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Affaire Tintin au Congo : "Le Soir" instruit le dossier

Par Charles-Louis Detournay le 5 juillet 2010                      Lien  
À l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance du Congo, le 30 juin 1960, le quotidien belge {Le Soir} a décidé d'ouvrir le débat sur un dossier que la justice belge s'est jusqu'ici refusée d'instruire. Dans un ouvrage coédité avec {Moulinsart}, les auteurs de {Tintin au Congo de papa} pointent les erreurs de jeunesse d’Hergé, les modifications que l’auteur lui-même réalisa sur son œuvre, ainsi que les réactions parfois virulentes dont cet album fut l’objet.
Affaire Tintin au Congo : "Le Soir" instruit le dossier
Daniel Couveur, journaliste du Soir et auteur de Tintin au Congo de Papa
© N Anspach

On connaît l’attachement du quotidien belge Le Soir pour Tintin, un reporter qu’il hébergea sous l’Occupation, alors que le journal était "volé", c’est à dire sous séquestre nazi. Après les réussites des Vrais secrets de la Licorne, et d’À la recherche du trésor de Rackham le Rouge, Daniel Couvreur, journaliste, critique éminent de bande dessinée et tintinophile avéré, revient sur l’album le plus controversé d’Hergé qui essuie depuis plus de trois ans de vives attaques de la part de ces détracteurs.

Il est bon qu’un journaliste fasse cette enquête salutaire face à la démission des tribunaux incapables de fixer, depuis plus de trois ans, une position à la demande d’un simple citoyen, dégradant de façon absurde une œuvre exemplaire. De son côté, en rendant public les éléments pour sa défense que l’incurie des juges ne lui a pas permis jusqu’ici d’exposer, les gestionnaires de l’œuvre d’Hergé font une manœuvre intelligente.

Certes, un livre coédité par Moulinsart dans lequel figure un article d’Alain de Kuyssche, chargé de la communication pour l’éditeur de l’avenue Louise, nul besoin d’être un sorcier congolais pour comprendre qu’on ne crucifiera pas le jeune reporter sur l’autel des missionnaires. Ce parti-pris ne gâche pourtant pas l’intérêt que l’on éprouve à la lecture de ces 64 pages sincères et fort bien documentées.

Alors que, depuis des années, certains défrayent la chronique en demandant qui, l’interdiction de ce livre "raciste", qui sa publication avec un "avertissement", l’édition de ce livre est la première réponse formelle adressée aux plaignants en dehors des prétoires. Et comme elle est appuyée sur des extraits d’interviews d’Hergé et bien d’autres éléments, elle vaut son pesant d’arguments.

Sur les marches du Palais de Justice de Bruxelles, Bienvenu Mbutu Mondondo manifeste sa volonté d’interdire l’album.
© N. Anspach

Un livre éclairant

Sans dévoiler tout son contenu, partageons tout de même certains éléments relevés par Daniel Couvreur qui viennent défendre le créateur de Tintin :

- On y publie les "aveux" d’Hergé lui-même face à cet album qu’il considérait comme un de ses deux ‘péchés de jeunesse’, affecté par le manque de documentation pour un récit réalisé au jour le jour.

- Les différents repentirs effectués lors de la publication de l’album en couleurs, les cases originales étant mises en parallèle, montrant le souci d’Hergé de dégrossir le trait parfois trop colonial de certains dialogues, mais aussi des scènes de chasse très ‘barbares’.

- La reprise de la publication de l’album par les Congolais eux-mêmes, dix ans après leur indépendance, et ce alors que Casterman ne souhaitait plus le réimprimer.

- Les divers discours de personnages publics et d’auteurs des deux continents, donnant des sons de cloches discordants, mais ô combien éclairants, sur la multiplicité des lectures de l’album.

La couverture reprend intelligemment la scène en ombre chinoise où Coco, Tintin et Milou se lient d’amitié, sans distinction de couleurs.
© Moulinsart/le Soir

Tintin au Congo de Papa est un livre populaire, pas spécifiquement adressé aux tintinophiles avertis, mais écrit pour la grande majorité des lecteurs. Daniel Couvreur y dénonce les excès de la censure. Si on interdit Hergé pour Tintin au Congo, avance le journaliste, on devrait alors empêcher la lecture de Huckelberry Finn de Mark Twain pour son approche naïve du racisme, ainsi que Victor Hugo pour son discours pro-colonial !

