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Alack Sinner, du roman (À Suivre) au roman graphique

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 décembre 2007                      Lien  
Le chef-d’œuvre de Muňoz et Sampayo, Alack Sinner vient d’être republié au format roman. Retour sur une saga résolument moderne qui n’a pas perdu une once de sa vigueur.
Alack Sinner, du roman (À Suivre) au roman graphique
La première édition française de Muňoz et Sampayo (1977)

Créé durant l’été 1974 à Barcelone à la suite d’une rencontre (favorisée par Oscar Zarate) entre José Muňoz et Carlos Sampayo, l’un et l’autre relevant d’un divorce douloureux, la série Alack Sinner a été publiée pour la première fois l’année suivante dans le magazine italien Linus. La même année, Wolinski, alors rédacteur en chef de Charlie Mensuel, la reprend et la publie dans son mensuel. La première édition française est parue en 1977 aux éditions du Square, il y a exactement 30 ans. Pour la plupart des gens qui le découvrent là, c’est un choc visuel d’importance.

La bataille du noir et blanc

À cette époque, on commence seulement à comprendre, en lisant Hugo Pratt ou encore Alberto Breccia, que le dessin en noir et blanc est une expression en soi qui pouvait s’abstraire de l’usage de la couleur. Mais les hommes de marketing, toujours en retard d’une guerre, avaient décidé qu’il serait à jamais une incongruité commerciale. Ainsi, Hugo Pratt qui s’était fait un réel public populaire avec Corto Maltese dans Pif Gadget (1970), grâce à des planches publiées en noir et blanc, avait-il été édité en France d’abord sous la forme d’albums en édition de luxe chez Publicness en 1971, puis sous la forme de quatre albums « commerciaux » en couleurs chez Casterman (1973-1975), conjointement à une publication de ses pages dans le Journal Tintin (1974). Un échec commercial qui peupla longtemps les bacs à solde. On raconte –si c’est une légende, elle est belle- que c’est Hergé lui-même qui avait insisté pour que Pratt soit publié par la très conservatrice maison tournaisienne. Il paraît que, dégoûtée par l’insuccès de la première série, elle publia La Ballade sur la mer salée sous la forme d’un gros pavé en noir et blanc (1975), un peu en conclusion d’une aventure éditoriale qui avait mal tourné. Et là, surprise : l’album dépasse bientôt le cap des 100.000 exemplaires vendus. Ce qui, à l’aune des bénéfices rapportés pour un ouvrage dont la production est très bon marché, constitue une très très bonne affaire. Casterman décida alors de transformer l’essai.

« Les grands romans de la bande dessinée »

Les hommes de marketing vous le diront : les libraires sont des gens stupides. Quand au public, n’en parlons pas. Si ces gens n’ont pas une étiquette qui leur explique ce que contient l’emballage de Port-Salut, ils risquent de se défier du produit. Le slogan fut trouvé, il figure au dos de la première édition de La Ballade : « Les grands romans de la bande dessinée ». Un label intelligent qui caractérise parfaitement le travail de Pratt où la qualité esthétique s’ajoute à celle d’un grand raconteur d’histoires. Du point de vue romanesque, il rejoint à notre Panthéon des romanciers comme Stevenson, Conrad ou Cendrars. Notons au passage que Will Eisner avait été élu « Grand Prix » de la Ville d’Angoulême l’année même où sortait La Ballade et que ce n’est que trois ans plus tard qu’il labellisera son travail du vocable de « graphic novel ».

Alack Sinner de Muňoz et Sampayo, un art consommé du noir & blanc
(c) Casterman

Casterman lança en fin 1977 le numéro zéro du mensuel (À Suivre) dirigé par Jean-Paul Mougin et maquetté par Etienne Robial, dont l’intention était d’offrir aux auteurs un « nouvel espace » de création dédié au souffle romanesque. Le premier numéro paraît en janvier 1978. L’effet Angoulême, déjà. Au sommaire des premiers numéros : Pratt, Tardi & Forest, Auclair, Bazooka, Fmurrr, Ferrandez, la bande du Trombone illustré avec Delporte et Franquin en tête, Schuiten, Wininger

Mais on sent bien, d’une part, que l’aspect romanesque a été vite perdu de vue par les créateurs du journal : le format reste celui d’une BD franco-belge, le magazine est plus le rendez-vous assez opportuniste d’une avant-garde graphique contemporaine que le résultat d’une politique éditoriale intangible et surtout, le titre, (À Suivre), montrait bien que l’éditeur n’avait pas abdiqué de la veine feuilletonesque qui avait fondé l’école franco-belge. (À Suivre) se nourrira longtemps grâce à, et mourra sans doute à cause de ces contradictions.

