Albums

Adieu l’Adèle, je t’aimais bien…

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 octobre 2022                      Lien  
« Le Bébé des Buttes-Chaumont » est le dixième et le dernier des "Adèle Blanc-Sec" de Tardi. Et vraiment le dernier si l’on en croit l’artiste qui a tenu à l’écrire noir sur blanc à l’adresse des successeurs possiblement indélicats : « Gare aux faussaires qui seraient tenté(e)s d’y donner suite !!! » Ainsi s’achève une saga qui, parodique à ses débuts, a vécu des « Aventures Extraordinaires » peuplées de ptérodactyles, de savants fous, de momies et de monstres dans une Belle Époque steampunk qui déconstruisait les standards de l’aventure à la Jules Verne ou à la Hergé. Parodique, elle le reste jusqu'au bout.

Dans Adèle Blanc-Sec, nous ne sommes pas dans un livre d’Histoire, et pourtant, sa glaise-même y fait référence en permanence. « Vous estez deuement aduerty » dirait Rabelais. Historiquement en effet, nous sommes, dans les aventures d’Adèle Blanc-Sec, entre 1911 et 1922, entre le moment où prospèrent les anarchies et celui de la naissance des fascismes. Avec entre les deux, une tuerie sans nom qui annonce d’autres tueries tout aussi innommables : la guerre de 14. Adèle a effacé cette parenthèse de son cerveau, laissant ce morceau de choix au Céline du Voyage au bout de la nuit et à Tardi accessoirement, mais elle sous-tend tout le discours. Commencées dans « la Belle Époque », les péripéties de notre aventurière s’achèvent donc dans les « Années folles ». Deux époques embellies par l’histoire qui ont cependant enfanté deux guerres mondiales et notre monde moderne.

Adieu l'Adèle, je t'aimais bien…

Publié directement en albums par Casterman en 1976, Adèle Blanc-Sec est une sorte de synthèse des obsessions et des goûts esthétiques et politiques de Tardi : le Paris hausmanien et les feuilletons de Jules Verne au service d’une dénonciation du capitalisme bourgeois, la Der des Der et le pourrissement idéologique de la Troisième République, le romantisme anarchiste Turn of the Century et le combat révolutionnaire pour les classes laborieuses, un féminisme « soixante-huitard » assumé et militant, enfin, un pincée de fantastique lovecraftien et une sauce Ecole belge d’Hergé et de Jacobs -produit de l’esthétique fasciste si l’on en croit Herr Seele- pour lier tout cela avec détachement, ironie et humour.

Une œuvre charnière

L’œuvre de Tardi est à la fois fascinée, amusée et désabusée. Elle naît à un moment-clé de l’Histoire de la BD. Tardi dessine ses premiers traits pour Pilote au début des années 1970, en compagnie de Pierre Christin. La bande dessinée adulte -et pas seulement « pour adultes »- vient d’éclore : Charlie Mensuel (1969), L’Echo des Savanes (1972), Métal-Hurlant, Fluide Glacial (1975) et (A Suivre) (1978).

Tardi est l’enfant de ces révolutions, mais aussi de ce mouvement de la « Ligne claire » instillé par Joost Swarte qui concrétise une forme de reconnaissance des classiques belges par une relecture critique, notamment politique, de ce corpus alors triomphant, « pour mieux le pervertir de l’intérieur » comme le théorisait François Rivière en écrivant Le Rendez-vous de Sevenoaks.

D’Hergé, Tardi retient la lisibilité, notamment en récupérant son lettrage en bas de casse et une certaine forme de caricature qui s’alimente aussi à des graphistes comme Gus Bofa ; de Jacobs, il adopte les tons en camaïeu que l’ermite du Bois des Pauvres avait conçus pour Hergé. À cela s’ajoute la publication chez Casterman, l’éditeur historique de Tintin, du vivant même du maître.

