polar en animation de 6 épisodes de 52 minutes qui se déroulerait à New York dans un style à la « Léon », et qui se veut un mélange de « Valse avec Bachir » et des films de Ralph Bakshi. Kawanimation a présenté la deuxième saison de « It Must be » : dessiné dans un style résolument enfantin, les aventures de Jean Kevin sont trash, sexuelles et délibérément violentes avec, comme chez La Fontaine, une morale à la fin. La première série créée pour le web, diffusée sur Facebook, Dailymotion et youtube, a convaincu les chaines publiques et France 4 de diffuser ces strips de 1 minute au budget imbattable.

Même Dargaud s’y met avec un projet d’adaptation de la série « Dans mon Open Space » de James qui raconte dans un style anthropomorphique les méandres de la vie au bureau d’un jeune stagiaire prénommé Hubert, des terribles négociations de salaires aux très utiles pauses café.

Déjanté

La tendance ado-adulte semble même de plus en plus prendre ses aises sur le petit écran. Quitte à produire, comme les Danois, de véritables ovnis animés. Ainsi, leur premier projet présenté est une sorte de Bataille des planètes crypto-gay façon YMCA croiséé d’Heroic Fantasy : « Space Stallions » qui revisite les séries des années 1980 avec des super-héros aux combinaisons ultra-moulantes blanche et or qui s’élancent dans les airs en laissant derrière eux une trainée de fumée arc en ciel, dans un décorum mythologique des plus kitschs, en particulier lorsque le héros blond moustachu s’adresse à la statue d’un cheval galopant, sur fond de musique disco.

Parmi les projets, ce dessin animé danois disco-kitsch.

Autre projet danois décoiffant : « Mik et Michael », situé à North Eroka, parodie de la Corée du Nord, où un dictateur kidnappe un Occidental branché pour faire bouger le pays et affirmer son pouvoir sur le peuple et sur... les femmes…

Coté ados, « Autour de minuit », le producteur du court métrage oscarisé « Logorama » et de « Babioles » diffusé depuis la rentrée sur Canal +, a présenté un projet de série autour d’un adolescent de 13 ans mal dans sa peau, assez bien observé. Seul personnage anthropomorphique de la série, « Steve » est un ornithorynque en 3D, confronté à un monde bien réel. Steve, sans ami, n’a qu’une webcam placée dans sa chambre mal rangée à qui il se confie. Sortir le soir, savoir parler à une fille, avoir un téléphone portable…, autant de thématiques que la série compte bien aborder à hauteur d’ado : on ne voit que les pieds des acteurs réels autour de l’animal.

Batman et Les Simpsons sont évidemment passés par là, ce qui est une bonne affaire pour la BD car l’ado-adulte, surtout depuis ces dernières années, est son domaine d’excellence.

Pico Bogue s’anime

Parmi les nombreux projets d’adaptations de bandes dessinées présentés cette année à Cartoon Forum, il en est un qui s’est fait remarquer. Didier Brunner, le producteur de « Kirikou » et des « Triplettes de Belleville » avait déjà adapté pour la télévision les aventures de « Tchoupi » et proposera bientôt son « Ernest et Célestine » au cinéma. C’est un grand ami de la bande dessinée.

Comme de juste, il a craqué pour les aventures d’un enfant de 10 ans bien d’aujourd’hui. « Pico Bogue » arbore une grosse tignasse rousse. Il est malin et est, lui aussi, à l’âge où on commence à douter de l’autorité de ses parents. Le personnage créé par Alexis Dormal & Dominique Roques (éditions Dargaud) est animé avec malice. Vif, le pilote prend la forme de plusieurs sketches de 45 secondes, à la façon de « Un gars, une fille », et décline sur cinq minutes une thématique différente, comme « Je ne veux pas prendre mon bain ». Résultat concluant.

Pico Bogue crève l’écran

Côté jeunesse, outre les dessins animés traditionnels « Pre School » en images de synthèse destinés aux moins de 6 ans dont les héros sont, au choix, des jouets, des monstres colorés animés sortis de « Monstre et compagnie » et autres éléphanteaux avec leur peluche, outre les séries de sport à la sauce urbaine et moderne, comme « Football Extrême » ou « Powerball », certains projets étaient particulièrement audacieux.

