La révolte d’Aldo Rémy est surtout celle de Tibet, vissé dans le catalogue du Lombard et dont les débuts, et finalement toute la carrière, ont été marqués par la lourde influence d’Hergé, le créateur de Tintin l’envoyant publier Chick Bill dans Junior en attendant que cette série animalière au départ devienne une bande dessinée avec des « vrais » être humains, écartant les jeux de mots vaseux, les comédies par trop burlesques, les trouvant « vulgaires ». Pour un gars comme Tibet, un Marseillais émigré avec sa famille à Bruxelles et qui y vécut dans un quartier populaire plutôt miséreux, c’était un peu pesant : « J’ai voulu faire une série où je me sentais complètement libre, un truc qu’Hergé n’aurait pas apprécié, mais tant pis. »
Ça devait sortir. Tibet fait son album en ne consultant personne, certainement pas son éditeur, juste ses proches. Quand il présente la série au Lombard, ils sont un peu surpris : Tibet fait partie des forçats de la série, pourquoi veut-il s’arrêter de ramer (un Ric Hochet et un Chic Bill par an en moyenne depuis près de soixante ans) et se met-il à faire des trucs « perso » ? Refusé. Tibet porte alors le projet chez Paul Herman chez Glénat qui saute sur l’opportunité de débaucher un auteur « historique » du Lombard. À Grenoble, on ricane.
C’est un album sans prétention qui ressemble à l’auteur comme à deux gouttes d’eau : plein d’humour, de faconde, d’à-propos, de jeux de mots vaseux balancés avec bonhommie.
Aldo Rémy, est un héros sans emploi, un vrai celui-là. Pour subsister, il vend ses services au premier venu, surtout si c’est une accorte jeune femme. La trame du décor est à peine réaliste. C’est une ville sinistrée du Nord qui ressemble beaucoup à Charleroi. C’est un quartier pauvre où tout le monde se connaît et se tutoie : mauvais garçons et honnêtes lurons. Le dessinateur Dany fait remarquer à Tibet que les pauvres, aujourd’hui, vivent dans des HLM. Tibet n’en a rien à faire : il décrit la pauvreté telle qu’il l’a connue enfant, dans le quartier (aujourd’hui si « bobo ») de la paroisse de Saint-Géry à Bruxelles, et dont le curé habitait pas loin, dans la rue du Bon Secours. Des détails qui ne s’inventent pas.
Il s’amuse de ce qu’on l’on voit ses personnages coucher ensemble, chose qu’il s’est interdite de faire pendant des décennies dans le « Journal des 7 à 77 ans ».
Ce qu’il retient de ces pauvres, c’est leur dignité, leur bonne humeur en dépit des difficultés, leur volonté de s’en sortir, leur fraternité. Des valeurs un peu dissipées aujourd’hui et qui, dans Aldo Rémy, en dépit d’une transposition abstraite (comme au théâtre), restent parfaitement intactes.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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