S’interrogeant sur l’âge d’un lecteur qui demanderait à lire Sade, Daniel Couvreur touche un des points les plus sensibles de l’interdiction : où commencer, mais surtout où s’arrêter ? Avec l’affaire Tintin au Congo, sommes-nous tentés d’ajouter, c’est aussi la forme populaire de la bande dessinée qui se retrouve sur le banc des accusés. La plupart des lecteurs lisant actuellement Mark Twain, Dickens ou Hugo possèdent sûrement le recul nécessaire pour replacer les éléments dans leur contexte, mais l’aspect universel des dessins ne permet-il pas à certaines personnes peu ou pas sensibilisées de prendre au premier degré certaines réflexions de l’ouvrage ?

1930 : L’Abbé Wallez demande à Hergé, âgé alors de 23 ans, d’envoyer Tintin au Congo, afin de susciter la vocation coloniale auprès des jeunes lecteurs du Petit Vingtième. Maintenue dans le version de 1940-41, Hergé transformera cette "idée exacte de la patrie lointaine" en leçon de calcul dans la version en couleurs de 1946.
Dessin de Hergé © Moulinsart

Interdire ou avertir ?

Daniel Couvreur n’aborde pas cette question, et s’il s’oppose clairement à l’interdiction, il prône clairement l’ajout d’une mise en garde : [Celle-ci] tient dans cet avertissement publié par la revue Zaïre, le 29 décembre 1969 : « Il y a une chose que les Blancs qui avaient arrêté la circulation de Tintin au Congo n’ont pas comprise. […] Si certaines images caricaturales du peuple congolais […] font sourire les Blancs, elles font rire franchement les Congolais, parce que les Congolais y trouvent matière à se moquer de l’homme blanc ‘qui les voyait comme cela !’ »

Un fac-similé de petit format est également sorti ce 30 juin.
© Moulinsart/Casterman

Ceci plaide en faveur de l’introduction d’une mise-en-garde tout en soulignant la valeur pédagogique d’un tel projet : si les éléments présentés dans Tintin au Congo soulignent la mentalité d’une époque et la vision réductrice d’un peuple envers un autre, c’est également un formidable témoignage de cette vision du « Congo de Papa » pour les générations actuelles ! Dans ces dernières pages, Daniel Couvreur rappelle que : « Chez Hergé, l’amitié est toujours plus forte que le stéréotype. Derrière la fantaisie de son Congo de pacotille, il y a une place pour l’amitié et la compréhension. »

Outre la réponse que constitue ce livre, c’est aussi et surtout une nouvelle lecture de l’album qui nous est proposée. Cette plongée dans les détails de Tintin au Congo donne également envie de relire avec attention l’œuvre originale, dont un fac-similé de poche (re)sorti récemment accorde parfaitement, notons-le au passage, le noir ET le blanc.

Il reste maintenant aux plaignants à étayer de leur côté leurs accusations.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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L’album est encore disponible chez certains libraires belges.

 
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13 Messages :
  • L’initiative est bienvenue ( arf !) , mais pourquoi aller au-devant du bédéphiliquement correct en prônant un avertissement ? Même si son libellé prévu est bienvenu ( re-arf !)dans sa formulation , il n’a aucune raison d’être.
    Moulinsart va au-devant du désir des censeurs parce que de gros enjeux se présentent , avec les films à venir, cherchant a déminer le terrain , notamment sur le plan judiciaire avec la plainte en cours qui , d’appel en renvoi , pourrait pourrir le climat pendant des années...
    Accepter l’ajout d’un avertissement , c’est ouvrir la boîte de Pandore ...demain , des nationalistes nippons voudront ( comme ils l’avaient déjà tentés à l’époque de la sortie du " Lotus Bleu ")imposé un texte dénonçant l’aspect caricatural de Mitsuhirato le méchant japonais impérialiste ...
    La seule attitude responsable est de refuser toute modification autre que celles voulues et mises en oeuvre par l’auteur lui-même !

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    • Répondu par PPV le 5 juillet 2010 à  14:59 :

      je suis tout à fait d’accord avec vous, aucun avertissement n’est nécessaire, cette affaire est grotesque. La démarche du Soir est intelligente, elle remet les choses dans leur contexte et devrait servir à sonner la fin de la récréation.

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      • Répondu par LO le 5 juillet 2010 à  22:06 :

        "Sonner la fin de la récréation...". Quelle expression lamentable et significative du racisme ambiant. Vous ne démordrez pas de vos à priori, pour vous les Noirs sont restés ces grands enfants décrits maladroitement par Hergé... Merci d’illustrer aussi bien le fond de votre pensée.