Folies en folie

Ce dernier album est bouffon au possible. Tout y va à vau-l’eau. On y visite Paris de long en large jusque dans le titre -parodie du roman-feuilleton : Le Bébé des Buttes-Chaumont- dans une sarabande d’autocitations, y compris graphiques. Tous les personnages-clés de la série y apparaissent dans un récit choral à la Tintin et les Picaros. Si l’on ne s’embarrasse pas de vraisemblance, c’est d’une drôlerie sans borne.

Au fond, cet album est littéralement comme les Buttes-Chaumont, dominé par une folie [1] Le mot fait image (des momies à l’Académie, la vacherie des policiers,…) et le détail apparaît dans toute sa trivialité.

Ce qui frappe, c’est la qualité impeccable des images. La technique de Tardi est au point, efficace : des profils et des faces le plus souvent, pourquoi s’embarrasser ?, des vues de Paris aux perspectives et aux ambiances magnifiques, la finesse des caricatures et des décors, la facétie des jeux narratifs et enfin la cocasserie des situations, comme ces Vaches-qui-rit qui explosent d’un coup de Fly-Tox.

Évidemment que Tardi n’en a plus rien à battre de cette Adèle portée toutes ces années par un genre de bande dessinée vieillissant -la série commerciale « à la papa »- qu’il a lui-même démonétisé par ses autres chefs-d’œuvre. Mais la tendresse pour cette héroïne revêche et ses paysages magnifiques est toujours intacte. On la quitte avec regret.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9782203013131

[1La folie gréco-romaine, inspirée du Temple de la Sybille de Tivoli, surplombe le parc sur un promontoire. On la voit de la fenêtre de l’appartement d’Adèle Blanc-Sec.

Adèle Blanc-Sec Casterman ✏️ Jacques Tardi à partir de 13 ans Aventure Humour France
 
Participez à la discussion
20 Messages :
  • Adieu l’Adèle, je t’aimais bien…
    16 octobre 2022 13:38, par denis

    Un album vide et creux qui n’est plus qu’une parodie de parodie sans queue ni tête. Je me suis ennuyé ferme. Adèle Blanc-Sec ne méritait pas de finir comme ça :(

    Répondre à ce message

    • Répondu par Laurent Colonnier le 16 octobre 2022 à  16:34 :

      Tardi ne l’a pas fini Adèle, il l’a achevée, elle était finie dès le 4e album, Momies en folie, on voyait déjà qu’il n’en avait plus rien à battre, tout le reste était superflu.

      Répondre à ce message

      • Répondu le 16 octobre 2022 à  19:53 :

        Tardi aurait du faire comme vous Colonnier, se recycler dans le commentaria

        Répondre à ce message

        • Répondu par Laurent Colonnier le 16 octobre 2022 à  20:53 :

          Il a fait mieux, il a fait d’autres séries et one-shots (et je vous e...).
          Une série n’attend pas nécessairement une fin, il faudrait que les complétistes arrêtent de réclamer d’autres Isaac le pirate ou Les Olives noires, c’est bien plus intéressant quand les auteurs font les livres qu’ils ont vraiment envie de faire.

          Répondre à ce message

          • Répondu le 17 octobre 2022 à  16:32 :

            Me fait toujours marrer les artistes aigris qui se permettent de juger des pointures. Essayez de faire le dixième de ce qu’à fait Tardi avant de vous permettre d’émettre une opinion. Franchement, un peu d’humilité. Il pèse quoi dans l’Histoire de la Bande Dessinée le père Colonnier ? que dalle !

            Répondre à ce message

            • Répondu le 17 octobre 2022 à  20:04 :

              C’est incroyable ce raisonnement. Ce n’est pas parce que Colonnier n’a pas la même carrière que Tardi qu’il n’a pas le droit de donner un avis. D’autant plus qu’il s’agit visiblement d’un avis de fan. Selon vous, donc, il faut avoir un succès équivalent pour avoir le droit de parler d’une star de la Bd ? C’est fou de venir au secours de Tardi - qui n’en a pas besoin - en employant des arguments de droite !

              Répondre à ce message

              • Répondu par luc le 18 octobre 2022 à  05:43 :

                100 % d’accord avec laurent colonnier. Cet album est vraiment trop mauvais. On a l’impression que Tardi s’en fout. Histoire indigeste, dessin bacle....Je m’en vais relire les 4 premiers, ca c’est du tout bon.