Une vie d’exil

Mais revenons à Alack Sinner, Muňoz et Sampayo. Certains de nos lecteurs se demanderont à quoi rime cette digression. C’est que, même s’il est Italien, Pratt est issu, comme Muňoz, comme Breccia, comme Solano Lopez, de l’école argentine de la bande dessinée où les publications, pour des raisons économiques essentiellement, sont publiées en noir et blanc. Derrière Breccia va se créer une véritable école du noir et blanc héritée d’une profonde admiration pour des dessinateurs américains comme Milton Caniff ou Alex Toth. Une ligne incroyablement originale (Muňoz nous prépare, à ce sujet, une exposition décoiffante pour le prochain Angoulême) qui sera représentée par Pratt en Italie puis dans le reste de l’Europe. Dans son sillage, arrivent des créateurs argentins comme Breccia ou Muňoz fuyant les rigueurs de la dictature argentine.

Tout Alack Sinner est héritier de la situation personnelle de ses créateurs. Muňoz a raconté dans son introduction à Paroles de sans papiers (collectif aux Éditions Delcourt) ses débuts d’immigrant clandestin étonnament reconnu comme créateur dans toute l’Europe : « De 1974 à 1987, je suis resté sans papiers, j’allais, je venais comme ça durant tout mon séjour en Italie. […] J’ai tenté d’avoir des papiers, aussi en France. Mais ça n’a pas marché. […] Ça a eu une influence sur mon travail. Avec Sampayo, je dis ça aujourd’hui, on travaillait aussi nos angoisses dans nos récits… » C’est tellement vrai que dans cet album, les lecteurs auront le plaisir de retrouver un épisode, « La vie n’est pas une bande dessinée, Baby  », où leur héros rencontre ses géniteurs. Ils ont traversé l’Atlantique car ils sont à court d’histoires et ils viennent en chercher à la source. «  Borgès lui-même ne l’avalerait pas  » leur rétorque le détective. Ils squattent littéralement chez leur héros, vidant son whisky, et entament avec lui un dialogue sur la création ponctué de clins d’œil malicieux. Ainsi, Sampayo se met à tousser : « Cough ! Cough ! ». Et Muňoz d’interroger : « Tu tousses en anglais, maintenant ? »

Muňoz (cheveux longs et lunettes) et Sampayo (barbe) s’invitent chez Alack Sinner
(c) Casterman

Ses auteurs ont fait naître Alack Sinner dans un quartier pauvre de New York. On le découvre flic. Mais la corruption et l’immoralité de cette police lui font quitter l’uniforme. Il devient dès lors une espèce de Sam Spade (chez Muňoz et Sampayo, la référence littéraire n’est jamais loin) au moral entamé mais à l’éthique intacte. « Nous aimions ce que nous appelions « les produits culturels progressistes des États-Unis », dit un jour Muňoz . Dans la température affective de ces histoires, il y a des paysages immenses, des natifs, des mystères, et puis surtout le mélange de tous avec tout ! Elle est américaine aussi, cette peur des blanchâtres taraudés par la culpabilité du délit collectif, du meurtre des natifs ; une tension qui ne s’est toujours pas évanouie, que ce soit à New-York ou à Buenos Aires. Alack Sinner est un mélange de transpositions de souvenirs de Sampayo et de moi-même, de choses que nous avons vécues ou lues, mais aussi de notre prétention à la dignité de l’homme, nos ambitions morales et économiques. Alack Sinner n’est pas très politisé, lui. Mais, à la différence de beaucoup de gens politisés, c’est un type moral, animé d’un désir d’honnêteté. Un défaut qui est partagé dans tous les pays du monde. »

Le président José Muňoz avec le journaliste Thierry Bellefoid et le directeur artistique du Festival d’Angoulême, Benoît Mouchart.
Photo : Laurent Mélikian (L’Agence BD)

Quant au graphisme, il est sans concession. Jouant du grotesque comme du réalisme, du noir opaque à la lumière aveuglante, il n’y a pas de place pour le demi-ton, le gris souris, les petits effets de volume un peu fades. Il y a un lyrisme, un regard, une intelligence, et surtout, surtout une profonde empathie pour les personnages. Une intransigeance graphique qui a tiré l’œil de pas mal de graphistes contemporains, parmi lesquels on peut même compter Frank Miller.

