On connaît l’attachement du quotidien belge Le Soir pour Tintin, un reporter qu’il hébergea sous l’Occupation, alors que le journal était "volé", c’est à dire sous séquestre nazi. Après les réussites des Vrais secrets de la Licorne, et d’À la recherche du trésor de Rackham le Rouge, Daniel Couvreur, journaliste, critique éminent de bande dessinée et tintinophile avéré, revient sur l’album le plus controversé d’Hergé qui essuie depuis plus de trois ans de vives attaques de la part de ces détracteurs.
Il est bon qu’un journaliste fasse cette enquête salutaire face à la démission des tribunaux incapables de fixer, depuis plus de trois ans, une position à la demande d’un simple citoyen, dégradant de façon absurde une œuvre exemplaire. De son côté, en rendant public les éléments pour sa défense que l’incurie des juges ne lui a pas permis jusqu’ici d’exposer, les gestionnaires de l’œuvre d’Hergé font une manœuvre intelligente.
Certes, un livre coédité par Moulinsart dans lequel figure un article d’Alain de Kuyssche, chargé de la communication pour l’éditeur de l’avenue Louise, nul besoin d’être un sorcier congolais pour comprendre qu’on ne crucifiera pas le jeune reporter sur l’autel des missionnaires. Ce parti-pris ne gâche pourtant pas l’intérêt que l’on éprouve à la lecture de ces 64 pages sincères et fort bien documentées.
Alors que, depuis des années, certains défrayent la chronique en demandant qui, l’interdiction de ce livre "raciste", qui sa publication avec un "avertissement", l’édition de ce livre est la première réponse formelle adressée aux plaignants en dehors des prétoires. Et comme elle est appuyée sur des extraits d’interviews d’Hergé et bien d’autres éléments, elle vaut son pesant d’arguments.
Un livre éclairant
Sans dévoiler tout son contenu, partageons tout de même certains éléments relevés par Daniel Couvreur qui viennent défendre le créateur de Tintin :
On y publie les "aveux" d’Hergé lui-même face à cet album qu’il considérait comme un de ses deux ‘péchés de jeunesse’, affecté par le manque de documentation pour un récit réalisé au jour le jour.
Les différents repentirs effectués lors de la publication de l’album en couleurs, les cases originales étant mises en parallèle, montrant le souci d’Hergé de dégrossir le trait parfois trop colonial de certains dialogues, mais aussi des scènes de chasse très ‘barbares’.
La reprise de la publication de l’album par les Congolais eux-mêmes, dix ans après leur indépendance, et ce alors que Casterman ne souhaitait plus le réimprimer.
Les divers discours de personnages publics et d’auteurs des deux continents, donnant des sons de cloches discordants, mais ô combien éclairants, sur la multiplicité des lectures de l’album.
Tintin au Congo de Papa est un livre populaire, pas spécifiquement adressé aux tintinophiles avertis, mais écrit pour la grande majorité des lecteurs. Daniel Couvreur y dénonce les excès de la censure. Si on interdit Hergé pour Tintin au Congo, avance le journaliste, on devrait alors empêcher la lecture de Huckelberry Finn de Mark Twain pour son approche naïve du racisme, ainsi que Victor Hugo pour son discours pro-colonial !
S’interrogeant sur l’âge d’un lecteur qui demanderait à lire Sade, Daniel Couvreur touche un des points les plus sensibles de l’interdiction : où commencer, mais surtout où s’arrêter ? Avec l’affaire Tintin au Congo, sommes-nous tentés d’ajouter, c’est aussi la forme populaire de la bande dessinée qui se retrouve sur le banc des accusés. La plupart des lecteurs lisant actuellement Mark Twain, Dickens ou Hugo possèdent sûrement le recul nécessaire pour replacer les éléments dans leur contexte, mais l’aspect universel des dessins ne permet-il pas à certaines personnes peu ou pas sensibilisées de prendre au premier degré certaines réflexions de l’ouvrage ?
Interdire ou avertir ?
Daniel Couvreur n’aborde pas cette question, et s’il s’oppose clairement à l’interdiction, il prône clairement l’ajout d’une mise en garde : [Celle-ci] tient dans cet avertissement publié par la revue Zaïre, le 29 décembre 1969 : « Il y a une chose que les Blancs qui avaient arrêté la circulation de Tintin au Congo n’ont pas comprise. […] Si certaines images caricaturales du peuple congolais […] font sourire les Blancs, elles font rire franchement les Congolais, parce que les Congolais y trouvent matière à se moquer de l’homme blanc ‘qui les voyait comme cela !’ »
Ceci plaide en faveur de l’introduction d’une mise-en-garde tout en soulignant la valeur pédagogique d’un tel projet : si les éléments présentés dans Tintin au Congo soulignent la mentalité d’une époque et la vision réductrice d’un peuple envers un autre, c’est également un formidable témoignage de cette vision du « Congo de Papa » pour les générations actuelles ! Dans ces dernières pages, Daniel Couvreur rappelle que : « Chez Hergé, l’amitié est toujours plus forte que le stéréotype. Derrière la fantaisie de son Congo de pacotille, il y a une place pour l’amitié et la compréhension. »
Outre la réponse que constitue ce livre, c’est aussi et surtout une nouvelle lecture de l’album qui nous est proposée. Cette plongée dans les détails de Tintin au Congo donne également envie de relire avec attention l’œuvre originale, dont un fac-similé de poche (re)sorti récemment accorde parfaitement, notons-le au passage, le noir ET le blanc.
Il reste maintenant aux plaignants à étayer de leur côté leurs accusations.
(par Charles-Louis Detournay)
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L’album est encore disponible chez certains libraires belges.
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