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Alcante (Rani, Jason Brice) : "Je n’ai pas hésité une seule seconde à adapter en BD une histoire de Jean Van Hamme"

Par Nicolas Anspach le 4 janvier 2010               Rani, Jason Brice) : "Je n’ai pas hésité une seule seconde à adapter en BD une histoire de Jean Van Hamme"" data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
Après avoir publié en 2005 la très remarquée et conceptuelle série {Pandora Box}, {{Didier Swysen}}, alias {{Alcante}}, a rapidement confirmé son talent avec {Jason Brice}. Il y revisite avec originalité les récits policiers fantastiques du début du vingtième siècle. Le talent de ce jeune scénariste a été remarqué par {{Jean Van Hamme}}, le papa de {Largo Winch}, qui lui propose de réaliser un {XIII Mystery} et, quelques mois plus tard, d’adapter {Rani}, un vieux projet de série télé. Rencontre.

Alcante (<i>Rani</i>, <i>Jason Brice</i>) : "Je n'ai pas hésité une seule seconde à adapter en BD une histoire de Jean Van Hamme"Votre collaboration avec Jean Van Hamme sur Rani est née suite à votre participation à XIII Mystery. Pourquoi a-t-il songé à vous pour écrire une histoire autour d’un personnage secondaire de la série XIII ?

Mes premiers Pandora Box sont parus à l’époque où Jean Van Hamme avait fait part de son intention d’arrêter de scénariser certaines de ses séries. A l’époque, je lui avais écrit une longue lettre où je me portais candidat à la reprise de Thorgal. Je n’étais sans doute pas le plus expérimenté, mais je m’estimais être le plus motivé. Thorgal est l’une des séries importantes qui m’a accompagné au fil des ans. Il m’a répondu de manière assez sympathique en disant avoir lu et apprécié Pandora Box, et qu’il prenait ma candidature au sérieux. Yves Sente a finalement été choisi pour cette reprise.

Sophie Dumont, l’attachée de presse belge des éditions Dupuis, s’était arrangée pour que nous déjeunions ensemble alors que nous étions tous les deux en tournée presse. Nous nous sommes tout de suite bien entendu. Quelques semaines plus tard, Jean Van Hamme m’a envoyé un e-mail pour me dire qu’il avait quelque chose à me proposer.

Extrait du T1 de "Rani"
(c) Vallès, Van Hamme, Alcante et Le Lombard

Vous avez donc écrit "Amos", un XIII Mystery qui sera dessiné par François Boucq. Votre scénario devait bigrement tenir la route puisqu’il vous a proposé Rani dans la foulée…

Ce n’était pas vraiment dans la foulée. Deux ans se sont passés entre les deux projets. J’ai écrit le scénario d’Amos en 2007. Jean Van Hamme m’a contacté un peu avant la Noël 2006 pour me proposer de participer à l’aventure XIII Mystery. A cette époque, seul Xavier Dorisson avait déjà été engagé pour « la Mangouste », et j’avais donc le choix entre tous les personnages à l’exception de celui-là. Tout de suite, j’ai eu envie de m’attaquer au personnage d’Amos. Mais comme il s’agissait d’un choix vraiment important, j’ai décidé de d’abord relire tous les albums de XIII, en prenant des notes, et en effectuant une « présélection » de personnages. Mais au final, ça n’a rien changé. Ma première intention était la bonne. Amos m’intéressait plus que les autres.

Pourquoi ce personnage-là ?

XIII est une série culte et j’avais envie d’animer un personnage important. Amos apparaît très tôt dans la série, dès le premier album. Il est âgé et a donc un passé important dont on ne sait finalement pas grand-chose mis à part les quelques lignes que Jean Van Hamme a rédigées pour le treizième album de XIII, XIII Mystery. Amos est un ancien agent du Mossad. Il a eu un différent avec les autorités israéliennes et a quitté son pays. Des années plus tard, il se retrouve à enquêter sur l’assassinat du Président Sheridan. Cet homme a donc un vécu, une expérience indéniable. C’est aussi un personnage ambigu. Il est chétif, vieux, faible et manchot. Mais en même temps, il exerce un certain pouvoir de par la position qu’il occupe. Dans la première scène où il apparaît, il se montre inquiétant ! Amos sauve XIII un des tueurs de la Mangouste, mais n’hésite pas à le torturer peu de temps après pour le faire parler.