                Répondre à ce message

                • Répondu le 18 octobre 2022 à  08:49 :

                  Le scénario est inepte, il s’agit seulement de rattacher tous les bouts qui trainent et même en relisant tous les tomes précédents, on n’y comprend rien. Mais pas d’accord sur le dessin, il n’est pas bâclé du tout, il est superbe. Graphiquement, Tardi vieillit très bien.

                  Répondre à ce message

              • Répondu le 18 octobre 2022 à  09:50 :

                Je suis au moins d’accord sur un détail avec vous : Tardi et Colonnier n’ont pas la même carrière.
                Il est libre de donner son avis mais quel intérêt ?

                Répondre à ce message

                • Répondu le 18 octobre 2022 à  15:26 :

                  Mais Tardi n’a pas la même carrière que Colonnier dans le dessin de presse et la peinture. Qui dans ces commentaires a la carrière de Tardi pour pouvoir commenter ?

                  Répondre à ce message

            • Répondu le 18 octobre 2022 à  15:58 :

              En lisant ce genre d’attaque ad nominem, on comprend pourquoi la plupart des auteurs préfèrent intervenir anonymement .

              Répondre à ce message

              • Répondu le 18 octobre 2022 à  16:35 :

                Si on suit le raisonnement du monsieur, qui a une carrière aussi voire plus brillante que Tardi et serait donc autorisé à donner son avis ? Moebius, Hugo Pratt, Will Eisner, René Goscinny, Hergé, Uderzo et c’est à peu près tout.

                Répondre à ce message

      • Répondu le 16 octobre 2022 à  21:30 :

        Extrait d’un interview de Tardi paru en 1978 dans le n°21 de "B.D. L’hebdo de la B.D." : « En principe j’étais parti sur une série qui aurait pu durer dix ans, j’ai fait trois albums ; maintenant je prépare le quatrième et soudain j’en ai marre. Et celui-là sera le dernier. [...] Adèle, c’est un travail que j’aurais pu continuer longtemps, et je sais que je ne peux plus. [...] Ce n’était pas une opération financière. Non. C’était une opération de survie. Y’en a marre de faire des petits boulots. »

        Répondre à ce message

        • Répondu le 18 octobre 2022 à  10:26 :

          Vous voulez dire que Tardi lui-même donne raison à Laurent Colonnier ?

          Répondre à ce message

  • Adieu l’Adèle, je t’aimais bien…
    16 octobre 2022 21:17, par sans Dec

    Cette mise en garde ne tiendra que jusqu’à ce que Adèle tombe dans le domaine public... Ensuite les éditeurs prendront le relais.

    Répondre à ce message

    • Répondu le 17 octobre 2022 à  12:14 :

      Pas certain que les éditeurs se battront pour publier un Adèle Blanc-Sec 70 ans après la mort de Tardi, à qui je souhaite très longue vie, et qui prend la précaution de qualifier par avance d’éventuels repreneurs de faussaires ! Il faut s’y faire, Adèle est morte… c’est Mortelle Adèle !

      Répondre à ce message

  • « Ecole belge d’Hergé et de Jacobs -produit de l’esthétique fasciste si l’on en croit Herr Seele- »

    Pas du tout d’accord avec Herr Seele !
    Trop simpliste (provocateur ?) d’affirmer un truc pareil.
    Il n’a pas assez étudié les courants esthétiques des années 1890 à 1940 pour proposer un tel raccourci.
    Ce serait plutôt l’esthétique fasciste qui est un sous-produit des goûts esthétiques de son temps. Un sous-produit pour manipuler les masses. On garde la surface des choses pour emballer de la camelote nauséabonde.

    Répondre à ce message

  • Adieu l’Adèle, je t’aimais bien…
    17 octobre 2022 19:05, par Polle

    Et si c’est terminé pour de bon on peut avoir une Integrale un peu sérieuse ? 🤔

    Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Albums  
Derniers commentaires  
Agenda BD  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD