Avec la parution de son quatrième volume, Aya de Yopougon de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie (Gallimard, collection Bayou), distingué dès 2006 par le Prix du premier album à Angoulême [1], apparaît de plus en plus comme une évidence, une grande œuvre chorale qui fait découvrir l’essence africaine avec complexité et intelligence, mais surtout avec une vitalité sans égale qui recombine la tradition avec les codes importés du monde occidental.
Chez Abouet, la chronique sociale est précise, documentée, imprégnée de comédie (on pense à Albert Cohen ou à Pagnol), écrite dans une langue telle qu’on la parle en Afrique et qui surprend par son invention, sa couleur et son authenticité. Ce grand succès de librairie (déjà 140.000 exemplaires vendus) qui doit également au dessin discret mais en même temps très habile du Parisien Clément Oubrerie, devrait se confirmer avec ce quatrième tome qui met en scène Innocent, « coiffeur pour dames stylées », venu à Paris pour y faire carrière. Il ne tardera pas à découvrir que la vie à Paname est « dure comme un caillou ». Les aller-retour entre l’Europe et l’Afrique renforcent encore davantage l’effet de décalage de ce récit passionnant truffé de rebondissements et de scènes cocasses.
La saga du quartier de Youpougon ne devrait pas s’arrêter là puisqu’un dessin animé devrait en être tiré dont le script a été présenté au dernier Festival de Cannes et dont le producteur n’est autre qu’Autochenille productions, la maison de prod de Joann Sfar et de… Clément Oubrerie.
Le « Pétillon gabonais »
Autre success story, celle du dessinateur gabonais Pahé dont La vie de Pahé (2 volumes) et la série Dipoula (avec Sti au scénario) sont parus chez l’éditeur suisse Paquet. Né à Bitam dans le nord du Gabon, Pahé, de son vrai nom Patrick Essono Nkouna, est d’abord un dessinateur qui se taille une réputation de caricaturiste dans son pays en animant des journaux satiriques comme La Griffe, Le Moustik ou La Cigale. De passage au Festival de la Caricature de Yaoundé au Cameroun, l’éditeur Pierre Paquet tombe sur ses dessins et demande à le voir. Mais il est au Gabon. Léontine Baneni, l’organisatrice du festival, lui demande de revenir… l’année suivante. Notre éditeur s’exécute et rencontre enfin Pahé qui lui propose les aventures de Dipoula un enfant albinos rejeté aussi bien par les noirs que par les blancs. Paquet juge le scénario un peu trop orienté vers le public gabonais et suggère de lui apporter le coup de main d’un scénariste. Diego Aranega, Jamel Debouzze et Omar (si, si !) sont pressentis, mais l’affaire ne se noue pas. C’est finalement Sti (Les Rabbit) qui s’y colle.
Entre-temps, Pierre Paquet prend le temps de découvrir l’incroyable vie de son dessinateur. Il lui suggère d’en faire une BD. C’est La Vie de Pahé, « un mec qui a trop de chance » (trois albums, dont le dernier évoquant « la vie de Pahé avec les gonzesses » devrait sortir l’année prochaine). L’album tire l’œil de la productrice Anne Evrard de Galaxy 7 qui en acquiert les droits au Forum international Cinéma & Littérature de Monaco. Cela deviendra un dessin animé de 78 épisodes de 7 minutes sur France 3 à partir du second trimestre 2009, La vie de Pahé devenant Le Monde de Pahé car le récit original était destiné aux ados et aux adultes, tandis que sa version télévisée est destinée aux petits. Pahé ne naît plus à Bitam, mais en France. En revanche, les scénaristes de la production ont passé un peu de temps au Gabon pour s’imprégner de la réalité africaine. Authenticité oblige.
Cette semaine, Pahé était au prix RTL. Je le présente à René Pétillon le dessinateur vedette du Canard enchaîné que Pahé idolâtre, en lui disant : « C’est le Pétillon gabonais ! ». Rires. Florence Cestac est à côté d’eux qui trouve d’entrée ses « gros nez » sympathiques. Je prends la photo. Pahé est aux anges et promet de la mettre sur son blog. Le dessinateur n’a pas fini de faire entendre parler de lui. La Caisse d’Épargne l’a sélectionné pour le « Gang des talents » par l’entremise d’un jury de personnalités (dont Marguerite Abouet) présidé par Luc Besson. Cela se concrétisera par une mise en avant de l’auteur gabonais pendant toute l’année. « trop chanceux », le Pahé.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Le blog de Clément Oubrerie (et de Marguerite Abouet)
En médaillon : Dessin de Pahé (C) Paquet
[1] Il n’y avait pas encore les absurdes et arbitraires « Essentiels ».
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