Extrait du T1 de "Rani"
(c) Vallès, Van Hamme, Alcante & Le Lombard.

Jean Van Hamme vous a ensuite proposé d’adapter le scénario d’une série télévisée qu’il avait écrite. Qu’est ce qui vous intéressait dans ce projet qui ne semble pas être très créatif ?

L’année dernière, j’ai abandonné mon travail d’économiste chez Infrabel, la société qui gère l’infrastructure ferroviaire belge. Je m’étais déjà orienté vers un temps partiel quelques années avant. J’ai pris la décision difficile de quitter mon job. Ce ne fut pas facile. En tant qu’employé, un salaire tombe à la fin de chaque mois. Dans la bande dessinée, les rentrées financières sont plus irrégulières et et incertaines. J’ai pesé les avantages et les inconvénients d’une telle décision. Deux jours après avoir annoncé à mon employeur que je partais, Jean Van Hamme m’a téléphoné pour me proposer cette adaptation. Je n’ai pas hésité une seule seconde. Travailler avec Jean Van Hamme lorsque l’on est un jeune scénariste, cela ne se refuse pas ! Mes premiers scénarios ont été publié dans Spirou en 2002, ne l’oublions pas.

L’histoire et les personnages sont donc créés par Jean Van Hamme. Mais il y a quand même un travail de création de ma part pour Rani, car je travaille sur la base de son synopsis et non de la version finalisée et dialoguée du scénario. Je dois modifier le synopsis pour qu’il corresponde au format imposé par la bande dessinée. Je découpe donc l’histoire en séquences et en pages. Il faut aussi approfondir les scènes floues. Par exemple, dans le synopsis, Jean Van Hamme est capable d’écrire une scène en une ligne. Dans le deuxième tome, Jolanne va fréquenter une troupe de gentils bandits et être en concurrence avec la compagne de leur chef. Jean Van Hamme explique une bagarre entre les deux femmes par une phrase du type : « Au bout d’une lutte acharnée, Jolanne gagne ». On ne peut pas donner un tel découpage à un dessinateur (Rires). La bagarre a eu lieu dans quel contexte ? Il y avait-il des armes ? etc. Je dois donc approfondir, et développer ces scènes floues. De son côté, Jean Van Hamme finalise aussi son scénario avant qu’il ne soit confié au réalisateur. A l’arrivée, il y aura donc des petites différences. De même, nous écrivons chacun nos propres dialogues.

Extrait du T1 de "Rani"
(c) Vallès, Van Hamme, Alcante et Le Lombard.

La BD sera donc différente de la série télévisée ?

La série va être tournée. Je ne crois pas qu’il y ait trop de doute à ce sujet. Oui, la BD sera différente. C’était d’ailleurs l’une des craintes de Francis Vallès. Il avait peur de devoir se calquer sur le physique de certains acteurs. Jean Van Hamme l’a apaisé en lui disant qu’il devait suivre ses envies, son instinct. Les personnages seront donc différents, les décors également. La bande dessinée offre plus de liberté que la télévision.

Qu’avez-vous appris au point de vue de la construction d’une histoire en travaillant avec Jean Van Hamme ?

Jean Van Hamme a déjà écrit les huit épisodes de Rani. Je les ai tous lus. C’est du feuilleton à l’ancienne avec beaucoup de rebondissement. Ceux-ci sont parfois prévisibles, mais toujours amusants et distrayants. Son scénario ne contient aucun temps mort et, quasiment à chaque scène, on passe d’une valeur positive à négative. Jolanne se sort du pétrin, puis s’enfonce dans un autre problème.

