Comment en êtes-vous venu à la bande dessinée ?
Je suis né à Bucarest en Roumanie en 1980, ce qui fait que, heureusement, je n’ai vécu que neuf ans sous le régime communiste qui eut un effet funeste que j’ai ressenti, malgré mon jeune âge, dans mon enfance. Je me souviens de ces hivers froids sans chauffage où je dessinais en bonnet et en gants. Je suis donc ravi que cet "âge d’or" se soit évanoui. J’ai eu la chance de ne pas avoir exercé mon métier d’auteur de bande dessinée sous le joug de la censure communiste. J’ai le plus grand respect pour les auteurs qui ont eu à subir cette pression, même s’il était possible de s’exprimer de façon détournée.
Les seules "bandes dessinées" qui étaient présentes en Roumanie étaient les BD françaises Pif et Rahan [Les invendus français étaient diffusés dans les pays frères du régime soviétique. NDLR.] . La propagande communiste régnait sur la presse des jeunes. La BD était un sujet très prisé entre les gamins. On pouvait échanger un Rahan contre cinq numéros de Pif, et trois Rahan pour un album d’Astérix !
À la chute du régime communiste en 1989, de nouvelles publications apparurent : des productions roumaines et étrangères. Des maisons d’édition testèrent le marché mais, malheureusement, leurs efforts ne furent pas couronnés de succès suffisants pour justifier de nouveaux investissements, si bien que le marché déclina.
À l’âge de onze ans, je me suis inscrit à la Bibliothèque jeunesse de l’Institut Français de Bucarest. Cela a été ma première rencontre véritable avec la bande dessinée. J’étais bluffé par la grande variété des créations disponibles et cela a été l’occasion de prendre conscience de ma vocation : je voulais être un dessinateur de BD ! En conséquence, je me suis inscrit dans une école d’art de Bucarest, très déterminé mais aussi très anxieux d’accomplir mon rêve en dépit d’une évidente absence de débouchés dans mon pays. Même si, des années plus tard, j’ai fini par obtenir un diplôme en peinture et si j’ai travaillé pendant dix ans comme illustrateur dans la publicité, je n’ai jamais abandonné mon rêve de devenir un professionnel de la bande dessinée.
Quelle et la situation de la bande dessinée en Roumanie ?
La Roumanie est un marché difficile pour un créateur de bande dessinée. La plupart des maisons d’édition souffrent d’une insuffisance de la lecture publique dans ce pays et se désintéressent de la bande dessinée pour cette raison, ce qui est proprement un paradoxe car la bande dessinée peut précisément amener les gens à la lecture.
La recherche généralisée du profit immédiat fait que je ne pense pas que les éditeurs aient les moyens, ni la réflexion stratégique, d’un investissement long terme nécessaire à la constitution d’un marché de la BD dans notre pays.
Ceci fait que la plupart des publications de BD en Roumanie sont le fait de l’autoédition. La scène BD existe au travers de quelques publications pas vraiment promues ni diffusées, de quelques rencontres et expositions organisées par quelques auteurs de BD enthousiastes. La 22e édition du Festival de BD de Constanta a eu lieu en 2012 et a été organisée avec l’aide de l’Alliance Française, réunissant un bon nombre de créateurs internationaux mais aussi roumains comme Puiu Manu, âgé de 85 ans, et toujours en activité, ou encore Sandu Florea un auteur de comic book qui a longtemps travaillé pour Marvel ou DC Comics et dont le nom est attaché au Prix remis par le festival, la plus haute distinction accordée à un auteur roumain.
Comment en êtes-vous venu à être publié en France ?
Par chance. En 2001, il a été présenté à Angoulême un album intitulé "Le Livre de Georges", un collectif d’auteurs roumains pour lequel j’avais réalisé quelques pages, une courte histoire d’horreur intitulée “Zombie French resistance”. Éric Borg l’a repérée et m’a proposé le projet Sidi Bouzid Kids. Je bossais dans une boîte à ce moment-là, mais une fois que Casterman a accepté le projet, je leur ai donné ma démission ! C’était vraiment une aventure de publier ainsi à l’international, même si, parallèlement, je réalisais un roman graphique, Elabuga, qui a été publié par l’éditeur roumain Mandragora en novembre 2011. La même maison a publié mon deuxième roman graphique, Mila 23, en 2012.
Sidi Bouzid Kids a entièrement été conçu par échanges de mails. Je n’ai personnellement rencontré Éric qu’en mars 2012, au Salon du Livre de Paris, alors que mon ouvrage venait de sortir en librairie. Je pense que ce type lointain de collaboration peut marcher sans problème si la communication passe bien dans le cadre d’un bon travail d’équipe. J’aime bien l’écriture d’Éric, basée sur l’action, ce qui me permet d’insuffler au récit dramatisation et rythme. Je pense que nous avons fait du bon boulot et j’espère que nous pourrons collaborer à d’autres projets ensemble.
Étiez-vous familier avec la révolution tunisienne ?
Quand j’ai lu le scénario pour la première fois, j’ignorais tout de la situation en Tunisie. J’avais vaguement entendu parler de la “Révolution de Jasmin”, mais la seule connaissance que j’avais du pays datait des événement qui s’y déroulaient lors de la Seconde Guerre mondiale !
Mais au bout d’un mois de recherche, j’étais complètement informé de la situation du pays. Éric m’a fourni un grand nombre d’images et de vidéos dans lesquelles j’ai pu saisir le contexte révolutionnaire. En dessinant, j’étais plongé dans la musique tunisienne. Je me suis attaché à l’histoire et même si cela peut sembler étrange, j’étais sur certaines planches en complète empathie avec mes personnages, davantage dans le domaine de l’aventure humaine que dans l’aspect patriotique. Une révolution, ce sont avant tout des êtres qui souffrent.
Quel retour avez-vous eu de la part du public ?
Malheureusement, ma seule visite en France a eu lieu l’année dernière et, le livre venant de sortir, je n’ai pas eu l’occasion de discuter avec mon public. Mais je suis au courant de l’énorme développement de la BD dans le marché francophone. Je sais qu’il faut 5 à 6 albums pour y avoir une visibilité significative. Pour avoir publié en Roumanie, je sais qu’il vaut mieux cette situation que celle que nous vivons dans mon pays où le public n’est pas suffisant pour publier des ouvrages de ce genre.
Quels sont vos projets ?
J’ai un projet en cours avec Éric Borg et deux autres sur mes propres scénarios en quête d’un éditeur.
Vous êtes content de figurer parmi les invités d’honneur du Salon du Livre ?
Pas qu’un peu ! Figurer parmi les 27 personnalités culturelles qui représentent la Roumanie cette année au Salon, ce n’est pas rien ! Être reconnu comme un auteur de BD conforte l’option que j’ai prise il y a 22 ans en choisissant ce métier.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Alex Talamba sera présent au Salon du Livre de Paris
Du 22 au 25 mars 2013
Parc des Expositions
Paris Porte de Versailles – Pavillon 1
Boulevard Victor, Paris 15e
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