Avec cette nouvelle édition, Muňoz et Sampayo ont enfin rencontré la forme du Graphic Novel, eux qui avaient pourtant si puissamment contribué à l’inventer. Il ne fait aucun doute qu’elle leur rend justice, et surtout à nous, ses lecteurs, avides de sensations nouvelles.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Alack Sinner – L’intégrale T1 : L’âge de l’Innocence – Éditions Casterman

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19 Messages :
  • Cette intégrale faisait partie de ma liste de noel, je me voyais déjà me délecter des sublimes pages en noir et blanc, du beau papier au blanc âpre laissant le noir intense s’exprimé... Et bah non ! Casterman n’ayant pas encore retenu la lesson de vilebrequin (et autres...) nous sort un papier horrible où l’on voit pas transparence la fadesse du noir de la page suivante. Travail baclé pour une oeuvre référence. Du coup je l’ai rayé de ma liste...

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    • Répondu par chtimi le 20 décembre 2007 à  11:44 :

      Pas du tout d’accord avec le message précédent. Le fait d’avoir mis les pages en petits donne encore plus de force au dessin synthétique de Munoz.
      C’est un vrai plaisir pour les yeux. De plus l’intégral reprend les aventures du héros de façon chronologique (pour lui par une chronologie de réalisation). Vivement l’intégral 2 !

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      • Répondu le 20 décembre 2007 à  12:42 :

        au format "bunko" ça aurait été pas mal ausi...

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        • Répondu le 20 décembre 2007 à  22:41 :

          Pardon d’être un idiot... Je ne sais pas ce qu’est un format "bunko". Pourriez-vous m’éclairer ?

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          • Répondu le 21 décembre 2007 à  21:15 :

            Le Bunko est le format « poche » du manga, une « troisième vie », en quelque sorte, donnée à certains classiques. C’était une boutade car les Bunko font environ 10 x 15 cm...

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  • Alack Sinner, du roman (À Suivre) au roman graphique
    20 décembre 2007 16:23, par Eric B.

    Mais on sent bien, d’une part, que l’aspect romanesque a été vite perdu de vue par les créateurs du journal : le format reste celui d’une BD franco-belge, le magazine est plus le rendez-vous assez opportuniste d’une avant-garde graphique contemporaine que le résultat d’une politique éditoriale intangible et surtout, le titre, (À Suivre), montrait bien que l’éditeur n’avait pas abdiqué de la veine feuilletonesque qui avait fondé l’école franco-belge. (À Suivre) se nourrira longtemps grâce à, et mourra sans doute à cause de ces contradictions.

    Je vous trouve bien acerbe envers le magazine (À suivre). À vous lire, on croirait que l’entreprise n’aurait été qu’un ratage... Peut-être n’en retenez-vous que les côtés qui vous agaçaient ? Je crois qu’il ne faut pas négliger l’immense apport qu’a constitué cette revue, soit la constitution d’un corpus de bandes dessinées adultes ambitieuses et de qualité, ce qui permet amplement à mon avis d’excuser certains défauts... Et faut-il nécessairement condamner l’avant-garde graphique ?

    Merci pour cet article sur le travail de José Muñoz, on attendait depuis trop longtemps la consécration du génie graphique cet immense auteur. Un peu d’histoire de la BD ne fait jamais de tort en cette période de production pléthorique et intéressée.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 décembre 2007 à  21:50 :

      Je vous trouve bien acerbe envers le magazine (À suivre). À vous lire, on croirait que l’entreprise n’aurait été qu’un ratage... Peut-être n’en retenez-vous que les côtés qui vous agaçaient ? Je crois qu’il ne faut pas négliger l’immense apport qu’a constitué cette revue, soit la constitution d’un corpus de bandes dessinées adultes ambitieuses et de qualité, ce qui permet amplement à mon avis d’excuser certains défauts... Et faut-il nécessairement condamner l’avant-garde graphique ?

      Je veux bien vous accorder que ma causticité peut-être parfois mal comprise. Loin de moi l’idée de discréditer le travail fondamental de l’équipe d’(A Suivre). Je le tiens au contraire pour l’une des revues les plus importantes de ces années-là, offrant un pendant aux autres cœurs créatifs de la BD dans cette période : Charlie Mensuel, l’écho des Savanes, Métal Hurlant, le Trombone illustré, Fluide Glacial... Ou encore Glénat. Oui, Glénat. Quant à l’avant-garde, je suis loin aussi de la critiquer. Il me plaît au contraire de souligner qu’une Avant-Garde avait bien existé avant que certains ne prétendent l’avoir inventée.

      Je dis seulement qu’entre Munoz, Sokal, Schuiten ou Servais, l’argument du noir et blanc et de la veine romanesque est très vite devenu un alibi. Il n’y avait pas de réflexion, ni de groupe cohérent, derrière ces innovations (incontestables). En dehors de celle d’Igort pour Black, je n’en vois pas non plus de crédible actuellement. Je reviendrai un de ces jours sur ces questions afin de préciser mes idées.

      Un peu d’histoire de la BD ne fait jamais de tort en cette période de production pléthorique et intéressée.