Rani
(c) Vallès, Van Hamme, Alcante & Le Lombard

Est-ce vous qui chapeautez le dessinateur, Francis Vallès ?

J’ai terminé le découpage du premier album avant qu’il ne commence la moindre planche. Il a donc reçu le scénario complet. Il aime travailler dans son coin et envoyer son travail par tranche de quinze pages. Je les ai donc vues finalisées.

Parlons de votre autre nouveauté, Jason Brice. Le premier tome, Ce Qui est écrit, formait une histoire indépendante. En lisant le deuxième album, on s’aperçoit qu’il s’intègre en fait dans un cycle.

Effectivement. Lorsque j’ai proposé Jason Brice à Daniel Bultreys, l’éditeur qui a signé mon contrat chez Dupuis. [Après son licenciement des éditions Dupuis en février 2009, il a rejoint les éditions Glénat Benelux.]], je n’étais pas fixé sur le nombre d’albums de la première histoire. Daniel m’a conseillé de condenser l’histoire afin que le lecteur n’attende pas des années avant de lire la fin du récit. Il voulait que le premier tome puisse se lire comme un one-shot, avec une vraie fin, afin que le lecteur se familiarise avec le personnage. C’était bien évidement un pari. Nous espérions que le lecteur accroche à la série et qu’il découvre lors de sa lecture du second album que tout n’a pas été dit dans la première enquête. Nous avons laissé quelques portes ouvertes. Le premier cycle se clôturera avec la publication du troisième album.

Extrait du T3 de Jason Brice (à paraître)
(c) Milan Jovanovic, Alcante & Dupuis

Milan Jovanovic est né en ex-Yougoslavie. Est-ce facile de travailler avec des auteurs dont la langue maternelle n’est pas le français ?

Internet a considérablement facilité les échanges. Je travaillerai de la même manière avec un dessinateur qui habite à Anvers ou un autre en Nouvelle-Zélande. Milan parle très bien le français. C’est un atout. J’ai travaillé avec des auteurs qui ne parlaient pas le français et on est obligé de dialoguer en anglais. Quand on a des idées divergentes, cela peut poser des problèmes de contre-argumenter dans une langue qui n’est pas la sienne. Je suis pleinement satisfait de Milan. Je lui avais demandé de m’envoyer le story-board, mais il n’était pas très chaud à cette idée. Pour lui, c’était une incitation pour le scénariste à demander des changements. Il m’envoie ses planches terminées. S’il y a vraiment un problème, on en parle et il modifie si nécessaire. Il est à la moitié du troisième album, et jusqu’à présent, je ne lui ai demandé de ne modifier qu’une seule planche. J’essaie d’être le plus descriptif possible pour lui éviter ce genre de travail inutile.

Extrait du T3 de "Jason Brice" (à paraître)
(c) Jovanovic, Alcante & Dupuis

« Quelques jours ensemble », le one-shoot que vous avez réalisé avec Fanny Montgermont a eu un bon accueil.

Nous avons été agréablement surpris ! Les critiques ont été encourageantes, et beaucoup de lecteur nous ont dit, en dédicace ou sur les forums, que cette histoire les avait fait pleurer ! Cela m’a fait plaisir car moi-même je n’ai pleuré qu’une seule fois en lisant une bande-dessinée. Enfin, c’était un manga Say Hello To Black Jack de Shuho Sato, qui raconte les stages dans différents services d’un hôpital d’un jeune médecin idéaliste. Ce manga est ultra-réaliste, tant au point de vue humain que médical. Au Japon, cette série a eu un succès incroyable et a suscité des propositions de loi pour palier aux erreurs du système de santé qui étaient dénoncées dans cette série.

Techniquement parlant, cela doit être compliqué d’arriver à faire pleurer le lecteur.

