Dans la bande dessinée américaine, depuis le procès qui opposa Rudolh Dirks et son éditeur William Randolph Hearst à propos des Katzenjammer Kids, les personnages appartiennent à leurs éditeurs. En France, jusqu’il y a quelques années, c’est l’auteur qui était le propriétaire de ses personnages. Alors que Tintin appartient à Hergé et ses ayants droits, Batman, Captain America ou Daredevil appartiennent à leurs éditeurs qui en confient la réalisation à divers artistes qui se passent le relais de leurs aventures, chacun livrant sa vision des personnages.
Même s’ils ont pu être dessinés par d’autres talents, Astérix reste attaché à Uderzo et Goscinny, comme Sambre le sera toujours à Yslaire ou Titeuf à Zep. Tandis que l’on ne peut résumer Daredevil à un auteur : on parlera du personnage selon Frank Miller, Brian Michael Bendis, John Romita Jr. Stan Lee, Ann Nocenti et bien d’autres.
Cependant, avec le temps, cette dichotomie apparaît aujourd’hui comme dépassée. Il existe en effet outre-Atlantique une culture du Creator-Owned où les séries et les personnages appartiennent aux auteurs, l’éditeur Image Comics en est l’un de ses représentants emblématiques. A contrario, en Europe, cela fait maintenant bien des années que les auteurs se succèdent sur Blake & Mortimer où s’approprient des personnages comme Spirou et le Marsupilami, devenus les marques-propriétaires d’un grand groupe d’édition.
Jean van Hamme passe lui aussi le relais sur la plupart de ses grandes créations et a même supervisé des spin-off à XIII et Thorgal, une pratique que les éditeurs américains connaissent très bien. L’année dernière Grzegorz Rosinski a laissé les crayons de Thorgal à Fred Vignaux, et cela fait des années que la destinée d’Astérix n’est plus entre les mains de ses créateurs d’origine .Ce n’est d’ailleurs probablement qu’une question de temps avant que Tintin ne vive de nouvelles aventures...
Des personnages comme Batman, Mickey ou Lucky Luke sont devenus des icônes, des symboles que la popculture s’est appropriés. Ils ont brisé les frontières du 9e Art pour devenir des films, des séries animées, des jeux vidéo, des timbres, des statuettes... Le marché de la bande dessinée tend à se structurer autour d’univers de parcs d’attraction.
Ce qui se comprend. Un personnage vend, un auteur vend : réunir la puissance de ces deux marques (Mickey ou Disney) garantit forcément une attraction commerciale et le roulement des auteurs en assure une longévité avec à la clé des recettes-records !
Voilà maintenant 80 ans que Batman vit des aventures tous les mois sous de multiples signatures, c’est la fameuse Continuity US ! On imagine que convaincre un artiste de travailler avec un tel personnage ne constitue pas un problème, tant il reste admiré.
Le fait que cette pratique se généralise entre le Japon et l’Europe consacre en quelque sorte la victoire du modèle américain, et ce n’est pas les dernières métamorphoses d’Alix qui viendront nous contredire.
Les signes avant-coureurs n’avaient pas manqué : on se souvient de la collaboration entre Stan Lee et Moebius sur Silver Surfer : Parabole, de l’intervention d’Enrico Marini sur l’univers de Batman ou la collaboration entre Glénat et Disney sur Mickey.
Aujourd’hui, c’est au tour de Didier & Lyse Tarquin d’investir l’univers d’Albator tandis que Jean-David Morvan envisage de rebooter l’univers d’Astro Boy, d’éminentes icônes japonaises. Vivons nous "l’ère Meiji du manga" ?
Alors que le phénomène des Global Manga commence à s’installer en France (cf. le succès de Radiant ) du fait d’une nouvelle génération d’auteurs et d’éditeurs exposés intensément aux manganimes, suivie par une autre sevrée aux comics hollywoodiens, les frontières s’effacent de plus en plus entre les grandes nations de la bande mondiale. Le mur de Trump n’y pourra rien !
Bientôt les Fantastic Four commenteront le Talmud sous le crayon de Joann Sfar, Astérix embarquera dans une fusée Nagma en direction de la Tôkyô de Rumiko Takahashi, et Superdupont sera confié à Frank Miller...
Vous souriez ? Qui aujourd’hui peut affirmer que c’est impossible ?
Ce n’est pas encore au programme, et intéressons-nous pour l’instant à ce qui nous attend prochainement. Prévu au format Franco-Belge classique, l’album de Didier et Lyse Tarquin avec Albator devrait arriver dans quelques mois, grâce à une collaboration de Michel Lafon et des de Shibuya Productions, une société monégasque produisant des films d’animation et des jeux vidéo.
En ce qui concerne Astro Boy : Année Zéro, l’ouvrage devrait arriver tout prochainement et pourrait donner lieu à des suites. Jean-David Morvan sera accompagné des dessinateurs Gérald Parel - qui avait déjà dessiné Iron Man : Season One - et Guillaume Martinez. On y suivrait la résurrection du jeune robot dans le corps d’un adolescent qui ignorerait sa condition.
Des rumeurs parlent aussi d’une reprise de Cobra, nous restons aux aguets...
(par Vincent SAVI)
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