      J’en suis convaincu.

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      • Répondu par Sergio Salma le 21 décembre 2007 à  17:08 :

        On se fie à sa mémoire et on mélange tout. C’est marrant cette façon qu’a le cerveau de classer les affaires dans de tiroirs improbables.

        On a le souvenir avec (A suivre ) d’une revue d’avant-garde , graphique ou narrative. En réalité, le concept était tout autre ; intéressant puisqu’il permettait de rassembler sous une bannière culturelle imparable des auteurs très différents.

        ( A suivre ) était une revue très riche mais elle n’a pas fait naître ces auteurs. Elle a rassemblé des sensibilités qui ont servi une ligne éditoriale précise pendant quand même quelques années.
        Ces auteurs tous confirmés avaient simultanément une vie chez d’autres éditeurs que Casterman ;Schuiten, De la Fuente, Tardi, Forest, Auclair n’étaient pas des débutants ; Sokal fut un des seuls a arriver à maturité dans ses pages. L’environnement éditorial leur a fait conquérir un nouveau public justement très en attente ; il y avait dans l’air un engouement , une passion qui d’ailleurs a profité aussi à d’autres médias. Toute une génération a promu à sa façon sa passion et son intérêt qu’elle avait pour la bande dessinée. Angoulême est né de ces mêmes envies, cette même veine culturelle.

        Le feuilleton comme toutes les expressions populaires a toujours été mis en avant dans un magazine comme (A suivre) ; la naissance d’Adèle Blanc Sec deux ou trois ans auparavant étaient déjà un hommage à cette école. Et on caricature aussi pensant que le noir et blanc perçait enfin alors qu’ Artima et consorts ont toujours été présents dans les kiosques. Je ne pense pas que la mort du magazine soit à imputer à une dérive ou une mauvaise gestion des talents. Tout le monde sait que les facteurs sont bien nombreux et très complexes.

        Munoz et Sampayo ont ouvert une brèche . Leur bande dessinée se faisait de plus en plus abstraite, même si les récits eux avaient une vocation romanesque traditionnelle( le roman noir, le roman psychologique)...ils ont développé une manière très free jazz de mettre en scène. L’expressionnisme est apparu, la caricature, la satire...
        si certains ont pu penser qu’ils en mettaient moins, c’est juste un automatisme de consommateur ! J’en veux pour mon argent, et ils dessinent moins ! Le professeur Choron se trompait un peu sur ce coup-là. C’est le même discours qui a fait dire que rien ne vaut l’académisme soigné ( Constable, Rubens) et que les gribouillis de Pollock ou Bacon c’est quand même digne d’une enfant de 5 ans( d’ailleurs le mien...)
        Munoz et Sampayo au contraire en mettaient plus ; ils s’éloignaient simplement d’une manière traditionnelle de faire , pour explorer, tenter, raconter autrement. Ils avaient exprimé pendant de nombreuses pages toute une série d’intentions ; ils se sont tourné vers une émotion plus brute et sont donc allés à l’essentiel.

        C’est leur audace qui a provoqué chez beaucoup des chocs artistiques. ils ont fait des centaines d’émules qui d’un coup se libéraient des carcans classiques. Comme des musiciens ont provoqué des déclics chez d’autres musiciens .

        Trente ans après, on taxe d’avant-garde ce qui n’était qu’une forme très pointue de classicisme. Il y avait une très grande tenue, une dignité dans les récits qui elle, j’en conviens, était un peu hors-norme. Je me méfie de l’appellation avant-garde. Elle sous-entend un hermétisme, une distance avec le public. Le talent n’est pas une affaire temporelle.

        La bande dessinée de cette époque était mouvante, issue de la génération précédente et a provoqué une filiation dans les générations qui ont suivi.

        Quant à la manie de vouloir à tout prix trouver un équivalent actuel, il est aussi un piège de la pensée ; de celle qui encore prêche pour un passé meilleur et un présent mercantile.
        Pourquoi vouloir dénicher un pendant contemporain à une démarche artistique passée ? C’est absurde et vain.

        Il y a une richesse actuellement ( et des débordements et des purs produits marketing évidemment) qui je pense tient la comparaison. Si vraiment on doit comparer. Je ne vais pas vous citer les 10 ou 20 incontournables actuels pour prouver à quel point on vit un moment dense et passionnant.

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        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 21 décembre 2007 à  22:30 :

          On a le souvenir avec (A suivre ) d’une revue d’avant-garde , graphique ou narrative. En réalité, le concept était tout autre ; intéressant puisqu’il permettait de rassembler sous une bannière culturelle imparable des auteurs très différents.