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        • Répondu par Saïno le 6 juillet 2010 à  01:11 :

          "sonner la fin de la récréation..." : pouvez vous me préciser le rapport entre cette expression et le "racisme ambiant" ? Pour info cette expression n’est pas liée à la couleur ou à la race de ceux qu’on estime comme des "grands enfants". Et ce n’est pas parce-que ce sujet porte sur des problèmes de rascisme qu’on ne peut pas utiliser cette expression si on pense (à tort ou à raison) que tout cela se résume à une dispute de récréation.

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          • Répondu par LO le 6 juillet 2010 à  10:26 :

            Comparer les nègres à de grands enfants qu’il convient d’"éduquer", c’était le prétexte de la colonisation et de l’exploitation. C’est aussi -je parle malheureusement au présent- le message dominant de Tintin au Congo. Parler de "siffler une fin de récréation" -expression scolaire-, c’est de nouveaux infantiliser les plaignants qui sont en partie africains mais aussi simplement des humains de bon sens. Un genre qu’affectionne particulièrement les provocateurs d’extrême droite.

            A bon entendeur...

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        • Répondu par PPV le 6 juillet 2010 à  15:09 :

          heu, pour lamentable à vos yeux qu’elle soit l’expression "sonner la fin de la réaction" n’est en rien raciste, elle se base sur ce qui à mes yeux devient un cirque qui ne profite à personne, si ce n’est au plaignant qui semble bien s’amuser à jouer les redresseurs de tort sur un album médiocre, reflet d’une époque très lointaine. Le fin fond de ma pensée c’est que je m’en f... de la mentalité de mes aînés il y a 80 ans, elle n’a plus cours aujourd’hui et tout le monde en convient. Le fond du fin-fond est que mr Bienvenu s’acharne sur du passé et que cette démarche est malsaine, le Congo version 2010 50 ans après l’indépendance, il y a beaucoup à en dire, des défis énormes à relever, bref bref, ces chi-chis sont complétement contre-productifs.

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          • Répondu par LO le 6 juillet 2010 à  22:40 :

            " je m’en f... de la mentalité de mes aînés il y a 80 ans, elle n’a plus cours aujourd’hui " En êtes vous si sûr ? Pas moi. Regardez la mise à l’écart dont sont victimes les noirs en France ou en Belgique. Dans ces conditions, la publication de Tintin au Congo tel quel, sans le moindre recul, sans le moindre avertissement, reste une anomalie choquante. M Bienvenu ne fait que jouer sur cette anomalie. N’oubliez pas que le racisme commence avec le refus de considérer la souffrance de l’autre.

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    • Répondu par LO le 5 juillet 2010 à  15:12 :

      Vous confondez beaucoup de chose. Au Japon justement, pour ne pas être confondu avec un vulgaire raciste, Tezuka avait lui-même demandé de faire figurer un avertissement de ce type en introduction du Roi Léo, réédité ces jours ci par Kaze (oeuvre bien plus humaniste que Tintin au Congo soit dit en passant). D’après le compte rendu publié ci dessus, ce serait bien en accord avec la vision d’Hergé de son propre album. Et de plus, il me semble avoir lu sur ce même site les déclarations de Fanny Rodwell, puis plus tard de Louis Delas (Casterman)plaidant aussi en faveur de l’avertissement.A se demander pourquoi cela n’a pas encore été fait...

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  • N’y avait il pas une histoire très similaire avec les soviets ?

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  • Mais pourquoi s’intéresser à cette vieillerie ?
    Tintin c’est de l’histoire ancienne aujoud’hui les jeunes lisent Titeuf et les Simpson entre autre .
    Enfin, il faut bien sortir cette momie de Tintin de temps à autre pour l’aèrer

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    • Répondu le 12 juillet 2010 à  17:23 :

      C’est vrai que pour moi aussi c’est un mystère que ce goût pour ce personnage ! J’ai plus de 40 ans, j’ai toujours lu de la bd et je n’ai jamais pu finir un de ces satanés Tintin ( pas plus que les Schtroumpfs, ou Spirou d’ailleurs... ).

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    • Répondu le 12 juillet 2010 à  20:52 :

      Les jeunes lisent Titeuf, mais depuis quand sont-ils une référence en matière de goût ? :D

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      • Répondu par Flocon le 2 août 2010 à  11:10 :

        Depuis quand Tintin est il une référence de Gout ?

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