J’avais réfléchi à ce problème en écrivant Quelques jours ensemble. Qu’est-ce qui peut nous faire pleurer dans un film ? Le moment où le spectateur craque est souvent celui où il y a des longs plans après un événement dramatique ou émotionnellement intense. La musique fait le reste ! En bande dessinée, il est impossible d’arriver à cela. Nous n’avons pas de bande son et le lecteur décide seul de son rythme de lecture. Les auteurs ne peuvent et ne savent pas lui imposer de regarder une image pendant trente seconde. C’est donc horriblement compliqué de faire passer des émotions, et particulièrement des émotions tristes. Tout comme lui faire peur dans une histoire horrifique !

Alcante et Matteo ont participé au T2 de VampyresJustement, vous avez travaillé récemment sur le diptyque Vampyres, une œuvre collective parue chez Dupuis.

Oui. Ce sont des adaptations de nouvelles. Un éditeur de roman avait demandé à six personnalités littéraires d’écrire une nouvelle sur un même thème qui se passait dans le village de Sable Noir. Chaque année, une malédiction a lieu le 3 novembre. Ces nouvelles ont été adaptées en téléfilm et l’éditeur a eu l’idée d’en faire des bandes dessinées. Dupuis s’est embarqué dans l’histoire. Mon éditeur m’a demandé d’en faire une avec Matteo. Autant j’ai été fidèle au synopsis de Van Hamme pour Rani, autant j’ai pris quelques libertés pour Vampyres. J’ai écrit un prequel de la nouvelle, Les Âmes meurtries. Les nouvelles et les adaptations DVD sont sorties au même moment que la BD.

Quels sont vos projets ?

Il y a Clair-Obscur, un nouveau one shot avec Fanny Montgermont qui a déjà été évoqué dans vos pages. Je vous ai également déjà parlé du projet sur le phare de Southstack avec Matteo.

Extrait de Re-Mind (à Paraître)
(c) Alcante, Mutti & Dargaud

Sinon, je prépare un thriller avec Andrea Mutti, Re-Mind. Le premier cycle en deux albums sortira en 2010 chez Dargaud. On dit que, juste avant de mourir, on voit sa vie défiler sous ses yeux. J’ai imaginé que le FBI avait développé une technologie pour enregistrer ce défilement. veut l’utiliser sur un de leur agent qui est dans le coma. Ce dernier a infiltré un groupement terroriste mais s’est fait démasquer et, juste avant que sa voiture n’explose, l’agent était en communication avec son service pour les informer qu’un attentat avec une arme bactériologique allait avoir lieu le lendemain. Le FBI ne connaît ni le lieu, ni l’heure de l’attentat. Ils décident d’utiliser cette technologie pour récupérer le fil de vie de leur agent, en espérant avoir la réponse à leurs interrogations. Le problème, c’est que le seul moyen d’obtenir ce film, c’est de tuer leur agent…

Extrait du T1 de "La conjuration de Cluny" (à paraître)
(c) Malisan, Alcante & Glénat.

Je prépare également un autre thriller, la Conjuration de Cluny, qui paraîtra chez Glénat. Ce récit sera dans la lignée du Nom de la Rose. Un chevalier revient dans une abbaye où il avait été novice quelques années auparavant. Il se retrouve à enquêter sur un complot qui pourrait changer le cours de l’histoire. Luca Malisan dessinera ce projet, il s’agit d’un jeune Italien qui a jusqu’à présent surtout travaillé comme coloriste pour de très nombreux albums et qui en a réalisé un en tant que dessinateur (La Croisade des enfants chez Soleil).

Extrait de Clair-Obscur (à Paraitre dans la collection Aire Libre, chez Dupuis)
(c) F. Montgermont, Alcante et Dupuis

(par Nicolas Anspach)

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Lire les chroniques de :
- Rani T1
- Jason Brice T1 et T2.

Lire une autre interview d’Alcante : "Van Hamme est pour moi le Ronaldinho du scénario" (Août 2008)

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Photo : (c) Nicolas Anspach

 
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