          Sergio, je crois que ce souvenir -qui n’en est pas un car j’ai quand même revérifié les sommaires- correspondait à quelque chose de très vrai. Le simple fait d’afficher Bazooka dans les premiers numéros marquait la volonté de la revue. La redécouverte d’Auclair ou même l’association Tardi/Forest, et sous quelle forme : un long récit de plus de 100 pages !, c’était inouï.

          ( A suivre ) était une revue très riche mais elle n’a pas fait naître ces auteurs. Elle a rassemblé des sensibilités qui ont servi une ligne éditoriale précise pendant quand même quelques années. Ces auteurs tous confirmés avaient simultanément une vie chez d’autres éditeurs que Casterman ;Schuiten, De la Fuente, Tardi, Forest, Auclair n’étaient pas des débutants ; Sokal fut un des seuls a arriver à maturité dans ses pages.

          Depuis quand une revue d’avant-garde se destine-t-elle à se remplir de révélations inédites ? Schuiten n’était pas tout à fait un inconnu, certes, mais c’est dans (A Suivre) qu’il a donné toute sa mesure. Black publie David B qui avait publié dans Lapin. <Le réemploi d’auteurs classiques dans un registre inédit est également une des signatures de ce mensuel : Forest, Tardi, Comès, Auclair, Ted Benoit... pour ne citer qu’eux. C’est la fidélité d’ (A Suivre) pour Munoz et Sampayo qui leur a permis d’exister sur le long terme dans un paysage éditorial où leur publication n’était pas évidente. Donc, je ne te suis pas dans cet argument.

          L’environnement éditorial leur a fait conquérir un nouveau public justement très en attente ; il y avait dans l’air un engouement , une passion qui d’ailleurs a profité aussi à d’autres médias. Toute une génération a promu à sa façon sa passion et son intérêt qu’elle avait pour la bande dessinée. Angoulême est né de ces mêmes envies, cette même veine culturelle.

          Oui mais les "prétentions" d’ (A Suivre) étaient d’un autre ordre. Ce journal expérimentait une veine "littéraire" (les "romans (A Suivre)") qui n’avait pas été investie par les autres éditeurs et qui ne l’avait pas été jusqu’à récemment, jusqu’à ce que l’on découvre les "Graphic Novel". Fromental avait essayé avec la collection Autodafé (où est paru "Un Contrat avec Dieu", début des années 80) sans réussir à l’inscrire dans la durée. Au fond, ce qu’il fait aujourd’hui pour Denoël est une version aujourd’hui réussie de ses essais infructueux de l’époque. Il n’est jamais bon d’être trop précurseur.

          Le feuilleton comme toutes les expressions populaires a toujours été mis en avant dans un magazine comme (A suivre) ; la naissance d’Adèle Blanc Sec deux ou trois ans auparavant étaient déjà un hommage à cette école. Et on caricature aussi pensant que le noir et blanc perçait enfin alors qu’ Artima et consorts ont toujours été présents dans les kiosques.

          Là je vois pointer comme une sorte de mauvaise foi : Les Artima favorisaient plutôt le récit complet. La vraie "continuity", elle était plutôt du côté des Strange, mais dans un autre registre.

          Je ne pense pas que la mort du magazine soit à imputer à une dérive ou une mauvaise gestion des talents. Tout le monde sait que les facteurs sont bien nombreux et très complexes.

          Evidemment. Mais ce n’est pas ce que j’ai dit. Je pense néanmoins que ces contradictions étaient en quelque sorte leur péché originel.

          Munoz et Sampayo ont ouvert une brèche . Leur bande dessinée se faisait de plus en plus abstraite, même si les récits eux avaient une vocation romanesque traditionnelle( le roman noir, le roman psychologique)...ils ont développé une manière très free jazz de mettre en scène. L’expressionnisme est apparu, la caricature, la satire... si certains ont pu penser qu’ils en mettaient moins, c’est juste un automatisme de consommateur ! J’en veux pour mon argent, et ils dessinent moins ! Le professeur Choron se trompait un peu sur ce coup-là. C’est le même discours qui a fait dire que rien ne vaut l’académisme soigné ( Constable, Rubens) et que les gribouillis de Pollock ou Bacon c’est quand même digne d’une enfant de 5 ans( d’ailleurs le mien...) Munoz et Sampayo au contraire en mettaient plus ; ils s’éloignaient simplement d’une manière traditionnelle de faire , pour explorer, tenter, raconter autrement. Ils avaient exprimé pendant de nombreuses pages toute une série d’intentions ; ils se sont tourné vers une émotion plus brute et sont donc allés à l’essentiel.

          C’est leur audace qui a provoqué chez beaucoup des chocs artistiques. ils ont fait des centaines d’émules qui d’un coup se libéraient des carcans classiques. Comme des musiciens ont provoqué des déclics chez d’autres musiciens .