Deux acolytes de Michel Ocelot (dont nous trouverons bientôt l’interview sur ActuaBD), amoureux de son naturalisme, poussent le bouchon encore plus loin. Anne-Lise Koehler sculpte des animaux avec du papier mâché, de préférence le papier bible de la collection La Pléiade ou des feuilles de partition, et recrée, grandeur nature, un lynx, un crapaud, un oiseau ou un champ de coquelicots et l’herbe qui va autour. Chaque épisode de la série « Bonjour le monde », réalisée par Éric Serre, tire le portrait en cinq minutes d’une espèce différente de sa naissance à l’âge adulte, avec en voix off une discussion entre l’animal et un confident. C’est léché et osé. Chaque marionnette est une sculpture fragile et grandeur nature. On peut presque lire à l’écran les lignes du roman à partir duquel il est composé.

Les étonnants animaux en papier mâché de Anne-Lise Koehler pour "Bonjour le monde"

Tout aussi poétique, « Haïku » du réalisateur toulousain Christophe Quéval qui s’est associé au compositeur Thierry Huillet, lequel a eu l’idée de composer de la musique de chambre sur des haïkus. À partir de cette partition musicale, Christophe Quéval invente ses propres histoires et fait appel aux décors fragiles signés Stéphanie Yang-Chung.

Dans cet univers empreint de taches qui rappellent le dessin japonais, Christophe Quéval sait mettre en scène des animaux, la nature, mais aussi des personnages humains. Le réalisateur qui a fait des expériences en plongeant de l’encre dans l’eau et en utilisant la paraffine sur le papier souhaite créer des haïkus avec les outils du XXIe siècle : l’image, le son, le mouvement. La poésie qui ressort du premier pilote présenté, la musique évocatrice , les couleurs, l’élégance, la sobriété, le jeu des ombres et des couleurs lui ont fait réussir son pari ambitieux. Reste à savoir si cela peut intéresser une chaîne de télévision.

On terminera par les régionaux de l’étape promis à un beau succès : Maurice, le pingouin qui se prend pour un tigre et qui a recueilli un poisson tigré ; Fred, le phacochère crooner qui passe son temps en concert et ne parle qu’en chantant ; Gilbert, le tarsier, plus petit animal du monde, asocial mais cerveau de la bande ; Batricia, une chauve-souris qui a peur du noir, éperdument amoureuse de Gilbert…

On les appelle «  Les As de la jungle ». Ces « Madagascar » français font plutôt penser à Scoubidou et à la bande dessinée « Les 4 As » de François Craenhals & Georges Chaulet et doivent à chaque épisode résoudre un problème ou sauver un animal en danger. Pour ce faire, ils se transportent à des travers des souterrains et des couloirs inspirés par Goldorak : beaucoup de second degré, des dialogues de sitcom, des personnages très bien définis. La série produite par la société toulousaine TAT a déjà été diffusée sur les chaines publiques sous la forme d’épisodes de 1’30 au ton absurde. Cette fois, la société espère créer des épisodes de 11 minutes, toujours en images de synthèse.

Désormais, une présentation à Cartoon Forum ne se termine plus sans une déclinaison « à 360° » de la série : les producteurs ont intégré la notion de fragmentation du public ; le nombre croissant de chaînes les oblige à préempter, dès la genèse de la série, son exploitation et ses personnages sur tous les écrans possibles, du smartphone à la console de jeu, en imaginant toutes sortes de déclinaisons susceptibles de conforter le financement.

Les chaînes de télévision restent les principaux acteurs courtisés lors de cet événement. Les chaînes françaises comptent pour plus d’un quart des investissements et France Télévision qui diffuse la moitié des œuvres produites en France reste le premier investisseur. Les producteurs d’animation se targuent aujourd’hui de peser sur le commerce extérieur puisque si l’animation représente 10% de la production audiovisuelle française, elle génère désormais un tiers des ventes à l’étranger.

(par Laurent VALIERE)

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2 Messages :
  • "un vrai polar qui se veut un mélange de « Valse avec Bachir qui raconte dans un style anthropomorphique les méandres de la vie au bureau d’un jeune stagiaire prénommé Hubert, des terribles négociations de salaires aux très utiles pauses café."

    Euh ? Un polar sur la vie de bureau ? Il doit manquer une phrase...

    Répondre à ce message

  • Il serait bon de préciser : Yeah Yeah Yeah Yeah est coproduit par Enormous Pictures (dont je suis le gérant et producteur), qui est à l’origine du projet et s’est occupé du développement depuis le début. Kidam est le coproducteur majoritaire sur ce projet depuis cet hiver.
    Par ailleurs, Enormous Pictures développe aussi une deuxième adaptation de BD, Le fond du bocal de Nicolas Poupon, également présenté au cartoon Forum.

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