Alex Alice et le phénomène "Château des Étoiles"

Peut-être n’aviez-vous pas encore lu le premier tome du Château des Etoiles, la dernière série d’Alex Alice, déjà primé au titre du meilleur album du Prix Diagonale – Le Soir 2015 ? Rappelons alors que ce diptyque s’inscrit dans la découverte de l’éther, une substance dont les scientifiques pensaient auparavant qu’elle remplissait l’espace.

Comme nous vous l’avions déjà présentée, l’intrigue se déroule vers la fin du XIXe siècle, alors qu’un jeune garçon doué et ingénieux nommé Séraphin rêve d’expéditions dans les airs. Le gamin a des raisons très personnelles : sa mère a mystérieusement disparu lors d’une expédition en ballon à la « recherche de l’éther », au-delà de 13 000 mètres, nouvelle frontière à conquérir en ce siècle finissant. Peu après, Archibald, son père, ingénieur des Mines est invité par Louis II de Bavière à travailler à la construction d’un engin capable de se déplacer dans les airs...

Après bien des rencontres et des aventures, Séraphin, son père, le Roi de Bavière ainsi que deux jeunes enfants (et un chien) quittent précipitamment le château à bord de cet engin : l’Ethernef. Mais ce départ en catastrophe, provoqué par des remous politiques, n’ont pas laissé aux explorateurs l’occasion d’étudier tous les possibilités de leur appareil, et les dangers de l’éther dans lequel ils circulent. Ce voyage risqué va les entraîner jusqu’à la Lune, et y découvrir des phénomènes étranges qui vont changer la face de l’humanité.

Une construction aventureuse qui monte crescendo

Outre la version standard, ce second tome est aussi disponible en grand format...

Le premier tome de ce diptyque a permis à Alex Alice de soigneusement placer les thématiques merveilleuses de cet univers romantique et fantastique, tout en donnant la place nécessaire aux personnages pour se positionner solidement dans l’esprit du lecteur. Cette savante construction déploie toute sa puissance dans le second tome, rythmé de bout en bout par des péripéties et des rebondissements. Le fait d’avoir pris le temps de bien connaître les protagonistes fait vivre au lecteur la large gamme d’émotions qu’ils traversent.

Dans cette ambiance qui tient autant du romantisme allemand que de Jules Verne, la mise-en-page des planches ne doit rien au hasard : la forme des culs de lampes renvoie le lecteur au merveilleux et à l’aspect sphérique des astres qui dominent cette seconde partie du ¡Château des Étoiles. La mise en scène se plie également à une redoutable efficacité, que cela soit dans l’évocation de la tension qui saisit les personnages à chaque péripétie, ou lors des spectaculaires scènes d’action.

Ceux qui auraient pu croire que ce voyage sidéral serait morne se trouveront bien démunis ! Sabotage et accidents se succèdent sans aucun temps mort. L’esprit des découvertes scientifiques du XIXe prend ensuite le pas, donnant à voir des principes physiques bien différents de notre réalité. Il faut en effet lire La Château des Étoiles en s’affranchissant de ce que l’on connaît, mais en se repositionnant dans l’esprit des récits de Jules Verne : si l’éther existe, pourquoi ne pas imaginer l’espace et la Lune dotés d’extraordinaires capacités ? À chaque page, le merveilleux permet à la fois de repousser les limites de l’aventure, tout en laissant deviner des possibilités insoupçonnées ! Et Alex Alice ne se prive pas d’emmener ses lecteurs au bout du voyage, avec une conclusion qui est aussi intéressante que le périple accompli.

Sur les traces de Tintin

...et a intégré un pack regroupant les deux tomes.

Les lecteurs expérimentés feront bien entendu un parallèle entre Le Château des Étoiles et le diptyque Objectif Lune & On a marché sur la Lune. En recevant son prix Diagonale – Le Soir, Alex Alice avait d’ailleurs confié toute l’admiration qu’il portait à Hergé. Si la construction générale du récit mérite cette comparaison, il n’est bien entendu pas question de plagiat, tant la thématique, les personnages et le fond du récit sont différents. Là où Hergé anticipait les découvertes à venir, Alex Alice revient en arrière pour plonger le lecteur dans le fantastique merveilleux.

Les amateurs du Troisième Testament et de Siegfried auront sans doute été déboussolés par la nouvelle approche graphique utilisée par l’auteur, et qui rappelle les animés asiatiques. Le fait de travailler avec la couleur directe laisse pourtant autant de place au merveilleux du récit qu’aux personnages. Les mimiques des héros sont parfois esquissées d’un léger trait rehaussé de couleurs, et parviennent alors à traduire beaucoup d’humour ou d’émotion. Un encrage plus présent aurait renforcé un aspect caricatural ou artificiel dans ces situations, qui semblent légères mais qui charpentent toute l’ambiance merveilleuse et sensible du Château des Étoiles.

Impossible donc de dissocier la forme du fond dans ce diptyque dont la réussite pourrait susciter une ou plusieurs suites. Que cela soit la structure du récit, la mise en scène ou la construction des personnages (admirez la place du père qui est prise par deux personnages dans les yeux du héros), ce second tome transcende le premier pour livrer une des plus belles aventures de ces dernières années. Un essai remarquablement transformé par un auteur toujours au faîte de ses capacités, et qui permet à Rue de Sèvres de se targuer, déjà , d’une grande réussite éditoriale !