          Je te rejoins complètement dans cette analyse.

          Trente ans après, on taxe d’avant-garde ce qui n’était qu’une forme très pointue de classicisme.

          Toute avant-garde tend vers le classicisme, sur les ruines de l’ancien monde.

          Il y avait une très grande tenue, une dignité dans les récits qui elle, j’en conviens, était un peu hors-norme. Je me méfie de l’appellation avant-garde. Elle sous-entend un hermétisme, une distance avec le public. Le talent n’est pas une affaire temporelle.

          Cette méfiance te fait perdre l’objectivité nécessaire. Je crois que ce que faisaient nos deux amis argentins était tout simplement inouï, comme je l’ai dit. Mieux que ça : pensé, réfléchi, porteur d’une longue maturation, comme tu le soulignes par la suite. Mais oui, il y a eu dans (A Suivre) une tentative (pas forcément réussie) d’organiser un effet d’avant-garde autour de Pratt et de Munoz qui étaient, il faut en accepter l’augure, révolutionnaires.

          Quant à la manie de vouloir à tout prix trouver un équivalent actuel, il est aussi un piège de la pensée ; de celle qui encore prêche pour un passé meilleur et un présent mercantile. Pourquoi vouloir dénicher un pendant contemporain à une démarche artistique passée ? C’est absurde et vain.

          Pardon, mais là aussi, tu te trompes sur mes intentions et les posts de certains lecteurs d’ActuaBD qui précèdent me rassurent dans le fait que tout le monde ne s’est pas mépris. 1/ C’est le rôle du journaliste que de contextualiser un fait, de l’inscrire dans une suite de faits précédents, de comparer, de peser. Tout le monde n’a pas, comme toi, la culture qui permet d’évaluer l’importance de telle ou telle création. Dans cet article, j’exerce (ou je tente d’exercer) cette pédagogie. Ce n’est donc pas vain. Pour quelqu’un qui découvre les tendances actuelles de la BD, il est nécessaire de rétablir les filiations. Je pense qu’il est impossible d’expliquer David B, Frank Miller ou Paul Pope, sans parler des artistes qui, comme Munoz, les ont influencé à des niveaux très différents.

          Il y a une richesse actuellement ( et des débordements et des purs produits marketing évidemment) qui je pense tient la comparaison. Si vraiment on doit comparer. Je ne vais pas vous citer les 10 ou 20 incontournables actuels pour prouver à quel point on vit un moment dense et passionnant.

          Absolument. A tous les points de vue, un âge d’or.

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  • Alack Sinner, du roman (À Suivre) au roman graphique
    20 décembre 2007 22:36, par Rosse

    Pour jeter un pavé dans la mare... J’ai collaboré avec le Pr. Choron (qui donc publia Alack Sinner). Il me racontait qu’il était furieux de l’évolution de Munoz "Tu dessines de moins en moins de cases par pages !"

    Malgré les exubérances évidentes du personnage, je ne peux que reconnaître qu’il faisait écho à un sourd mécontentement que je ressentais aussi face aux oeuvres post-Sinner de Munoz. Qq part je me sentais floué sur la quantité. Devant l’oeuvre aussi maitrisée d’un artiste si intransigeant, cela semble mesquin. Mais qq’un a-t-il ressenti aussi cette frustration ?
    (Ceci-dit Alack Sinner est un chef d’oeuvre de pages en pages, un méta-récit dont je ne connais pas l’équivalent actuel)

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  • Alack Sinner, du roman (À Suivre) au roman graphique
    20 décembre 2007 23:21, par Rosse

    Et un autre truc : ça m’est complètement sorti de l’esprit quel était le maquettiste génial de Charlie Mensuel et des "Bouquins Charlie"...?

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  • Alack Sinner, du roman (À Suivre) au roman graphique
    21 décembre 2007 14:21, par Tom

    Parce qu’il y a un nombre limité et correct de cases par page ? Après le 48CC, le 9Cpp
    (9 cases par page) ? ce qui importe c’est la construction d’une page, pas de compter : c’est cela qui me semble mesquin, vos réflexions sur le nombre de cases ! quelle importance ?

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    • Répondu le 21 décembre 2007 à  21:08 :

      quelle importance ?

      La densité de la narration , peut-être ?

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      • Répondu par Sergio Salma le 22 décembre 2007 à  16:31 :

        C’est joli ça.

        la densité de la narration s’évaluerait au nombre de cases. M’enfin ! comme dirait l’autre.
        Donc les auteurs qui placent 18 cases par page, qui remplissent les bulles à ras bord et rajoutent un récitatif bien touffu ont donc une narration plus dense.

        C’est marrant cet exemple, c’est comme si le nombre de plans dans une séquence de cinéma était un signe de densité( Jan Kounen et Jean-Marie Poiré sont donc beaucoup plus denses que Salvadori ou Haneke)

        Si vous entrez dans une expo Klee avec la même attente que lorsque vous visitez une expo Vermeer ou Klimt, vous serez déçu.

        3 cases de Quino, de Schultz ou de Watterson noir et blanc sans un seul décor valent bien des séquences touffues, bourrées à craquer d’éléments décoratifs.

        Je préfère de loin un langage clair et juste à un salmigondis d’intentions. Et pas seulement dans la bande dessinée d’ailleurs.

        ça me fait un peu penser à cette blague belge (transposable évidemment) sur le gars qui va dans un magasin de chaussures et qui , bien que chaussant du 43, achète la pointure 46 sous prétexte que c’est le même prix.

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        • Répondu par Rosse le 23 décembre 2007 à  00:25 :

          Allons Sergio, vous pouvez mieux que ça... je crois. Je faisais part d’une frustration sourde. Pas d’un dogme que je souhaite instaurer. Personnellement -et ce mot doit revêtir toute sa signification- j’ai ressenti une réelle frustration devant cette tendance à l’ellipse, à l’abstraction. A mes yeux le récit a gagné en beauté abstraite mais il a perdu en efficacité critique -terrain pourtant dans lequel le talent de Munoz s’exprime.

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          • Répondu par Sergio Salma le 23 décembre 2007 à  18:44 :

            Bon, c’est vrai que c’est plus complexe. L’écrit a un tort, il réduit, schématise.

            Je tente le coup.
            Avec Munoz et Sampayo, c’est tellement riche.

            La frustration du lecteur, du spectateur, de l’auditeur est une donnée assez incongrue. Parce que ça réduit l’artiste à une fonction de fournisseur. La logique consumériste prend le dessus alors que ce n’est qu’accessoire. Bien entendu, le lecteur a acheté un livre ; il a une attente qui n’a pour référence que l’expérience précédente. J’ai acheté le livre d’un auteur, j’achète le suivant, je veux par conséquent goûter au même plaisir, en avoir pour mon argent , être satisfait en somme.

            Bien sûr que je ne vous reprenais, Monsieur Rosse, pour affirmer que vous aviez une vision limitée. La phrase était" la densité de la narration peut-être ?"...j’imagine donc bien qu’il s’agit d’une suggestion et non d’une affirmation sans concession.

            Mais elle relève justement par ce qu’elle induit, cette question,de toute une philosophie ambiguë. Non pas que je remette en cause votre façon de voir la vie, chacun son territoire et ses lois, mais cette frustration que vous avez ressentie est un signe.

            Le signe que vous attendez d’un artiste un apport, un objet. Or, un artiste suit son chemin et si le lecteur (idem pour le théâtre, la danse, le cinéma etc...) est témoin de son évolution c’est secondaire.

            Pour revenir sur Munoz et Sampayo, on les a découvert dans un format, une forme qui étaient une étape de leur parcours. Quand ils ont encore avancé , ils sont allés vers une forme plus épurée , plus "vide". Eux, auteurs , avaient derrière eux des centaines et des centaines de planches exécutées dans une manière encore plus "sage", se rattachant quasiment à une école purement classique. Je pense qu’ils en avaient fait le tour et cherchaient justement à sortir d’un carcan.

            Le rapprochement avec Pratt est évident. Venant lui aussi d’un style très académique , l’école Caniff, il a petit à petit non seulement épuré son dessin mais c’est surtout , et bien avant toute chose, dans la philosophie de son travail qu’il a pratiqué sa révolution personnelle. Celle qui conduit un artiste à trouver de nouveaux territoires , s’exprimer sur de nouvelles pistes, tenter , expérimenter parfois au risque de se perdre en n’étant plus tout à fait à sa place.
            Il n’était qu’un simple faiseur, un producteur et puis il devient un individu, une personne plus complète qui s’exprime avec moins de retenue, moins de non-dits, plus de franchise. Pour ces auteurs, l’autre révolution est géographique. Ils évoluent aussi parce qu’ils changent de continent !

            Sans doute que l’accueil qui a été fait à leur travail en France ( l’un était en Espagne l’autre en Italie si je me souviens bien) les a poussé tous deux dans des champs d’expérimentation ; ils explosaient des codes, défrichaient sans cesse. tant au niveau graphique que narratif. Je tiens à réaffirmer que les deux sont liés ( au risque de paraître redondant)

            Quand un auteur venant d’une école très rudimentaire,fonctionnelle, rigide comme l’a sans doute été le monde de l’édition argentine, décide de changer de format, d’approche, c’est tout son métier qu’il remet en cause. C’est impératif de toute façon ; c’est l’ennui qui guette ou encore plus simplement la volonté de se prouver à soi-même, voyant autour de soi le monde artistique évoluer, comment ne pas vouloir participer à ce mouvement ?
            Sans parler de l’âge et de sa propre maturité, qui reprocherait à un individu de penser à 40 ans autrement qu’à 20 ou 30 ?

            Le lecteur qui découvre un auteur à un certain moment de sa carrière va l’apprécier et établir inconsciemment une échelle de valeurs. Si son plaisir est maximal à sa première lecture, l’auteur a intérêt à maintenir le cap. Il en est de même pour une revue ( qui voit chaque évolution détestée ou mise en cause par une grande partie des habitués).

            Quand Munoz dessine en s’approchant littéralement des personnages , jusqu’à en dessiner les poils de nez parfois, c’est pour pouvoir laisser libre cours à son pinceau, pinceau qui répondait à des impératifs narratifs. Puisque Sampayo (je caricature bien sûr ) a sans doute dans son descriptif parlé d’une tronche, une figure à mettre en avant, pour montrer dans le décor le grotesque, le pittoresque.

            Alors évidemment, il ne mettra plus en scène des flics dans leur bureau, bureau duquel on voit une fenêtre. Au travers de laquelle, la ville , là-bas brillant de mille feux, s’étale dans toute sa noirceur.
            Il dessine autre chose qui parle d’autre chose.

            Le lecteur Lambda( ou Rosse) ayant constaté que dans les livres précédents le nombre de cases et même la longueur des textes dans les phylactères étaient autrement plus conséquents, ressent alors une frustration sourde.

            C’est légitime et personnel mais c’est aussi un signe que l’on décroche tout simplement . Mais la logique consumériste( c’est un bien vaste débat, on parlerait de la société du spectacle, de conservatisme , d’académisme, de subversion je vous raconte pas ) poussera à penser que l’auteur "dévie de sa route" alors qu’il poursuit simplement son chemin.

            Les cas sont nombreux. Et à peu de choses près ce sont les mêmes mots qui reviennent. La phrase type étant " Woody Allen était bien plus drôle à ses débuts."

            Les peintres suivent généralement aussi cette voie vers "l’abstraction"( il faudrait aussi prendre des pincettes avec ce mot) ; on aime souvent plus les auteurs, les artistes quand ils représentent la réalité d’une manière analogique. Pour la simple raison très basique, qu’on a l’impression alors qu’ils se démènent , qu’ils suent à grosses gouttes et qu’ils ne balancent pas leur travail , la bâclage pointe, le je-m’en-foutisme se profile . Il faut souffrir pour être bon.

            C’est comme ça que j’ai compris cette expression " densité narrative ".
            Comme un reproche fait à des auteurs.

            Il faut envisager , puisqu’on est dans la position privilégiée de gens qui observent d’autres gens travailler, un parcours général, global. Comprendre que l’auteur fasse ce chemin en se débattant souvent dans une insatisfaction maladive.
            Accepter simplement que notre état de spectateur fait partie d’un immense malentendu. L’artiste n’est pas au service de la société dans laquelle il travaille ; il est totalement superflu et indispensable. Vous ne pouvez pas lui reprocher comme à un simple fournisseur de service ou de biens un manquement à un cahier des charges, puisque le cahier des charges c’est lui qui est en train de l’écrire.

            Le spectateur a droit à sa frustration ou à son émerveillement, c’est le même prix.

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            • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 23 décembre 2007 à  19:00 :

              Quelle belle intervention, Sergio. Je découvre tes talents de Saint Jean Chrysostome. C’est tellement vrai dans le cas de Munoz qui est vraiment tout sauf un carriériste. La première chose qu’il ait dite quand il a reçu le Grand Prix, c’est : "Il appartient autant à Sampayo qu’à moi". Le sens de l’amitié et le talent, c’est la classe.

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        • Répondu le 23 décembre 2007 à  04:32 :

          Bon, il ne faut pas prendre la mouche ! Bien sûr que le nombre de case par page n’est pas fonction UNIQUE du discours narratif, surtout si on compare des pommes et oranges ensemble. Mais à contenu par case égal, le nombre de cases par pages crée une réelle différence, non ?

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  • Alack Sinner, du roman (À Suivre) au roman graphique
    21 décembre 2007 20:12, par Rémy Carin

    Une petite information pour ceux qui envisageraient d’acheter le livre : outre le fait que le papier est franchement transparent et nuit considérablement au confort de lecture, je tiens à vous alerter sur le fait que le sticker collé sur la couverture est presque impossible à enlever sans causer de sérieux dommages au livre ! Je m’en suis aperçu malheureusement trop tard...

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